Lucerne Festival 2024

Bedřich Smetana (1824–1884)

Má vlast (Ma patrie)

Cycle de six poèmes symphoniques

n° 1 Vyšehrad
n° 2 Vltava (La Moldau) : La première source de la Moldau – La
deuxième source de la Moldau – Forêts, chasse – Noces paysannes
temps – Clair de lune, ronde des nymphes – Les rapides de St.Johann – Le large fleuve de la Vltava – Motif de Vyšehrad
No 3 Šárka
Nr. 4 Z českých luhů a hájů (Des bosquets et des champs de Bohême)
n° 5 Tábor
n° 6 Blaní

Berliner Philharmoniker
Kirill Petrenko, direction

Lucerne, KKL, jeudi 29 août 2024, 19h30

Les Berliner Philharmoniker effectuent leur traditionnelle tournée de fin d’été avec trois étapes pratiquement obligées, Salzbourg, Lucerne, Proms de Londres. Quelquefois s’ajoute Paris, mais pas cette année. À Lucerne, depuis la nuit des temps karajanesques, ils se produisent à la charnière entre août et septembre.
Cette année, la tournée marque le bicentenaire de deux compositeurs, Anton Bruckner, né le 4 septembre 1824 et Bedřich Smetana, du 2 mars 1824 avec deux particularités, d’une part, la saison a ouvert sur la
symphonie n°5 de Bruckner, première exécution brucknérienne de Kirill Petrenko avec les berlinois, et d’autre part, l’exécution rare de Má Vlast (Ma patrie), cycle de six poèmes symphoniques dont on connaît essentiellement Vtlava autrement dit La Moldau, un des programmes phares de la saison passée à Berlin, que l’orchestre a porté en tournée en mai dernier à Prague les 12 et 13 mai derniers, à l’occasion du 150e anniversaire de la mort de Smetana (12 mai 1884).
Ce sont donc deux soirées à l’ambiance très différente qui ont marqué cette tournée, et ce premier compte rendu évoque le deuxième concert, la soirée Smetana, qui a donné l’occasion d’entendre une musique plus rare, particulièrement colorée, pour laquelle l’orchestre a montré une fois encore qu’il reste au sommet de la hiérarchie des grandes phalanges internationales et que Kirill Petrenko n’est jamais là où certain l’attendent.

 

 

Lucerne Festival : Sommer-Festival 2024 | 29.08.2024 | Berliner Philharmoniker, direction Kirill Petrenko

Si l’on compte bien en ce 29 août 2024, c’est à Lucerne la septième exécution de ce programme (3 concerts à Berlin et 2 à Prague en mai, 1 concert à Salzbourg en août), ce qui signifie que l’orchestre est rompu à l’œuvre, et qu’il connaît parfaitement les demandes et intentions de Kirill Petrenko, celui-ci était d’ailleurs rayonnant à la fin du concert.
Qui suit un peu Kirill Petrenko connaît son souci de composer des programmes au spectre large, et qui sortent de l’ordinaire symphonique. Certes, Má Vlast est une œuvre connue, mais pas forcément programmée souvent dans son intégralité. J’ai consulté par curiosité l’archive de la « Digital Concert Hall », et on y trouve de Smetana quelques concerts de musique de chambre, une exécution par Mariss Jansons de l’ouverture de « La Fiancée vendue » et une seule exécution en 2020 du cycle entier par Daniel Barenboim. Certes, l’archive de la « DGH » est encore récente et il faudrait fouiller plus profond ; elle a été exécutée pour la première fois dans son ensemble par l’orchestre en octobre 1916, soit 34 ans après la création pragoise en 1882, et elle reste dans sa totalité peu connue du public.
Un autre aspect des programmes de Kirill Petrenko n’est jamais à négliger, c’est leur aspect discrètement « politique ». En célébrant Smetana, Má Vlast, Petrenko célèbre un compositeur qui a été un peu considéré comme exilé dans son propre pays avant d’en devenir le porte-drapeau musical. Il est né en 1824, il parle allemand et son prénom est Friedrich, si bien que s’il est tchèque pour le monde, il est au départ allemand pour les tchèques. Il a d’ailleurs appris tardivement la langue tchèque, mais s’est revendiqué fortement tchèque, en héritier des mouvements nationalistes qui se réveillent en 1848, accompagnés de réveils culturels, et donc de la naissance de musiques nationales (c’est le même phénomène en Hongrie). Ses opéras portent sur des légendes du pays (Libuše par exemple, ou Dalibor, aux livrets en allemand et traduits en tchèque…). Mais si Smetana appartient sans conteste à un mouvement national, sa culture musicale est fortement marquée par la culture musicale allemande, il est ami de Liszt, une autre figure nationale (hongrois) et surtout internationale (Weimar/Bayreuth où il est enterré) qui le soutient y compris financièrement.

