ERWAN KERAVEC : BLIND
Erwan Keravec : conception et cornemuse
Philippe Foch : batterie, percussions
Hélène Labarrière : contrebasse
Raphaël Quenehen : saxophones
Kenan Trévien : réalisation électronique

HURDY GURDY # MYST
Laurence Bourdin : vielle à roue
Benoit Voarick : composition et interprétation vidéo
Corinne Pradier : textes
Compagnie Grain de son

Xavier Garcia : La bête (2014)
Jean-Michel Bossini : Tellurique (2014)
Christophe Havel : Myst (2014)
Pascale Jakubowski : Incantations (2014)
Pierre-Alain Jaffrennou : Locus Terribilis (2014)

LISZT ET BEETHOVEN REVISITÉS
Choeur de smartphones : Dir. Pierre Bassery
Orchestre de Picardie : Dir. Arie van Beek
Michaël Levinas : piano
Marion Grange : récitante

John Adams : The black gondola (1989) d’après La lugubre gondola de Franz Liszt
Franz Liszt : Malédictions (1833) pour piano et orchestre à cordes
Michaël Levinas : Lenore (2013) d’après Franz Liszt, pour récitante et ensemble
Bernard Cavanna : Geek Bagatelles (2016), introspections sur quelques fragments de la Neuvième Symphonie de Beethoven

ONDREJ ADAMEK
AIRMACHINE
Ondrej Adámek : conception, composition musicale
Carol Jimenez : réalisation et scénographie
Christophe Lebreton : développement technologique
Roméo Monteiro : percussions

Ondrej Adámek : Conséquences particulièrement noires ou blanches (2016)

VINCENT CARINOLA
VIRTUAL RHIZOME
Création pour deux smartphones
Vincent-Raphaël Carinola : composition
Jean-Geoffroy : smartphones
Christophe Lebreton : développement technologique

ÉTEIGNEZ LES LUMIÈRES
Orchestre national de Lyon : Dir. Baldür Brönnimann

Michaël Levinas : Psaume – In memoriam Frescobaldi II (création)
Toru Takemitsu : Twill by twilight (1988)
Morton Feldman : Coptic Light (1986)

VENT DE FOLIE
Musiciens de l'Orchestre national de Lyon
Angélique Salines : piano

Carlo Gesualdo :
– Illumina faciem tuam
– Se la mia morte brami
Hugo Wolf : Sérénade italienne pour quatuor à cordes (1887)
Robert Schumann : Quatuor avec piano en mi bémol majeur op 47Et (1842)

THE KINGDOM OF SOUND
Orchestre de Picardie
Orchestre des Pays de Savoie
Julien Leroy : direction

Ciné-concert accompagnant la sortie du film d’animation Red & The Kingdom of Sound (University for the Creative Arts (UCA) – Royaume-Uni)

Claude Debussy : Children’s Corner (1908)
Benjamin Britten : The young person’s guide to the orchestra (1946)

Du 3 au 4 mars 2018 à l'Auditorium de Lyon

Qui pourra affirmer après ce premier "crazy week-end" de la Biennale musiques en scènes à Lyon, que ni la cornemuse ni la vielle à roue n'ont leur place dans le paysage de la création contemporaine ? On pourra ajouter à ce curieux attelage deux démonstrations très différentes autour de l'utilisation du smartphone en tant qu'instrument de musique à part entière. Crazy également, cette improbable Airmachine imaginée par le compositeur tchèque Ondřej Adámek, avec ce défilé de baudruches et tuyauterie musicale. C'est dans ce paysage sonore bigarré que se situe la création de Psaume, in memoriam Frescobaldi II de Michael Levinas, compositeur à l'honneur de cette Biennale.

