Dmitri Chostakovitch (1906–1975),
Deuxième concerto pour violoncelle en sol Mineur 

Créé le 25 septembre 1966 à Moscou

I.Largo
II.Allegretto
III.Allegretto

Pause

Anton Bruckner (1824–1896),
Symphonie n°4  en mi bémol majeur "Romantique"
Créée le 20 févier 1881 à Vienne.
Version n°2, 1877–1880

Bewegt, nicht zu schnell
Andante quasi Allegretto
Scherzo. Bewegt ; Trio. Nicht zu schnell. Keine falls Schleppend
Finale. Bewegt, doch nicht zu schnell

Torleif Thedéen, violoncelle

Orchestre de la Radio Suédoise (Sveriges Radios Symfoniorkester)
Julia Kretz-Larsson, premier violon
Ingo Meztmacher, direction

 

Stockholm, Berwaldhallen, vendredi 18 novembre 2022, 19h.

Soirée de gala en cette fin de semaine à Berwaldhallen : Le violoncelliste Torleif Thedéen fête ses soixante ans sur scène avec le deuxième concerto pour violoncelle de Chostakovitch, lui-même composé lors de sa 6edécennie. Pour le mettre en lumière, le chef d’orchestre Ingo Meztmacher, directeur de l’Opéra d’État de Hambourg et de l’Opéra National Néerlandais à Amsterdam, spécialiste de la musique du XXe, est invité à se produire avec l’Orchestre Symphonique de la Radio Suédoise (Sveriges Radios Symfoniorkester). À la mise en scène sonore de la première partie, laissant la part de relief expressif à Torleif Thedéen, s’oppose, en final, une éblouissante 4e symphonie de Bruckner, riche en couleurs et surtout tendue, suivant une colonne d’énergie impressionnante, guidée par un Meztmacher extrêmement attentif à la circulation.

 

Impossible de ne pas penser à la guerre en Ukraine avec ce deuxième concerto pour violoncelle de Chostakovitch composé lors d’un séjour en Crimée et créé à Moscou en 1966 par un compositeur oppressé par une régime autoritaire, écrasant toutes les velléités artistiques singulières, voire purement et simplement la singularité, entre autres réjouissances…

C’est un compositeur en pleine mutation (le largo initial était prévu pour une symphonie) que l’on entend dans ce concerto créé pour Rostropovitch, avec un beau clin d’œil : le thème, qui sert de base au 2e mouvement, est tiré d’une chanson populaire d’Odessa (Bubliki, kuptiye bubliki : achète, achète mes bretzels) et vise à faire sourire Rostropovitch plutôt qu’à répéter de manière agressive, comme dans le 1e concerto, le fameux motif signature de Dmitri Chostakovitch, DSCH. Galéjade discrète d’un individu à un autre individu plutôt que pied de nez singulier au pouvoir.

Histoire toujours, la contemporaine incluant celle du passé : Torleif Thedéen joue sur un des violoncelles de Rostropovitch. La boucle est bouclée.

Torleif Thedéen, violoncelle, Ingo Meztmacher, direction et l’Orchestre Symphonique de la Radio Suédoise (Sveriges Radios Symfoniorkester)

Le largo de ce soir se veut sombre et grave plutôt que méditatif. Ingo Meztmacher accentue les profondeurs des basses (violoncelles impressionnants), joue sur les équilibres des masses, en creuse certaines, donne du champ ailleurs en tirant Chostakovitch, déjà, vers le futur. On sent tout de suite l’appétit vers les sonorités acides (vents rieurs, bois aigres, cuivres tout de vibrations sourdes plutôt que sonores), les éléments qui claquent (précision des percussions). Le souffle de la grosse caisse est à ce titre (surtout dans l’acoustique très sèche de Berwaldhallen) extrêmement impressionnant. Si Meztmacher se montre quasi analytique, le supplément d’âme est laissé à Thedéen, à la fois fougueux et rageur, rentré et précis. C’est un lyrisme intérieur (les pianissimi magnifiques de Thedéen), torturé dans un océan de sons tourneboulants (ces harpes piquantes).