Lucerne Festival : Sommer-Festival 2024 | 29.08.2024 | Berliner Philharmoniker, direction Kirill Petrenko

Comment ne pas rapprocher ces destins de celui de Kirill Petrenko, juif russe exilé à 18 ans (et donc assez tard) avec sa famille en Autriche et formé à Vienne, et qui fait sa carrière en Allemagne : la question de « la patrie » est sans doute pour Petrenko (et d’autres) une question encore vive, ainsi que celle de la revendication de la liberté des peuples (5ème et 6ème parties de Má Vlast) si sensible en ces temps d’invasion ukrainienne… En allant célébrer à Smetana à Prague, Petrenko et ses Berliner saluent à la fois le compositeur et son aura qui dépasse les frontières de son pays, et les combats historiques des tchèques pour revendiquer leur identité nationale plusieurs fois mise à mal : le Royaume de Bohème fut puissant avant de tomber dans d’autres escarcelles, mais la Tchécoslovaquie indépendante après la Première Guerre Mondiale était devenue entre deux guerres la dixième industrie du monde et l’une des premières aviations : les nazis avaient intérêt à la défaire et l’avaler, et elle a été ensuite avalée de nouveau par le bloc soviétique, avant de retrouver à la chute du mur de Berlin une indépendance et de se séparer entre Tchéquie et Slovaquie pour des questions là encore « nationales » et « identitaires » dont on voit les effets géopolitiques encore ces dernières années.

Lucerne Festival : Sommer-Festival 2024 | 29.08.2024 | Berliner Philharmoniker, direction Kirill Petrenko

Il faut toujours dans l’analyse des motivations et des approches de Kirill Petrenko prendre en considération la complexité de cet arrière-plan, avec ses blessures profondes inévitables et aussi la richesse culturelle qu’ll induit… à l’heure des imbéciles qui revendiquent des identités monolithiques, il montre par sa carrière même que ce sont les diversités qui sont créatrices, et que la question de l’identité ne peut se décliner qu’au pluriel.
En affrontant cette pièce de Smetana, il en affirme en même temps l’originalité et la forte revendication politique nationale, il s’agit de revendiquer et de décrire la patrie, en en faisant un portrait géographique et folklorique, historique et mythique, mais avec un langage qui puise aussi bien dans la musique populaire que la musique européenne, Liszt avec sa culture du poème symphonique, ainsi que la nouvelle musique allemande, à savoir Wagner : pour Petrenko, Má Vlast est en quelque sorte une « musique de l’avenir » en miniature. Et la manière dont il conduit l’œuvre insiste sur des rappels wagnériens.

Ce qui fascine sans doute Petrenko, c’est cette musique à facettes multiples, qui constitue un défi aux relents beethovéniens, puisque devenu sourd comme son illustre collègue, il ne l’a jamais entendue. Ces facettes multiples se traduisent en couleurs multiples, où chaque poème est un tableau historié autonome, mais qui fait partie d’un tout, comme un immense arc coloré, comme une fresque, pu mieux, un Polyptique.

