Programme

Antonio Vivaldi (1678–1741)

« Vedro con mio diletto » (Il Giustino)
« Armatae face et anguibus » (Juditha triumphans)

Concerto pour basson en sol mineur, RV 495

« Cum dederit » (Nisi Dominus, RV 608)
« Veni, veni me sequere fida » (Juditha triumphans)

Concerto pour luth en ré majeur, RV 93

« Gelido in ogni vena » (Il Farnace)

« Gelosia, tu già rendi l’alma mia » (Ottone in Villa)

Concerto pour violoncelle en sol mineur, RV 416

« Agitata da due venti » (Griselda)

Léa Desandre, mezzo-soprano
Ensemble Jupiter

Thomas Dunford, luth et direction
Sophie Gent, violon
Théotime Langlois de Swarte, violon
Jérôme Van Waerbeke, alto
Cyril Poulet, violoncelle
Hugo Abraham, contrebasse
Jean Rondeau, clavecin et orgue
Peter Whelan, basson

 

 

La Seine Musicale, dimanche 11 octobre 2020

Après l’album paru en 2018, l’Ensemble Jupiter est venu présenter son programme consacré à Vivaldi à La Seine Musicale, en compagnie de la mezzo-soprano Léa Desandre. Créé et dirigé par Thomas Dunford, la formation rassemble de jeunes musiciens de la scène baroque. Si une grande partie du concert est dédié à des « tubes » de la musique vocale vivaldienne, le programme comporte également trois concertos (pour basson, luth et violoncelle) qui permettent d’entendre certains musiciens en tant que solistes. Malgré tout, c’est une impression de collectif, de cohésion qui prime au sein de l’ensemble, qui ne manque pas de qualités musicales et expressives, ni d’esprit d’équipe.

 

Lea Desandre, Ensemble Jupiter, répétition Salle Gaveau © Stéfan Brion

On l’oublie parfois, mais consacrer tout un récital à Antonio Vivaldi – et notamment à sa musique vocale – n’est pas toujours allé de soi. Il y a vingt ans, Cecilia Bartoli défrichait ce répertoire encore méconnu ; mais après seulement deux décennies de redécouvertes, on peut déjà qualifier de « tubes » les airs proposés dans ce récital signé Léa Desandre et l’Ensemble Jupiter à la Seine Musicale.

Ce concert fait suite à un album paru en 2018 chez Alpha qui a permis de mettre sur le devant de la scène un ensemble jeune – et constitué de jeunes musiciens : des noms désormais incontournables de la scène baroque et connus du grand public s’y côtoient, tels que Thomas Dunford, Jean Rondeau, Théotime Langlois de Swarte ou encore la mezzo-soprano Léa Desandre. Mais l’Ensemble Jupiter se présente aussi, assez simplement, comme un groupe d’amis musiciens ayant décidé de faire de la musique ensemble : de là sans doute ce mélange de sérieux et de décontraction que l’on perçoit depuis le public, ainsi que l’impression de cohésion qui s’en dégage. Solistes ou non, le collectif est là.

Une grande partie du concert est consacrée à la musique vocale de Vivaldi, avec sept extraits d’opéras ou de cantate. Léa Desandre y montre son affinité avec ce répertoire, et aussi l’adéquation de sa voix avec l’écriture vivaldienne. Elle possède la virtuosité indispensable à des airs tels que « Armatae face et anguibus » (Juditha triumphans) ou « Agitata da due venti » (Griselda), airs de bravoure dont elle traverse sans peine les difficultés et qui font toujours leur effet sur le public ; mais il y a surtout une douceur dans le chant de la mezzo-soprano qui se prête particulièrement à des airs tels que « Vedro con mio diletto » (Il Giustino) ou le très beau « Veni, veni me sequere fida » (Juditha triumphans), peut-être les pages où la voix s’épanouit le mieux. Si la chanteuse s’engage déjà bien dans l’émotion des personnages qu’elle incarne, on espère qu’elle continuera à développer ces qualités expressives pour que les mots aient encore plus d’impact, pour que les couleurs soient encore plus variées et que davantage de relief apparaisse au sein de la ligne.

