Invité pour la quatrième fois au festival de Peralada où les ténors sont rois, Juan Diego Florez n’était pas seul cet été sur la scène de l’Auditorium en plein air du parc du château. Est-ce par paresse, par amitié, ou pour faire la promotion d’une voix nouvelle, que le chanteur a accepté de partager l’affiche avec le soprano Ruzan Mantashyan ? Difficile de le savoir. Pour sympathique qu’il soit, ce choix n’est pas forcément le plus heureux pour le public venu principalement pour entendre un artiste finalement flanqué d’un faire-valoir.
Car si la soprano arménienne Ruzan Mantashyan est très agréable à regarder, sa diction déficiente, ses aigus en force et ses interprétations sommaires ou tristement banales qu’il s’agisse de Lucia, de Marguerite ou de Mimi, la desservent au lieu de mettre en valeur les quelques potentialités de sa personnalité. Sa modestie est heureusement à mettre au crédit de la jeune musicienne qui veille à accorder son chant sur celui de son partenaire, que l’on a connu en meilleure forme vocale, et de tenter d’éviter les dérapages, en raison d’un manque flagrant de répétition. La bienveillance du chef Guillermo Garcia Calvo est d’un grand secours, celui-ci réussissant à masquer les faiblesses passagères de son duo, tout en montrant les qualités de l’Orchestre symphonique Del Vallès dans les pages orchestrales spécialement choisies et en particulier une très bonne ouverture de Mignon.
Seul, Florez a d’abord exécuté (comme en 2015 sur cette même scène) un remarquable « Ah lève-toi soleil » et prouvé que la tessiture de Roméo lui était encore autorisée grâce à ce timbre solaire et à ces longs phrasés pétris d’élégance, à la différence de celle de Faust dont le « Salut demeure chaste et pure » lui pose aujourd’hui quelques problèmes de projection, d’assise et de stabilité dans l’aigu.
Ses récentes incursions dans Guillaume Tell, Les Huguenots ou Orphée et Eurydice ont marqué un changement dans la carrière du ténor, celui-ci ayant décidé de s’éloigner progressivement des partitions rossiniennes ornementées (à l’exception d’Almaviva du Barbiere di Siviglia qu’il chantait encore à Vienne en mai dernier) dans lesquelles il s’était fait connaitre, pour des rôles plus centraux, moins exposés et donc plus dramatiques, en phase avec l'évolution de son instrument. Après un essai jugé peu concluant, Florez a remis à son répertoire Le Duc de Mantoue (Rigoletto) tout en s'attaquant à Alfredo de La Traviata (au MET la saison dernière), deux Verdi qu'il souhaite approfondir parce qu'ils correspondent aujourd’hui aux tonalités de sa voix, qui ne s'est certes pas beaucoup élargie avec le temps, mais qui lui a permis de passer avec succès à Werther et à Manon, dont l'écriture lui permet de mettre en valeur son cantabile et sa transparence. Seul l'épisode des Huguenots abordés à Berlin en 2015 devrait rester sans lendemain, en raison de la longueur et de la difficulté du rôle de Raoul.
Après Gounod et l’opéra français qui occupe désormais une grande partie de son répertoire (avec Werther et Hoffmann), même constatation avec l’opéra italien ; si Florez est assurément un Rodolfo élégant et juvénile, ce dernier échoue en Edgardo (Lucia di Lammermoor) dépassé par la tessiture centrale de l’air final « Tombe degli avi miei » qu’il ne peut racheter par un engagement et une fougue qui lui auraient été utiles. En duo avec Ruzan Mantashyan, le ténor sort indemne de « Nuit d’hyménée » qui surprend les jeunes amoureux, Roméo et Juliette, au lever du jour, ainsi que du séduisant « Nous irons à Paris » extrait de Manon de Massenet où l’alliance des deux timbres et une certaine complicité artistique se marient joliment. Chanté sans la moindre intention, presque à contrecœur, expédié sans être donné dans son intégralité, le duo d’amour « Verrano a te sull’aure » de Lucia di Lammermoor est en revanche indigne.
Des rappels égrenés avec insistance, nous sauverons en premier lieu un délicieux duo tiré d’El gato Montès de Manuel Penella Moreno « Vaya una tarde bonita Torero », tout à coup plus naturel et détendu, ainsi que l’habituel « Granada » que Florez transforme en véritable numéro de music-hall ; sans intérêt le « Babbino caro » de la soprano ; agaçant les trois chansons espagnoles accompagnées à la guitare par le ténor, dont la sempiternelle « Cucurrucucu Paloma » ; amusant, son dernier bis musclé, un glorieux « Nessun dorma » de Turandot destiné à enflammer l’auditoire et « faire le show ». Mission presque réussie !