Igor Stravinsky (1882–1971)
Pulcinella, suite pour orchestre, HH 36

Wolfgang Amadeus Mozart (1756–1791)
Concerto pour piano et orchestre n°18, K. 456

Richard Strauss (1864–1949)
Le Bourgeois gentilhomme, suite pour orchestre, op. 60b

Jonathan Fournel, piano

Orchestre de chambre de Paris
Direction musicale : Thomas Dausgaard

 

 

Théâtre des Champs-Elysées, Paris, le 11 janvier 2023 à 20h

En rassemblant Mozart, Stravinsky et Strauss, c’est un programme à la fois classique et néoclassique que propose le chef danois Thomas Dausgaard à la tête de l’Orchestre de chambre de Paris : des œuvres où passé et modernité se côtoient voire se mêlent, riches de multiples influences. Ce concert est également l’occasion d’entendre le pianiste Jonathan Fournel, lauréat du concours Reine Elisabeth en 2021 et qui interprète ici un concerto de Mozart qui lui avait porté chance lors du concours. Un jeune musicien qui montre des qualités techniques évidentes, et une écoute attentive de l’orchestre.

 

Lauréat du concours Reine Elisabeth en 2021, le pianiste Jonathan Fournel renoue au Théâtre des Champs-Elysées avec le concerto qui lui avait ouvert les portes de la finale : le Concerto n°18 en si bémol de Mozart. Accompagnée par l’Orchestre de chambre de Paris sous la direction du chef danois Thomas Dausgaard, l’œuvre s’inscrit ici dans un programme cohérent et enthousiasmant, précédée de la suite pour orchestre Pulcinella de Stravinsky et suivie du Bourgeois gentilhomme de Strauss. Un programme donc résolument classique et néoclassique, où les époques et les esthétiques se superposent ou se confondent, et où les œuvres révèlent entre elles d’évidents échos.

Composé en 1919–1920, le ballet Pulcinella sera adapté sous la forme d’une suite pour orchestre en 1922 par Stravinsky, l’œuvre perdant à cette occasion les trois chanteurs solistes requis dans la version originale. Renonçant également à quelques numéros, l’œuvre n’en garde pas moins son humour, sa vivacité, et une forme de narration au sein-même de l’écriture orchestrale.

Le chef Thomas Dausgaard propose de cette partition une lecture équilibrée, soignée, appuyant peu sur les tensions et couleurs plus grinçantes de l’œuvre. De multiples influences ressortent en revanche de manière évidente, que ce soit l’inspiration populaire de l’ouverture, une esthétique de jeu presque vivaldienne dans la Tarentelle, ou un usage des cuivres radicalement ancré dans le XXème siècle. Le chef parvient à maintenir ensemble ces couleurs multiples dans une unité globale.

L’œuvre ménageant de nombreux solos pour les musiciens, avec sa forme inspirée du concerto grosso, Pulcinella met remarquablement en valeur les pupitres des orchestres qui l’interprètent. Parmi l’Orchestre de chambre de Paris, les pupitres des vents tirent particulièrement leur épingle du jeu, non seulement parce que Stravinsky leur offre des pages très exposées, mais parce que les musiciens y ont déployé une qualité de son et d’écoute tout à fait convaincante. La contrebasse solo dans le Vivo et les cuivres dans le Finale ont eux aussi retenu l’attention grâce à l’humour stravinskien qu’ils ont su distiller : on oscille sans cesse dans cette œuvre entre l’exercice de style brillant et les pointes de parodie, que Thomas Dausgaard et l’Orchestre de chambre de Paris ont su faire émerger. Ce sont d’ailleurs les pages les plus enlevées de la partition (la Tarentelle, le Vivo ou le Finale) qui ont le plus pleinement convaincu, car elles ont révélé une lecture acérée de la part du chef, qui dans les mouvements lents semblait moins diriger l’orchestre mais se laisser porter par lui, quitte à perdre par moments en phrasé.

L’impression générale d’équilibre qui se dégage de cette lecture de l’œuvre était une introduction toute désignée pour le Concerto pour piano n°18 de Mozart qui, sans être le plus inventif mélodiquement du compositeur, s’inscrivait parfaitement dans un programme faisant la part belle aux vents.

Ici encore, c’est une lecture élégante mais un peu lisse que propose Thomas Dausgaard, le caractère de marche du premier mouvement étant assez peu dessiné, et n’apparaissant réellement qu’à la fin du mouvement où les cuivres en assument pleinement les couleurs martiales. Au piano, Jonathan Fournel impressionne en revanche par la manière dont il s’est approprié l’instrument – dont le son brillant dans l’acoustique du Théâtre des Champs-Elysées aurait pu être un peu écrasant par rapport aux musiciens. Le jeu du pianiste est perlé, très articulé (notamment les trilles), et le son est d’une grande clarté jusque dans les graves. On apprécie aussi quelques très beaux moments de cohésion avec les musiciens de l’orchestre, et des phrasés qui s’amplifient et s’arrondissent au fil du premier mouvement.

