Après l’avoir enregistré avec Riccardo Chailly et joué un peu partout en Europe, Janine Jansen retrouve le Concerto pour violon n°1 de Bruch, cette fois-ci aux côtés d’Antonio Pappano et du Verbier Festival Chamber Orchestra. Si le premier concerto de Szymanowski était tout d’abord prévu au programme, c’est finalement celui de Bruch qui a été interprété avant la Sérénade n°1 de Brahms : une association bienvenue de deux piliers du romantisme, très connus certes, mais interprétés ici avec suffisamment de brio pour tenir l’auditeur en haleine.
On ne sait s’il est encore nécessaire de mentionner la solidité technique dont fait preuve Janine Jansen, ni la maîtrise de son jeu ; mais en tout cas il n’est pas chez elle une phrase qui ne soit intensément conduite, pensée, marquée par une intention. La violoniste possède d’ailleurs un legato assez impressionnant, maintenu d’un bout à l’autre de l’œuvre, qui donne une grande densité au son et ferait presque disparaître les difficultés techniques tant elles sont intégrées à la ligne. Mais ce n’est pas un legato qui noie les notes dans la phrase : le jeu reste toujours articulé et musclé. Lorsqu’on voit Janine Jansen jouer, on ne voit pas de démonstration virtuose : on voit une concentration à toute épreuve et une pensée musicale en marche.
La violoniste, visage fermé, travaille intensément le son qu’elle produit, mais elle sait aussi se mettre à l’écoute de l’orchestre, lui prêter son attention – lorsqu’elle joue avec lui ou lui laisse la parole – notamment dans l’Adagio où les musiciens sont tour à tour très en retrait derrière la soliste ou au contraire au premier plan. Techniquement, que pourrait-on reprocher à Janine Jansen ? Quelle réserve pourrait-on émettre face à la maîtrise absolue du dernier mouvement, où ni les doubles cordes, ni les élans de la partition ne mettent en difficulté la violoniste ? C’est probablement l’une des versions les plus précises que l’on ait entendues de ce concerto et, peut-être pour cette même raison, pas la version la plus émouvante. Il manquait sans doute une forme de spontanéité et une forme de lyrisme – au sens d’un chant, et d’un sujet qui s’exprime – pour entièrement emporter l’adhésion. Mais l’interprétation n’en restait pas moins admirable et n’a pas manqué de capter l’attention des auditeurs d’un bout à l’autre de la partition, d’autant plus que le Verbier Festival Chamber Orchestra s’est révélé d’une qualité assez exceptionnelle lors de ce concert.
On est étonnée en effet qu’un orchestre de cette taille ait pu faire preuve d’une telle amplitude de son – et qui plus est un son chaleureux, expressif. Comme quoi l’intensité et l’engagement des musiciens peut tout à fait compenser l’effectif réduit d’un orchestre de chambre. Il se montre très réactif lors des jeux de dialogue avec la soliste – on pense notamment à la réexposition dans le premier mouvement –, répondant à ses propositions, mais sachant aussi s’affirmer et déployer une interprétation très lyrique et romantique dans l’Adagio, avant un troisième mouvement dansant et bien mené. Composé d’anciens membres du Verbier Festival Orchestra, on sent chez cet orchestre des identités individuelles fortes, qui en jouant ensemble ne se sont pas effacées mais ajoutées les unes aux autres. On entend, mais on voit aussi l’investissement physique et musical des musiciens dans ce qu’ils jouent ; une émulation interne, et une réactivité immédiate à la direction du chef.
Antonio Pappano trouve en effet un terrain d’entente évident avec le Verbier Festival Chamber Orchestra, une simplicité dans la relation avec les musiciens qui ne va pas de soi lorsqu’on est chef invité. Cela a permis un concerto de Bruch fluide et efficace, mais cela a surtout fait des merveilles dans la Sérénade de Brahms avec une lecture tout à fait enthousiasmante. Antonio Pappano et l’orchestre offrent en effet un premier mouvement plein d’esprit, champêtre au possible, avec une intensification progressive du propos et le chef ayant l’intelligence d’assumer les nuances pianissimo de la partition. On se promène au long de la forme sonate dont les différents thèmes apparaissent avec clarté, bien chantants, animés, avant que le scherzo ne vienne apporter une atmosphère tout à fait différente, beaucoup plus douce et chaleureuse. Les troisième et quatrième mouvement sont sans doute les moins haletants de la partition, et l’énergie retombe un peu ; mais les menuets ont l’avantage de faire entendre de très beaux solos – les clarinettes, le basson et surtout la flûte, qui viennent prouver qu’en plus du timbre rutilant des cordes, le Verbier Festival Chamber Orchestra possède des vents d’une grande qualité. Les cinquième et sixième mouvements remobilisent l’énergie de tous les protagonistes et particulièrement celle du cor – précis, juste, lumineux, trois qualités qui ne sont pas toujours évidentes avec cet instrument ; on remarque alors mieux encore la belle symbiose qui se joue entre le chef et les musiciens, Antonio Pappano introduisant davantage de narration dans sa direction et obtenant de vrais crescendo de l’orchestre, très progressifs et bien conduits.
De cette Sérénade, Antonio Pappano offre une lecture claire, radieuse, où tout est rendu lisible ; une lecture à la fois flamboyante et champêtre, mobilisant les influences populaires comme les sommets du romantisme. Le chef prouve l’efficacité de sa gestuelle tant en termes de couleurs que d’atmosphères, de nuances et de dynamisme, rendant à cette œuvre de jeunesse son élan et obtenant surtout de l’orchestre un son superbe qui fait regretter de ne pas pouvoir entendre ces musiciens plus souvent.