Le 2e mouvement, Allegretto, propulse l’ensemble sur un versant grotesque avec des tonalités tziganes sur le thème de la chanson d’Odessa (Bubliki, kuptiye bubliki). C’est la stratosphérisation de Thedéen qui prend le large, sur une toccata démente, lacérée par une flûte rasoir, ou bousculée par les coups de butoirs de timbales quand ce ne sont pas des contrebasses qui font rempart à la folle personnalité de Chostakovitch/Thedéen par l’intermédiaire du violoncelle. Les sonneries de cor, rappels à l’ordre (en attendant de nous appeler vers le Bruckner à venir), tonnent, aigres, mais ne peuvent venir à bout de la fantaisie  sombre du violoncelle de Thedéen, ni de sa poésie. lorsque resurgit le thème du Largo. On est surpris par les rondeurs des contrebasses et le swing (oui !) des percussions que met en valeur Metzmacher en contrepoint du violoncelle qui se déploie, se cabre, se recentre. C’est bel et bien une politique du son que l’on laisse se développer, en regard d’un soliste en liberté. Metzmacher laisse les cordes s’épanouir mais met en relief les matités des percussions, voire des contrebasses et fait pétiller les cuivres. On retrouve les coups de butoirs d’un Octavian ou les danses furieuses de Salomé dans ce final de l’allegretto, puissant sans rien perdre en finesse, avec toujours cette petite musique de la caisse claire typique de la 7e de Chostakovitch, ce côté musique va-t-en-guerre, d’une humanité chair à canon menée à la baguette. On est secoué par les accents lyriques du violoncelle de Thadéen se fondant dans la mélancolie pendant que se déploient les ultimes accords des harpes sur les nappes de cordes, puis les pizzicati d’un orchestre réduit à ses cordes annonçant les rythmes mécaniques, dansants et grotesques d’un xylophone mis à nu dialoguant avec un violoncelle se faisant, une dernière fois ?, joueur. Danse de mort à deux, terminant dans une longue tenue. La voix du compositeur comme dernier souffle. Énorme succès pour un dialogue de maîtres.

En rappel, Torleif Thedéen joue Song of the Birds, un carol traditionnel catalan, popularisé par Pablo Casals. Chanson populaire, ode à la paix et ouvrant la période de l’Avent avec une semaine… d’avance. On est dans le ton. Avec un magnifique toucher, des pianissimi délicat et une dernière note en apesanteur. C’est un beau cadeau.

Torleif Thedéen, violoncelle, Ingo Meztmacher, direction et l’Orchestre Symphonique de la Radio Suédoise (Sveriges Radios Symfoniorkester)

On pourrait penser refermer cette page de modernité avec la fin de ce concerto pour violoncelle de Chostakovitch pour repartir presque une centaine d’année en arrière (la synmphonie n°4 de Bruckner ayant été composée en 1874) mais c’est sans compter la patte d’un chef qui aurait déclaré au Wanderer en chef, Guy Cherqui : « il faudrait jouer Puccini comme Schönberg ! ». Metzmacher refuse le caractère programmatique de la symphonie dite Romantique et prend les indications de Bruckner comme des points de départ servant à la composition qui est avant tout et in fine œuvre sonore.

Metzmacher prend un tempo plutôt lent, après les fameux tremolos d’ouverture (premier mouvement Bewegt, nicht zu schnell). Il va chercher les pianissimi en s’accroupissant, travaille lentement sa pâte sonore et maintient, ce qui est difficile et capital chez Bruckner, ce flux qui parcourt la symphonie. Si on entend ici ou là le thème du feu (corde- étincelles), l’Oiseau (flûtes) ou des timbales qui évoquent les Géants de l’Anneau du Nibelung, c’est presque par chance. Metzmacher ne semble pas attacher plus d’importance que cela à la référence wagnérienne, du moins il ne la met pas en relief. C’est l’impulsion, voire les impulsions qui nourrissent la symphonie et qui comptent avant tout. C’est un jeu d’équilibriste auquel joue un Metzmacher très actif sur le pupitre : cors grandioses, éclats des cordes, les uns ne couvrant pas les autres, les autres rehaussant les premiers. On sent aussi que c’est la conduite d’œuvres très exigeantes, plus contemporaines, qui permet la mise en son précise et sûre de Bruckner. Pour autant. on n’est pas dans un analytique pur, Metzmacher veille à libérer le lyrisme des cordes, à faire vibrer l’ensemble. On l’a vu accroupi : il faut le voir aussi poignet haut maintenir la puissance pour éviter le trop plein. Bruckner c’est aussi une course de fond, où il faut ménager la surprise de retours thématiques.