D’abord Vyšehrad, la forteresse mythique qui donne naissance à la ville de Prague, là où a vécu la légendaire princesse Libuše, le foyer de l’identité tchèque, qui commence de manière surprenante par un enivrant solo à la harpe particulièrement inhabituel et développé où Marie-Pierre Langlamet brille de manière incroyable, avec un son modulé, net, presque sculpté, et en même temps fluide et suave, qui donne une douceur presque déconcertante au début de l’œuvre.
Petrenko travaille ici sur le discours, sur une histoire qui se raconte à la manière d’un deuxième acte de Walkyrie… Il fait de Vyšehrad une manière de monologue de Wotan
Comme souvent, comme toujours presque, Kirill Petrenko refuse les déluges sonores, et préfère travailler sur la dramaturgie, ici un long crescendo dramatique qui se termine par la chute et la destruction de la forteresse, comme la fin du Walhalla des tchèques. C’est lui qui le confie à ses musiciens en répétition dans sa très intéressante interview en ligne (accès libre) sur digital concert hall.
Petrenko installe la fresque, une sorte de polyptique à la fois unifié et divers, montrant dans l’œuvre les aspects démonstratifs, mais aussi plus intimes. Et en installant la comparaison avec le Walhalla, il rapproche le cycle du Ring (il le précisera), mais aussi assoit l’idée d’un Smetana qui n’ignore rien des évolutions de la musique de son temps et notamment de Wagner puisque dans « La Moldau », il rappelle aussi Das Rheingold et les mouvements de l’eau et du fleuve…
Dans le premier mouvement frappe la mise en drame, une douceur immédiatement perceptible puis comme les mouvements de l’histoire qui se mettent en place y compris dans ses hoquets, avant la destruction, un moment (un instant…) où la musique fait croire à une victoire, puis la chute, brutale. À chaque moment on note un souci de clarté permanente pour faire entendre tous les niveaux, les variations internes de dynamique, les systèmes d’échos, pour faire fi du superficiel (la mélodie, assez familière parce que Vyšehrad est après La Moldau la pièce la plus connue du cycle).

Dans La Moldau nous passons d’une page sur le mythe à une page-paysage, mythique pour d’autres raisons, le fleuve, comme lien vital du pays, de sa source à sa rencontre-fusion avec l’Elbe, de son état de ruisseau (flûte et clarinette, en parallèle pour marquer les deux sources du fleuve), puis les violons en pizzicati, l’eau comme gouttes… Peu à peu le tout l’élargit pour faire récit plus massif, pour faire « courant », avec d’ailleurs un tempo plus vif, plus soutenu que dans d’autres interprétations : il y a ici une de fluidité qui va décrire le fleuve dans ses détails, le flux de plus en plus important, mais aussi les rapides, puis l’arrivée dans l’Elbe… C’est aussi quelque chose de métaphorique, le cours de l’histoire, les drames, les alternances de sérénité et de tragédie : c’est une vision très personnelle, très dynamisante, très vive qui est ici proposée. Il y a toujours une différence entre une pièce donnée seule (comme c’est le cas le plus fréquent pour La Moldau, et insérée dans un cycle, où la pièce est part d’une dramaturgie qui la dépasse. Car Petrenko a toujours le souci de cette dramaturgie supérieure de l’œuvre dans sa globalité, en jouant justement sur toute la palette des couleurs possibles, de l’intimité au grandiose, allégeant ici, appuyant là, mais jamais lourdement.

Certains reprochent à Petrenko d’être un chef à effets, comme si la recherche de l’effet était une fin en soi, au contraire, il créée ici un tissu, une sorte de tapisserie immense dont chaque moment est à la fois un paysage micro et macroscopique, mais toujours solidaire, jamais donné gratuitement. Il souligne bien les éléments spécifiques à chaque poème, à chaque pièce.

Lucerne Festival : Sommer-Festival 2024 | 29.08.2024 | Berliner Philharmoniker, direction Kirill Petrenko © Stephan Rabold

