FRANZ SCHUBERT (1797–1828)
Adelaide, D. 95
Epistel "An Herrn Josef Spaun, Assessor in Linz", D 749

GIOACCHINO ROSSINI (1792–1868)
La Lontananza

VINCENZO BELLINI (1801–1835)
Quando inciso sul quel marmo

CAMILLE SAINT-SAËNS (1835–1921)
Aimons-nous

FRANZ LISZT (1811–1886)
Im Rhein, im schoenen Strome

HUGO WOLF (1860–1903)
Ganymede

CLAUDE DEBUSSY (1862–1918)
Le Balcon
Paysage sentimental

RICHARD STRAUSS (1864–1949)
Lieder, Op. 37 : VI. Hochzeitlich Lied
Der Krämerspiegel, Op. 66, No. 10, Die Künstler
Der Krämerspiegel, Op. 66, No. 3, Es liebte einst ein Hase

REYNALDO HAHN (1874–1947)
Fêtes galantes
Les Fontaines

ARNOLD SCHÖNBERG (1874–1951)
Brettl-Lieder : No. 4, Jedem des Seine
Brettl-Lieder : No. 6, Galathea

RICHARD STRAUSS (1864–1949)
Cäcilie, Op. 27 No. 2

Bis :
MARIO LANZA (1921–1959)
Bonjour ma belle

FRANZ LISZT (1811–1886)
Enfant, si j'étais roi S.283

Strasbourg, Opéra National du Rhin, 7 décembre 2019

On connaît l'adéquation de Michael Spyres avec le répertoire romantique, comme l'a prouvée récemment son interprétation dans la Damnation de Faust donnée et enregistrée avec l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg avec Joyce DiDonato et John Nelson. Ce récital en compagnie de Roger Vignoles donne l'occasion de l'entendre dans une gamme assez large de compositeurs et de styles, entre mélodies, chanson de cabaret et lieder. Succès garanti.

Michael Spyres a toujours su concilier l'intelligence du chant avec les choix de ses rôles, dans des domaines et des répertoires en déshérence notoire. S'il est désormais connu pour ses interprétations dans le bel canto français, marchant dans les pas du légendaire Adolphe Nourrit et de références plus récentes, à commencer par ses compatriotes américains Chris Merritt et Rockwell Blake. Le récital de mélodies qu'il donne à l'Opéra National du Rhin navigue sur une vaste étendue du répertoire romantique, de Franz Schubert à Richard Strauss. Le nom d'Arnold Schoenberg aurait pu faire naître l'espoir d'une incursion sur des rivages plus escarpés, mais il ne s'agira ici d'œuvres très éloignées de l'écriture sérielle. Alors certes, on pourra être déstabilisé par l'absence d'un orchestre capable installer un climat et une rivalité avec cette voix solaire. Il est vrai que le piano très appliqué de Roger Vignoles pourra çà et là lester la ligne de chant d'un continuum appuyé.

On connaît la version Beethoven du poème Adelaide de Friedrich von Matthison. Contrairement à son illustre aîné, Schubert traite son matériau en longues tenues qui donnent ici l'occasion de faire entendre des aigus qui méritent encore une montée en température capable d'en exprimer toute la richesse. Il faudra auparavant affronter les falaises escarpées de l'Epître "An Herrn Josef Spaun , assessor in Linz". Spyres aborde ce morceau de bravoure avec une santé et un enthousiasme qui fait fi d'une écriture redoutablement difficile, entre aigus dévissés ("Doch uns, Barbar, hast du dein Herz entzogen !") et ambitus délirants dans l'aria ("Schwingt euch kühn, zu bange Klagen") qui exposent autant la voix que le piano.

Plus espiègle et tombant plus naturellement dans l'italianité de sa voix, la vibrante Lontananza, extraite des Péchés de jeunesse de Rossini donne au ténor l'occasion de faire entendre une palette à la fois tendre et soutenue avec un point d'orgue qui pourra sembler un rien esquivé en comparaison la montée qui y prépare. Le classique Quando inciso sul quel marmo de Bellini finit de nous convaincre de la parfaite adéquation de ce répertoire et les moyens expressifs mis en jeu. Les roulis de Im Rhein, im schönen Strome de Liszt et le languissant Aimons-nous de Camille Saint-Saëns lui fournissent l'occasion d'exposer l'éclat du timbre dans un registre où l'expression verse dans la largeur des plans plutôt que dans la virtuosité abrupte. Débarrassé de ces exigences techniques, la voix déploie un phrasé allemand et français d'une belle et noble facture. Délibérément plus diseur et plus ancré dans la prononciation, l'art poétique du Ganymed de Wolf exige davantage qu'un beau chant. Michael Spyres doit ici affronter une rude concurrence mémorielle qui impose des interprètes dont le timbre et l'ambition désignent plus naturellement dans le domaine du lied.

Que penser de ce Balcon et ce Paysage sentimental de Debussy ? Déjà, qu'on ne saurait confondre ce français-là avec celui, volontiers poseur et naïf d'Aimons-nous. Michael Spyres passe à côté des allitérations de ces vers comme "Les soirs illuminés par l'ardeur du charbon" ou "La nuit s'épaississait ainsi qu'une cloison" dans lesquels Debussy infusait une science du sonore et de la couleur qui rendent à la perfection et sans l'épaissir la prosodie de Baudelaire. Paysage sentimental sonne invariablement bien chantant mais aussi plus frustre et planté dans l'aigu, comme observé de loin et sans lien. La transition vers Strauss achoppe en partie sur les mêmes remarques. Au-delà du fait que le timbre est magnifique, on peut douter de la pertinence à en exposer la vaillance par une projection qui verse dans l'héroïsme là où il est surtout question de mettre en valeur le sens et l'émotion (Die Künstler et Es liebte einst en Hase).

Un piano souvent mécanique déséquilibre l'humeur badine d'une voix qui sait comment ne pas trop boutonner Les Fêtes galantes et Les Fontaines de Reynaldo Hahn pour leur donner un galbe suffisant qui sait ne pas les confondre avec une expression plus facile et vulgaire. Trop confortablement chantés pour être suffisamment salonards et corsés, Jedem des Seine et Galathea font entendre un Arnold Schoenberg de 27 ans qui cherche encore son langage dans des Brettl-Lieder qui regardent une dernière fois dans le miroir d'un romantisme qui se fâne. Cette sagesse relative présente l'avantage de préparer la voix à l'ultime et périlleux Cäcilie de Strauss. La prise de risque est évidente et même s'il est raisonnable de mettre les limites audibles sur le compte de la fatigue, on ne peut s'empêcher de penser à Nicolai Gedda qualifiant ce lied de suicidaire et refusant de le chanter, même en studio d'enregistrement.

Deux bis – le pétulant Bonjour ma belle de Mario Lanza et Enfant, si j'étais roi de Liszt ‑viennent conclure ce récital. Une dernière occasion de saisir la façon inimitable dont Michael Spyres sait se mettre le public dans la poche, dans un registre qui met en valeur ses qualités sans sacrifier à l'exigence de l'interprétation.

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David Verdier
David Verdier Diplômé en musicologie et lettres modernes à l'université de Provence, il vit et enseigne à Paris. Collabore à plusieurs revues dont les Cahiers Critiques de Poésie et la revue Europe où il étudie le lien entre littérature et musique contemporaine. Rédacteur auprès de Scènes magazine Genève et Dissonance (Bâle), il fait partie des co-fondateurs du site wanderersite.com, consacré à l'actualité musicale et lyrique, ainsi qu'au théâtre et les arts de la scène.
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