Programme

Richard Wagner (1813–1883)
Parsifal (1882)
Prélude de l'acte III
Enchantement du Vendredi Saint
-
Anton Bruckner (1824–1896)
Symphonie no 9 en ré mineur, WAB 109,

Royal Concertgebouw Orchestra
Daniele Gatti (Direction)

 

 

 

Concertgebouw Amsterdam, 7 janvier 2018

En un mois, trois concerts de Daniele Gatti, avec trois orchestres différents. Nous relatons chacun de ces moments, et d’abord le premier des trois, avec son orchestre, le Royal Concertgebouw d’ Amsterdam

En préparation d’une brève escapade de l’orchestre à Carnegie Hall les 17 et 18 janvier, avec deux programmes, celui de ce concert (Wagner, Bruckner) et un second programme incluant le concerto pour violon n°1 de Max Bruch (Janine Jansen, soliste) et la symphonie n°1 « Titan » de Gustav Mahler, le RCO Royal Concertgebouw Orchestra proposait à Amsterdam pour deux soirées le programme Wagner Bruckner, suivi les 10 et 11 janvier du second programme (Bruch, Mahler).
Il était intéressant de comparer la 9ème de Bruckner donnée à Lucerne cet été, et l’approche proposée en ce début d’année à Amsterdam.

À Lucerne l’été dernier en écho à Bruckner la première partie proposait In Schrift de Wolfgang Rihm, pour ce concert en revanche la première partie est le prélude du troisième acte de Parsifal, qui souligne les relations de Bruckner à Wagner, et qui pour New York (à qui le programme est destiné) rappellera quel Parsifal Gatti a dirigé au MET quand ce théâtre s’apprête à reprendre la production de François Girard avec son futur directeur musical Yannick Nézet-Seguin.
Évidemment l’appariement Bruckner-Wagner semble s’imposer, vu la passion que Bruckner nourrissait pour la musique de Wagner et les liens thématiques entre les deux œuvres, la plus spirituelle de Wagner et la symphonie de Bruckner, inachevée, dédiée « Au bon Dieu » .