On commence avec Blind d'Erwan Keravec, concert-concept-performance qu'on écoute les yeux fermés – ou plutôt bandés. On demande au public de porter un masque de sommeil à l'entrée de la salle, ce qui rend impossible la perception de l'espace et des repères visuels comme dans un concert traditionnel. La cornemuse d'Erwan Keravec se mêle à un ensemble de percussions, contrebasse et saxophones et tout ce beau monde vagabonde gaiment autour des fauteuils, avec les interventions électroniques de Kenan Trévien en guise d'écrin acoustique. Hormis la surprise d'un vent frais qui caresse le visage ou tel ou tel instrumentiste venant glisser quelques notes indiscrètes à notre oreille, la pièce fait du sur-place, malgré les bruits de pas incessants qui rythment des lignes sonores bien plates.

Plus classique dans sa forme, le spectacle sonore Hurdy Gurdy # myst (2014) de Laurence Bourdin met en valeur l'utilisation de la vielle à roue en tant qu'instrument électroacoustique. Dépassant les préjugés liés au seul répertoire traditionnel, cinq compositeurs ont été sollicités autour d'un projet mêlant musique et vidéos à partir du livre de Carine Pradier "Lieux mystérieux en Auvergne". Les musiques de Xavier Garcia, Jean-Michel Bossini, Christophe Havel, Pascale Jakubowski et Pierre-Alain Jaffrenou trouvent dans les images de Benoît Voarick un écho et un dialogue continu entre l'instrument sonorisé et le récit-vidéo. L'ensemble n'est pas dénué d'intérêt même si le timbre naturel de la vielle se combine assez mal avec la durée généreuse du projet.

Airmachine d'Ondřej Adámek

A ranger au rayon "objets trouvés", ce curieux Airmachine d'Ondřej Adámek qui s'adresse à un public de 9 à 99 ans. L'instrument unique tient de l'orgue de barbarie et du ready-made interprété par un percussionniste (Roméo Monteiro). Une soufflerie complexe permet d'alterner des déplacements d'air à l'intérieur de tuyaux, tantôt soufflés, tantôt aspirés. L'interprète module le son en changeant les terminaisons de cette plomberie musicale très virtuose. Les sons obtenus sont très étonnants, depuis les rythmes groovy jusqu'aux couleurs cuivrées ou nasillardes. L'articulation des timbres et des rythmes produit un spectacle d'une originalité et d'une drôlerie confondante (bouquets de fleurs – gants latex ou basse-cour avec petit cochon trompette…). Entre cris et spasmes circule une langue faussement enfantine qui interpelle l'écoute par sa complexité même.

Michael Levinas au piano

Insolite également, le concert "Liszt et Beethoven revisités". Tout commence avec The black Gondola (1989) de John Adams, orchestration la Lugubre gondole de Liszt, suivie de Malédiction, pièce concertante assez rare pour piano et orchestre. Arie van Beek dirige "son" orchestre de Picardie avec une sobriété qui fait en sorte de ne jamais verser dans des épanchements hors sujet. Michael Levinas endosse pour l'occasion le costume (un peu large) du pianiste lisztien, visiblement à la traîne vers le milieu de la pièce, quand s'accélèrent les réponses main droite main gauche au moment où le discours se fragmente en phrases volatiles. Franz Liszt inspire le compositeur français dans une orchestration de Lenore, pièce pour piano et récitant. L'idée de sonoriser la voix de Marion Grange met en péril une bonne partie de l'intelligibilité, si bien qu'en gonflant les accents du texte de Gottfried August Bürger, c'est la narration elle-même qui finit par sombrer dans un écho lancinant et continu.

Geek Bagatelles

Le concert sombre dans l'anecdotique et la forme gadget avec la dernière pièce : Geek Bagatelles (2016) de Bernard Cavanna. Si le smartphone est ici érigé au rang d'instrument populaire, son utilisation se déplace sur le terrain glissant du concert ludique et participatif dans une pseudo forme concertante avec chauffeur de salle intégré. Un chœur de 20 jeunes smartphonistes réagissent au doigt et à l'œil aux indications de Pierre Bassery façon Monsieur Loyal. Le divertissement est prolongé par les échos distordus et samplés de la 9e symphonie de Beethoven, tristes reflets d'un panthéisme de poche.