Si la voix sonne si bien, sans accroc, homogène, c’est peut-être en partie parce qu’elle est remarquablement soutenue et entourée par l’orchestre. Dès le premier air (« Vedro con mio diletto ») on sent une densité, une profondeur du son – intensifiée par l’emploi de l’orgue et non du clavecin – qui construit un bel écrin pour la voix. Ces airs sont l’occasion d’entendre la qualité des violons de Sophie Gent et Théotime Langlois de Swarte et de l’alto de Jérôme Van Waerbeke, par exemple dans « Gelosia, tu già rendi l’alma mia » (Ottone in Villa) où ils dialoguent avec la mezzo-soprano dans la partie centrale ; d’entendre notamment la qualité des phrasés et la cohésion avec laquelle ils jouent ensemble.

Ensemble Jupiter, répétition Salle Gaveau © Stéfan Brion

Mais les instrumentistes de l’Ensemble Jupiter sont également mis en valeur en tant que solistes à trois reprises : dans le Concerto pour basson en sol mineur (RV 495), le Concerto pour luth en ré majeur (RV 93) et le Concerto pour violoncelle en sol mineur (RV 416). Le premier est interprété par Peter Whelan, avec quelque chose d’assez confidentiel qu’impose le son feutré de l’instrument. Une apparente décontraction également, malgré la virtuosité exigée par Vivaldi, qui donne l’impression d’une conversation spontanée avec le continuo dans le deuxième mouvement. Thomas Dunford s’autorise quant à lui, dans l’Adagio du Concerto pour luth, à prendre son temps, à laisser la phrase et le son se déployer. La méditation a d’une certaine manière pris le pas sur la conversation, tout en conservant un équilibre avec l’orchestre. Enfin, Cyril Poulet livre une prestation remarquable dans le Concerto pour violoncelle où la virtuosité n’empêche pas le lyrisme ni la densité du coup d’archet.

Complété par Hugo Abraham à la contrebasse et Jean Rondeau à l’orgue et au clavecin, l’ensemble a la grande qualité d’être toujours investi et de ne pas s’effacer derrière les solistes. Il est au contraire un soutien de tous les instants, sous le regard attentif de Jean Rondeau qui semble veiller toujours à la cohésion du groupe et apporte une belle tension dramatique à l’air « Gelido in ogni vena » (Farnace). Les musiciens ne lésinent pas non plus sur les couleurs et les effets de contrastes, ce qui permet de garder vive l’attention de l’auditeur sur un programme qui, en ce qui concerne la musique vocale, est assez attendu.

Mais surprise en bis, avec une chanson signée Thomas Dunford et Douglas Balliett : « We are the ocean, each one a drop ». A la frontière entre la pop, le jazz et le baroque, l’Ensemble Jupiter montre la multiplicité de ses influences – et les ponts qui existent d’un répertoire à l’autre. On se dit en tout cas que le terme « récital » serait bien peu adapté à ce concert, où la musique ne se joue qu’en collectif.

Ensemble Jupiter © Angéline Moizard
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Claire-Marie Caussin
Après des études de lettres et histoire de l’art, Claire-Marie Caussin intègre l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales où elle étudie la musicologie et se spécialise dans les rapports entre forme musicale et philosophie des passions dans l’opéra au XVIIIème siècle. Elle rédige un mémoire intitulé Les Noces de Figaro et Don Giovanni : approches dramaturgiques de la violence où elle propose une lecture mêlant musicologie, philosophie, sociologie et dramaturgie de ces œuvres majeures du répertoire. Tout en poursuivant un cursus de chant lyrique dans un conservatoire parisien, Claire-Marie Caussin fait ses premières armes en tant que critique musical sur le site Forum Opéra dont elle sera rédactrice en chef adjointe de novembre 2019 à avril 2020, avant de rejoindre le site Wanderer.

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