Avec son embonpoint, sa lourde démarche, ses lunettes retenues par un lien (au cas où celles-ci s’envoleraient !) et son smoking amidonné, Ludovic Tézier ressemble désormais au Jean Gabin de la dernière décennie : une allure de patriarche qui force le respect, des airs de Pacha, de Patron, de Président, que sa voix puissante, contrôlée et d’une absolue sûreté ne peut démentir. Mais tout cela n’est-il pas arrivé trop tôt quand on réalise que ce grand baryton n’a pas encore atteint le demi-siècle ? Qu’en sera-t-il dans quinze ans ?
Dans la carrière extrêmement bien remplie de cet immense chanteur, aujourd’hui acclamé dans les plus grands emplois verdiens, le récital n’a jamais occupé qu’une place subalterne, c’est pourquoi ce rendez-vous a suscité l’intérêt du public, assez courageux pour se déplacer jusqu’au Palais Garnier un dimanche soir. Préparé avec soin, le programme germano-français avait pour thème le voyage dans toutes ses dimensions (physiques, mentales, psychologiques…) et convoquait les grands noms habituels de la mélodie Schubert, Schumann, Duparc, Fauré et … Ibert, plus rare. Irrésistible de tenue vocale dans le « An die Musik » introductif et littéralement halluciné durant l’éprouvant – mais fascinant – « Erlkönig » de Schubert, radiographié par le baryton pour mettre à jour et en scène, ce terrible et cruel galop vers la mort à l’issue duquel le père retrouve son fils mort dans ses bras, la première partie nous a laissée sur notre faim. Des Schubert chantés avec une grande attention, certes, mais avec quelque chose de compassé, de solennel dans le ton (Schumann) qui nous a gêné, d’autant que cette impression était renforcée par l’accompagnement souvent pesant de la pianiste Thuy Anh Vuong.
Peu de différence dans la seconde partie entièrement française, inégale elle aussi malgré la diction, le legato et la qualité supérieure du timbre. Perdant de vue l’humanité et la simplicité de Don Quichotte, son interprétation manque de naturel et souffre une fois encore d’un tempo trop empesé. Si « L’invitation au voyage » reste un modèle de concentration poétique et de nuances, les Fauré (« L’Horizon chimérique ») s’engluent dans une sorte de perfection marmoréenne où la vie semble s’être arrêtée, tandis que « L’Ile inconnue » de Berlioz ne procure pas l’effet escompté, faute là encore à un tempo trop étiré. Sympathique, mais un peu froid dans sa manière de s’adresser au public en bougonnant presque, Ludovic Tézier proposait en bis deux mélodies, l’une de Fauré « Le secret », l’autre de Strauss « Zueignung », avant de conclure avec une très belle exécution de la « Romance à l’étoile » extraite du Tannhäuser de Wagner, pour rappeler quel juvénile Wolfram il était dans un passé encore proche.