Virtual Rhizome

Virtual Rhizome de Vincent Carinola reprend l'idée d'une utilisation musicale du smartphone dans une approche beaucoup plus concentrée et expérimentale. Le percussionniste Jean Geoffroy manipule deux appareils reliés à un système d'amplification développé par l'ingénieur du son Christophe Lebreton. Les nappes de micro-intervalles interfèrent autour d'un effet de torsion harmonique qui sert de palette de timbres et de rythmes à l'interprète. Celui-ci se déplace par à‑coups, puisant dans l'espace avec les deux pinceaux virtuels qu'il tient dans ses mains. Aussi cristalline que fragile, la musique de Vincent Carinola démontre en temps réel les possibilités d'un instrument aussi inédit qu'inouï.

Nous avions débuté les festivités en fermant les yeux… "Eteignez les lumières", nous enjoint le titre du concert qui clôture cette première journée. Présentée la veille en création mondiale, Psaume in memoriam Frescobaldi de Michaël Levinas convoque un quatuor de harpes jouant sur le proscenium de la scène de l'auditorium de Lyon. Baldur Brönnimann dimensionne très finement les textures et les interventions de l'Orchestre national de Lyon comme un écrin délicat autour des quatre solistes. La sobriété du discours met en avant une géométrie harmonique comme métaphore du lien entre conscient et l’inconscient. Twill of Twilight de Takemitsu recule les limites en deçà de la notion de mélodie et de rythme. On admire la manière dont la palette de sons diffractés se déploie avec une grâce et une finesse qui contraste avec la dimension de l'effectif orchestral. Dédiée à Morton Feldman, Twill of Twilight (1988) peut également s'envisager comme un hommage à la peinture de Turner par la maîtrise des couleurs orchestrales. C'est d'ailleurs le puissant kaléidoscope sonore du Coptic Light (1986) de Morton Feldman qui conclut en apothéose cette soirée. Œuvre éminemment visuelle et graphique, elle fonctionne sur le principe d'une métaphore qui prend sa source dans le tissage des mystérieux tissus coptes que Feldman avait découvert au musée du Louvre. La répétition et la métamorphose des motifs obsède et captive l'écoute à la manière d'un vibrant mirage.

Loin de ces sommets, le récital donné par un quatuor formé de musiciens de l'Orchestre national de Lyon fait rapidement retomber le "Vent de folie" annoncé dans le titre. Les deux transcriptions de Gesualdo (Illumina faciem tuam, Se la mia morte brami) restent au ras des notes, tandis que la redoutable Sérénade italienne de Hugo Wolf semble être jouée à vue. Le Quatuor avec piano en mi bémol majeur op.47 de Schumann montre bien quelques fulgurances mais la barre est décidément trop haut pour faire illusion. On se consolera l'après-midi avec l'Orchestre de Picardie et Orchestre des Pays de Savoie sous la direction de Julien Leroy dans un ciné-concert autour du film d’animation Red & The Kingdom of Sound de Phil Gomm. Donnée en prélude, l'orchestration du Children’s Corner (1908) de Debussy par André Caplet fait regretter la pureté et l'économie du piano. Le film d'animation sert de support visuel au célèbre The young person’s guide to the orchestra (1946) de
Benjamin Britten. La direction tonique et animée de Julien Leroy donne fière allure à un travail d'animation peu original, résurgence modernisée du Piccolo Saxo et compagnie de Jean Broussolle…

Red and Kingdom of Sound

 

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David Verdier
David Verdier Diplômé en musicologie et lettres modernes à l'université de Provence, il vit et enseigne à Paris. Collabore à plusieurs revues dont les Cahiers Critiques de Poésie et la revue Europe où il étudie le lien entre littérature et musique contemporaine. Rédacteur auprès de Scènes magazine Genève et Dissonance (Bâle), il fait partie des co-fondateurs du site wanderersite.com, consacré à l'actualité musicale et lyrique, ainsi qu'au théâtre et les arts de la scène.

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