Insérée entre deux pièces « mythiques », La Moldau est un paysage qui s’inscrit aussi dans le mythe. Et la comparaison avec Rheingold que fait Petrenko est intéressante, parce qu’elle donne aussi une couleur à ces trois premiers mouvements : le fleuve est vu dans sa fonction à la fois géographique, symbolique et mythologique : tel le Rhin pour les légendes wagnériennes. Parcourir la vallée du Rhin entre Mayence et Bonn c’est penser Loreley, Siegfried, Drachenfels (rocher du Dragon), et évidemment toutes les légendes qui se lient au fleuve, et en même temps parcourir des paysages, le tout est tressé, indissolublement. La Moldau traverse la Bohème comme fleuve de vie et d’histoire. La source de vie.
Le troisième poème, Šárka est à peine plus bref (11 minutes) que les autres (qui durent entre 13 et 14 minutes, sachant que les deux derniers sont très liés – 25 minutes à eux deux). C’est une histoire mythique et tragique, qui rappelle un peu la mythologie des Amazones et une des légendes fondatrices de l’identité nationale. Si Smetana écrivit l’opéra Libuše, Janáček écrivit en 1887 Šárka, son premier opéra, révisé et créé seulement en 1925. L’histoire de Šárka est tragique et part de la création par la princesse Libuše de la dynastie des Přemyslides qui régna en Bohème jusqu’au XIVe siècle. Quand elle mourut, les femmes restèrent furieuses d’avoir été évincées du pouvoir par les hommes et ces femmes guerrières voulaient les combattre. Šárka qui a été trompée par son mari veut se venger des hommes et imagine un stratagème : un jeune noble, Ctirad, s’était engagé à combattre ces femmes et Šárka en s’attachant à un chêne l’attira, il la libéra, et ils se déclarèrent leur amour, et elle l’endormit avec de l’hydromel. Šárka donna alors un signal précédemment convenu à ses compagnes qui massacrèrent Ctirad et ses compagnons (il y a des variations à cette histoire, sanglante de toute manière). Le poème est moins populaire que les deux précédents, il est plus rude, plus abrupt et Petrenko ici en chef de théâtre traduit cette brutalité.
Petrenko en fait un micro drame, tendu, mystérieux, urgent, qui se termine par un massacre (une sorte de victoire du matriarcat sur le patriarcat). Là encore il privilégie le drame dans ce qui est un récit musical où la narration musicale ne se limite pas à une description en superficie, mais où chaque voix secondaire est mise en lumière, comme pour donner tous les ressorts dramaturgiques de cette histoire de trahison où les instruments deviennent comme des personnages au service de cette histoire d’embuscade, mystérieux bruissements et légèreté des cordes, clarinette (du soliste invité Tomaž Močilnik, clarinette solo de l’orchestre de la Radio de Hesse  – Hessischer Rundfunk Sinfonieorchester Frankfurt) pour rugir en fin de pièce en explosion et accord final d’une manière brutale et définitive : stupéfiant .
De même La Moldau courait entre deux histoires mythiques, de même la quatrième pièce, Z českých luhů a hájů (Des bosquets et des champs de Bohême) décrit un paysage pastoral, inspiré à l’évidence de Beethoven entre le drame mythique de Šárka et les deux pièces conclusives directement liées à la révolte des Hussites. Alternance histoire et mythe et paysages, mais on le sait, en art, un paysage est toujours un état d’âme et donc tout se tisse en écho.
Contrairement à ce que l’on peut lire de ci de là, Kirill Petrenko n’est jamais un analyste froid de partitions qu’il essaie de rendre note à note avec une sorte de souci d’objectivité dépourvue de pathos et d’engagement. Il est clair que ce type d’œuvre, nous avons vu pourquoi plus haut, ne peut que le toucher, mais à la différence d’une lecture extérieure qui viserait à glorifier un drapeau la main sur le cœur et qui vendrait la patrie tchèque de manière démonstrative et au total, vulgaire, il veut donner à cette partition une valeur artistique qui dépasse la circonstance pour atteindre à l’universel. Faire émerger les tréfonds du texte musical grâce à un souci permanent de chaque couleur, grâce à une exaltation (et dans ce mouvement en particulier) des raffinements et du rendu des procédés musicaux, aussi bien le fugato que la danse, qu’il affectionne, avec cette volonté de travailler sur le motif de la Polka, d’abord anodin, d’abord souriant, d’abord illustratif, qui se tend jusqu’à une perceptible agressivité, comme l’expression d‘une douleur, avec des expositions singulières des instruments qui stupéfient toujours, ici les cordes aux raffinements extrêmes, dont le son s’efface pour laisser place aux clarinettes puis aux bassons, aux hautbois et à la flûte en un paysage d’une indéfinissable nostalgie. On entend par bribes des reprises de rythmes déjà entendus dans La Moldau mais aussi une musique qui s’élargit comme saisie d’optimisme. Il y a là un sens de la fresque aux confins larges, avec des ruptures, des heurts aussi, Petrenko n’oublie pas de prendre en compte non seulement le discours, ce qui est dit, mais celui qui dit et comment il le dit… Il y a comme des moments étourdis, puis nostalgiques, puis plus dramatiques (j’évoquais les changements de couleur de la polka plus haut), comme correspondant à des tourments intérieurs.  Par moments on est au seuil de certains moments mahlériens où les paysages décrits deviennent exploration toute intérieure … Sans jamais nous assommer de son, Petrenko montre que la tension ne quitte jamais l’œuvre, un état d’âme écrivais-je plus haut.