Daniele Gatti a longtemps exploré Parsifal qu’il a dirigé à Bayreuth de 2008 à 2011 dans la fabuleuse mise en scène de Stefan Herheim et au MET en 2013, lors de mémorables représentations. Il a choisi d’accompagner l’Enchantement du vendredi Saint non du prélude du premier acte qu’on entend le plus souvent, mais de celui du troisième, construisant ainsi un contraste entre l’obscurité inquiétante de ce prélude et la lumière de la musique de l’Enchantement du Vendredi Saint, résumant un peu aussi le parcours de Bruckner dans sa symphonie.
Ce qui va caractériser toute l’approche de Gatti c’est d’abord la simplicité : rien n’est souligné, la musique est  donnée telle quelle, s’enchaînant avec un naturel extraordinaire : cette simplicité d’approche, loin des volutes ou des démonstrations, loin de tout décoratif en rend évidemment d’autant plus la spiritualité. J’avais à Lucerne évoqué la cathédrale romane, je pensais à Amsterdam à une sorte de rigueur protestante, un comble pour le catholique fervent qu’était Bruckner.
Ainsi ces extraits symphoniques de Parsifal préparaient-ils à l’ambiance que Gatti voulait imposer à l’ensemble du concert : on ne peut qu’admirer dans ce répertoire les cordes charnues et enivrantes du Concertgebouw, mais aussi les incroyables cuivres (le tuba wagnérien, les cors !), l’orchestre éblouissant est ici dans son répertoire historique et dans sa salle à l’acoustique si miraculeuse, et à l’architecture si simple. On reconnaît ici les qualités de Gatti, la volonté de clarté, la volonté aussi de fluidité dans les enchaînements, l’engagement dans les moments les plus intenses et ce parcours vers la lumière qu’est l’Enchantement du vendredi Saint est si bien souligné ici après la tension du prélude, qu’on en arriverait presque à regretter l’entracte, tant les deux pièces pourraient simplement s’enchaîner l’une à l’autre, tant l’ensemble de la première et de la deuxième partie proposaient une vision dialectique.
Sans être fondamentalement différente de celle de Lucerne, à laquelle on renvoie le lecteur (voir ci-dessous) l’approche de la Neuvième de Bruckner m’est apparue peut-être encore plus hiératique qu’à Lucerne. L’ensemble à Lucerne était aussi déterminé par le lieu vu comme une immense nef verticale dominée par un orgue, en un sens très brucknérien dont l’architecture évoque volontairement celle d’une cathédrale. Ici le lieu est moins écrasant, moins dominateur, presque plus modeste et le son s’impose de manière différente : par la clarté et par une présence chaude due à une acoustique exceptionnelle.
Sans mettre en scène la symphonie en aucune manière, Gatti en rend à la fois la volonté d’élévation et les luttes et déchirements, ainsi lie-t-il l’adagio initial et le scherzo en ne laissant qu’un instant entre les deux mouvements. Il veut en effet montrer les cohérences d’approche et l’aspiration vers Dieu, et les tentatives du diable. Après le monumental premier mouvement, l’un des plus longs de l’œuvre de Bruckner, dont le début en tremolo rappelle le début du deuxième acte de Siegfried, dans une ambiance mystérieuse et inquiétante (tuba wagnérien sublime), qui va se poursuivre tout en élévation.
L’approche de Gatti profondément spirituelle, au tempo mesuré (qui n’est pas sans rappeler à certains moments Celibidache) crée une tension palpable que le scherzo va accentuer encore, avec son ouverture tragique, et ses inquiétants pizzicati : l’orchestre est ici à son sommet : les cordes naturellement, une des forces de cette formation, mais aussi les bois (le hautbois extraordinaire de Ivan Podyomov) ainsi que la précision ciselée des cuivres  que nous évoquions plus haut. Gatti qui a toujours le souci de la clarté fait entendre tout ce qui fait le caractère de cette musique qui en annonce tant d’autres, les dissonances, le sarcastique mahlérien, voire la musique populaire du Ländler.

Autre élément qui frappe dans l’approche de Gatti, une volonté de concentration du son sans jamais que les climax soient apocalyptiques, même dans les grands crescendos du premier mouvement. Des orages, certes, mais tendus et souvent presque intérieurs. Cette musique semble répétitive, mais n’est jamais tout à fait semblable, par la volonté du compositeur d’aller toujours plus loin dans la construction spiralaire des formes, dans leurs variations aussi, quelquefois infinitésimales, partant de formes wagnériennes vite dépassées pour aller vers l’extrême des possibilités.
L’adagio est conçu par Gatti comme un final, comme si la symphonie telle quelle se suffisait, comme si l’inachèvement faisait partie de l’être-même de ce travail. Achevée, cette symphonie n’aurait pas la même valence au regard de l’appel du Divin. Le Divin appelle quand bon lui semble, ou quand il lui semble qu’il est temps. Il était temps : Bruckner avait écrit ce qu’il fallait et il pouvait alors rejoindre le Bon Dieu dédicataire.
En ce sens, quand  en août 2013 Abbado proposait comme ultime programme de sa vie musicale les deux inachevées de Schubert et Bruckner, il montrait en fait un achèvement : les deux œuvres confrontées l’une à l’autre montraient qu’elles étaient totalité. Et le travail de Gatti sur la neuvième de Bruckner montre un souci semblable. Est-il besoin d’un mouvement supplémentaire ? Quand on entend les dernières mesures de l’adagio, expression sublime d’un apaisement et d ‘une rencontre, on ne ressent pas le besoin d’une suite.

 

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.
Crédits photo : © Wanderersite
© Pablo Faccinetto

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