Ingo Meztmacher, direction et l’Orchestre Symphonique de la Radio Suédoise (Sveriges Radios Symfoniorkester)

Pour le second mouvement, Andante quasi Allegretto, Metzmacher pétrit toujours sa pâte, ici plus fine. Les pizzicati des cordes sont délicats et Metzmacher veille à la solennité des cordes et cors, toujours sur un tempo plutôt lent, avec des couleurs qui annoncent presque Parsifal, tout en faisant le lien avec le classique, voire le baroque (tremolo des cordes, autant mis en valeur que les mouvements de masse). Le chef veille, est attentif au jeu des modulations et fait basculer le thème tragique dans le joyeux avant de le replonger dans une gravité profonde (contrebasses très présentes, cuivres abyssaux) malgré un élan spirituel certain (cordes et vents). La modernité sans le grotesque Mahlérien…

La partie finale, gonflée à bloc par Metzmacher, enfle puis retombe sur un tapis de timbales, légèrement surligné (et la passerelle avec le Chostakovitch est faite) et de cordes évidemment sensibles.

Le 3e mouvement, Scherzo. Bewegt ; Trio. Nicht zu schnell. Keine falls Schleppend, Danse pour le Repas de chasse suivant les premières indications de Bruckner, convoque un deuxième acte nocturne de Tristan qui quitterait les sous-bois lointains pour pétarader sur les remparts. Metzmacher déploie l’orchestre, fanfare après fanfare, fait pétiller les cuivres et les vents sans pourtant faire exploser les saturations. Les basses sont soignées, les pizzicati allègres. Les cordes étincellent et frétillent avec toujours ce soin de la continuité qui irrigue le concert de ce soir. Metzmacher, toujours souriant, gestes précis et fournis fait tourner la machine Bruckner. Cela se sent dans le public qui laisse échapper quelques petits cris mais aussi dans les sourires des membres de l’orchestre, bien moins tendus que pendant le concerto.

Le Finale. Bewegt, doch nicht zu schnell débute par le rappel du thème d’ouverture, ici plus sombre (contrebasses vrombissantes particulièrement choyées), écrasé par un tutti colossal admirablement géré au cordeau par un Metzmacher peu avare de sa personne, notamment sur le plan vertical.

L’attention au son, très moderne, n’est pas en opposition avec les phrases plus lyriques, accords cordes/vents notamment, ponctuées çà et là, toujours avec brio, d’un léger surlignage des percussions (dans la sècheresse, la profondeur et le lien avec le concerto de Chostakovitch se noue de nouveau). Si Bruckner n’a pas donné de sous-titre à ce mouvement, c’est sans doute parce qu’il est tout de musique pure, réminiscence des thèmes passés et aboutissement d’une énergie libérée au cours des mouvements précédents. Atmosphère médiévale, amour repoussé, cors de chasse, brasier et oiseau Wagnérien, tous brandis comme autant de lances à briser, tout revient et tout se fond dans le creuset Brucknérien. En cela, Metzmacher semble ne pas chercher une « lecture » personnelle mais suit pas à pas la partition et libère les sons, prenant l’orchestre comme un orgue géant. On notera le spirituel final, magnifique solennité de cuivres graves, s’éclairant peu à peu sur un flamboiement de cordes, fusées multicolores.

C’est un long chemin, qui en perd certains en route, mais qui laissent ceux qui ont suivi attentivement Metzmacher et l’Orchestre de la Radio Suédoise positivement enthousiastes, au sens premier du terme, du moins dopés à la Brucknerine administrée magistralement.

Ingo Meztmacher, direction et l’Orchestre Symphonique de la Radio Suédoise (Sveriges Radios Symfoniorkester)
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Guillaume Delcourt
Il collabore, en amateur revendiqué, depuis les années 2000 à divers médias, de la radio associative à la programmation et l’organisation de concerts, festivals et happenings (Rouen, Paris, Stockholm) dans les champs très variés de la musique dite alternative : de la pop à la musique électro-acoustique en passant par la noise et la musique improvisée. Fanziniste et dessinateur de concerts, ses illustrations ont été publiées dans les revues Minimum Rock n’ Roll et la collection Equilibre Fragile (revue et ouvrages) pour laquelle il tient régulièrement une chronique sur la Suède. Il contribue, depuis son installation sous le cercle polaire, en 2009, à POPnews.com, l’un des plus anciens sites français consacrés à la musique indépendante. Ces seules passions durables sont À La Recherche du Temps Perdu de Marcel Proust, les épinards au miso et la musique de Morton Feldman. Sans oublier celle de Richard Wagner, natürlich.
Crédits photo : Crédit Photos : Mattias Ahlm/Sveriges Radio

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