Dans l’Andante, Jonathan Fournel conserve et assume pleinement ce jeu très articulé, très instrumental pourrait-on dire, et qui nous éloigne du chant – ce qui est d’autant plus frappant alors qu’on trouve dans la partition comme des réminiscences de L’Enlèvement au Sérail et de certains airs de Konstanze. Mais ce choix esthétique se tient tout à fait, même si l’on perd nécessairement en lyrisme. C’est peut-être aussi le fait d’un orchestre qui peine à dessiner de grands phrasés et à s’inscrire complètement dans la continuité du soliste. L’ensemble n’en reste pas moins très élégant, avec des bois raffinés et lumineux.

Le dernier mouvement est ainsi probablement le plus abouti, la précision technique du pianiste donnant une grande lisibilité à une partition vive, enlevée et très ornée. Jonathan Fournel donne une belle direction à ses phrases, et parvient à insuffler des impulsions et des élans à l’ensemble de l’orchestre : ce dernier trouve un juste équilibre entre les moments où il soutient le piano et ceux où il lui répond. L’Allegro se déroule avec fluidité, avec un sens de la respiration et une cohésion entre tous les musiciens qui donnent toute sa saveur au concerto, et mettent en valeur aussi bien le pianiste que les différents pupitres de l’orchestre.

Dans un style complètement différent, et en cette année de bicentenaire, Jonathan Fournel propose en bis le Prélude, fugue et variation de César Franck dans une transcription pour piano. L’occasion d’entendre un jeu qui gagne en profondeur de son, mais ne perd pas la clarté et la lisibilité dont le pianiste a fait preuve chez Mozart. Voilà un artiste que l’on espère entendre de nouveau pour voir ces qualités à l’œuvre dans d’autres répertoires, ainsi que la manière dont il se les approprie.

Dernière étape de ce concert, et peut-être la plus enthousiasmante, la suite pour orchestre Le Bourgeois gentilhomme de Richard Strauss voit les musiciens de l’Orchestre de chambre de Paris déployer un son d’ensemble plein, chaleureux, et vibrant.

Dans cette œuvre, Strauss tient étroitement liés un style très personnel et un hommage à l’esthétique baroque, sous forme de citations certes, mais parfaitement intégrée et assimilée par le compositeur. Cette musique est à la fois parfaitement adaptée à la pièce de Molière et parfaitement straussienne, non pas écartelée entre deux siècles mais les réunissant et les fondant en une partition brillante, à la dramaturgie soignée, avec un humour et une joie omniprésents.

On l’a dit, le son d’ensemble est particulièrement beau, et Thomas Dausgaard tient son orchestre : il construit une narration et assure la variété des différents épisodes, il veille à la spécificité de chaque mouvement et à la cohésion de l’ensemble. Cela n’empêche pas que les musiciens aient l’occasion de briller individuellement, comme la violoniste Deborah Nemtanu dans le solo virtuose de l’ « Entrée et danse des tailleurs », ou encore le violoncelliste Benoît Grenet qui livre un solo magnifiquement lyrique dans le dernier mouvement. L'« Entrée de Cléonte » constitue également l’une des pages les plus réussies de la soirée, comme suspendue et venue d’un autre temps. Et si l’Orchestre de chambre de Paris se montre tout à fait dans son élément dans ce répertoire straussien, ce sont encore une fois les bois et les cuivres qui remportent le plus l’adhésion : ils ont sans aucun doute été la grande force de cet orchestre, et lui ont donné son brillant et son éclat.

Jonathan Fournel – piano
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Claire-Marie Caussin
Après des études de lettres et histoire de l’art, Claire-Marie Caussin intègre l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales où elle étudie la musicologie et se spécialise dans les rapports entre forme musicale et philosophie des passions dans l’opéra au XVIIIème siècle. Elle rédige un mémoire intitulé Les Noces de Figaro et Don Giovanni : approches dramaturgiques de la violence où elle propose une lecture mêlant musicologie, philosophie, sociologie et dramaturgie de ces œuvres majeures du répertoire. Tout en poursuivant un cursus de chant lyrique dans un conservatoire parisien, Claire-Marie Caussin fait ses premières armes en tant que critique musical sur le site Forum Opéra dont elle sera rédactrice en chef adjointe de novembre 2019 à avril 2020, avant de rejoindre le site Wanderer.
Crédits photo : © DR

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