Dernière partie, sans doute la plus tragique et la plus tendue, référencée à la révolte hussite. Le cinquième poème, Tábor, fait référence à une ville du sud de la Bohème où se réfugièrent les plus radicaux des hussites.
Les révoltes hussites viennent des réformes religieuses de Jan Hus considéré comme précurseur de la Réforme, elles deviennent rapidement une sorte de réveil national tchèque contre l’Empire, et derrière la guerre de religion, il y a aussi la revendication nationale. D’où la tension de ces deux derniers mouvements dont le cinquième commence par une citation du Choral hussite « Vous qui êtes des combattants de Dieu » qui figure aussi dans la dernière partie Blanik.
Il n’y faut pas voir seulement un descriptif de réveil nationaliste avec la citation des guerres contre les hussites qui ainsi termineraient l’œuvre comme l’évocation d’un espoir construisant un pont entre les guerres hussites du début du XVe siècle et la situation de cette fin du XIXe, qui les prolongerait. Il y a à l’évidence notamment au début de Tábor quelque chose d’austère et de sombre qui renvoie à l’exigence de pureté religieuse et de pureté « patriotique », peut-être. Il y a à l’évidence du pathos, que Petrenko n’aime pas trop en général…Mais en liant étroitement Tábor et Branik le sixième poème qui revient à un espoir, à une vision un peu plus bucolique, qui cite aussi de nouveau le thème du premier poème Vyšehrad, Il y a comme une œuvre qui se clôt sur elle-même, comme cyclique, ce qui a fait dire à Petrenko que Mà Vlast est un Ring des Nibelungen tchèque, se terminant en une vision plus ouverte, plus optimiste, plus utopique.
C’est paradoxal, mais c’est dans cette musique habituellement considérée comme le moment le plus faible (et le moins connu) de l’ensemble, que Petrenko va travailler sur la douleur, sur l’âpreté, sur les heurts, car il fait de l’évocation de cette lutte des hussites un discours très personnel de Smetana sur le malheur de son destin, lui qui a perdu enfants et épouse, et qui devenu sourd en 1874, ne peut pas entendre ce qu’il compose, et en fait une grande bataille intérieure, la grande bataille des déchirures personnelle, montrant ainsi en fin de parcours  non seulement la fresque vaste entre nature et histoire, mythe et drame, mais aussi l’âme frappée par le destin, un destin douloureux qui traverse toute l’œuvre et lui donne ces couleurs à la fois optimistes et nostalgiques, mais aussi tragiques.
J’ai trouvé que c’était dans ces deux derniers mouvements que Petrenko se montrait le plus personnel, évitant le démonstratif, car il fait de l’évocation des combats de Hus l’évocation d’autres combats lacérants du compositeur, ce qui donne à ces derniers moments une urgence jamais superficielle (une accusation qui est souvent adressée à cette musique) et toujours bousculée, heurtée, terriblement et profondément sensible et humaine. Le final peut être vu comme une « terre promise », Petrenko en fait presque une sorte de libération intérieure, de victoire de celui qui aurait réussi enfin à unifier son destin, lui qui avait commencé une vie dissociée entre deux cultures, celle de « Friedrich » et celle de « Bedřich », et affirmer enfin une sorte de Moi unifié triomphant malgré l’adversité et qui peut porter enfin son « identité » tchèque.
Concert en tous points stupéfiant.

 

 

 

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.
Crédits photo : © Manuela Jans / Lucerne Festival
© Stephan Rabold /Berl.Phil.

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