Georges Bizet. Portrait. Palazzetto Bru Zane. Quatre disques enregistrés entre mars 2022 et juin 2024

Collection « Portraits » | Bru Zane
Volume 6 | BZ 105

4 CD – 159 pages 32,99 €
Avec sept premiers enregistrements mondiaux

 

Publication le 14 mars 2025

Bizet ne se résume pas à « Toréador, en ga-a-arde », et il reste bien des choses à découvrir dans sa production d’avant Carmen. C’est ce que propose le « Portrait » que consacre au compositeur le Palazzetto Bru Zane, exhumant des partitions oubliées avec lesquelles Bizet fit ses premières armes et dans lesquelles il lui arriverait de puiser. Avec, comme toujours dans le cas du Centre de musique romantique française, une pléiade de talentueux chanteurs et de non moins admirables orchestres, chefs et pianistes.

 

En ajoutant cet hiver un sixième « Portrait » à une collection lancée depuis quelques années, le Palazzetto Bru Zane n’en rompt pas moins avec ses propres pratiques. Certes, l’année 2025 permet de commémorer deux événements séparés par quelques mois à peine : en mars, les cent cinquante ans de Carmen, et en juin, le cent-cinquantième anniversaire de la mort prématurée de Georges Bizet. Pourtant, la rupture est nette puisque, car en consacrant au compositeur un « Portrait » en quatre disques, le Centre de musique romantique française accueille pour la première fois dans cette série un nom mondialement connu, un créateur qui n’a pas forcément besoin d’être défendu à bout de bras, pourrait-on penser. Autre innovation, ce « Portrait » inclut une œuvre scénique intégrale, qui occupe tout le premier disque de l’album. Et puisqu’il propose aussi deux cantates, dont celle qui, en 1857, valut à Bizet son séjour à la Villa Médicis, on peut aussi y voir comme une résurgence de la (défunte ?) série consacrée au Prix de Rome, qui s’est (provisoirement ?) interrompue avec Gounod en 2017.

Jusqu’ici, Bizet n’avait guère attiré l’attention du PBZ. Rien d’étonnant à cela : à quoi bon voler au secours de la victoire, puisque Carmen est déjà l’opéra le plus joué au monde ? Pourtant, si Les Pêcheurs de perles semble toujours occuper une place solide au répertoire des maisons d’opéra, on ne saurait en dire autant des autres œuvres scéniques de Bizet, et La Jolie Fille de Perth ne court vraiment pas les rues, et on ne parle même pas d’Ivan IV ou de Don Procopio. Seul Le Docteur Miracle ne se porte pas trop mal. Bien sûr, il y eut dans sa carrière un certain nombre de projets scéniques perdus ou avortés : La Coupe du roi de Thulé en 1868, une Clarisse Harlowe en 1870, une Grisélidis peu après, un Don Rodrigue en 1873. Qu’on se rassure : il en reste des fragments, et Bizet eut soin de recycler le maximum de matériau, en transformant en mélodies les airs destinés à ces divers opéras. Parmi le choix de mélodies avec piano gravées sur le troisième disque du coffret, on trouve ainsi « Aimons, rêvons ! », d’après un passage de La Coupe du roi de Thulé, ainsi que « La Nuit » et « Si vous aimez », qui proviennent de la Clarisse Harlowe susmentionnée ; la quatrième galette y ajoute « Voyage », tiré du même opéra, et « Le Matin », qui adapte un morceau de L’Arlésienne.

Autre preuve que Bizet ne laissait rien perdre : dans l’ode-symphonie Vasco de Gama, conçue en 1863 sur le modèle des œuvres de Félicien David (compositeur auquel le Palazzetto avait consacré son quatrième « Portrait ») et qui n’alla pas plus loin que la première des trois parties prévues, ce qui ne l’empêcha pas de faire carrière au concert, on entend « Ouvre ton cœur » qui fut réemployé en 1862 dans Ivan IV. Toutes ces partitions de jeunesse, si l’on peut employer cette expression pour un compositeur décédé à 36 ans, étaient naturellement autant de sources où il pouvait puiser allègrement. Le coffret ne réunit pourtant pas que des œuvres « immatures » puisque l’on y entend Djamileh, créé à l’Opéra-Comique en 1872, soit l’œuvre qui précède immédiatement Carmen – on exclut la musique de scène pour L’Arlésienne, nécessairement fragmentaire. Par la force des choses, toutes ces partitions sont « pré-Carmen » mais, pour les plus anciennes parmi toutes celles qu’on trouve ici enregistrées, la composition remonte vraisemblablement aux années 1850, soit à l’adolescence de Bizet, sans qu’on puisse les dater plus précisément.

Autrement dit, on trouve un peu de tout sur ces quatre disques, du bien connu autant que de l’inédit. Djamileh n’en est pas à son premier enregistrement, mais la discographie inclut quelques aberrations notoires, pour cause d’interprètes choisis en dépit du bon sens (on pense notamment à la version associant Lucia Popp et Franco Bonisolli à Jean-Philippe Lafont, le seul dont la présence se justifie). Sous la direction pleine de finesse de François-Xavier Roth, cet opéra-comique trouve des interprètes on ne peut plus idoines, de la parfaite Isabelle Druet dans le rôle-titre à Sahy Ratia en Haroun en passant par Philippe-Nicolas Martin.

Les mélodies de Bizet ne relèvent pas non plus de l’inconnu. « Les adieux de l’hôtesse arabe » sont depuis longtemps connu comme un sommet du genre. Dans un disque remarqué, Cecilia Bartoli avait montré que « La coccinelle » méritait autant d’égards. Une intégrale en trois CD paraîtra en mai prochain, également sous l’égide du PBZ, et le présent « Portrait » ne prétend pas offrir davantage qu’une sélection d’une quinzaine de titres, délicatement interprétés par Adèle Charvet et Reynoud van Mechelen (deux artistes qui n’ont pas participé à l’intégrale à venir).

Même Clovis et Clotilde, la cantate qui valut à Bizet le Prix de Rome, avait été gravée une première et unique fois, sous la direction de Jean-Claude Casadesus, dans les années 1980. Mais par quelle aberration était-on allé chercher Montserrat Caballé pour participer à cet enregistrement ? La nouvelle version, confiée à Julien Chauvin à la tête de son Concert de la Loge, propose en Clotilde une Karina Gauvin au timbre tout aussi capiteux, mais à la diction autrement plus claire et aux intuitions dramatiques plus nettes, entourée des excellents Julien Dran et Huw Montague Rendall.

Le reste n’est en revanche que découverte. Si Vasco de Gama n’offre que peu à chanter à Thomas Dolié dans le rôle-titre, cette œuvre permet notamment de savourer les interventions de la soprano Mélissa Petit, au timbre corsé ; toujours avec l’Orchestre national de Metz Grand Est sous la baguette de David Reiland, on la retrouve dans d’étonnantes pages pour chœur et orchestre, qu’elle partage avec Cyrille Dubois. Le ténor brille surtout dans « Le Retour de Virginie », cantate composée à titre d’entraînement pour le Prix de Rome, où Marie-Andrée Bouchard-Lesieur lui donne la réplique, ainsi que Patrick Bolleire, soutenus par l’Orchestre national de Lyon dirigé par Ben Glassberg.

Ces disques aux généreux minutage sont complétés par des pièces pour piano, interprétées par Celia Oneto Bensaid ou Nathanaël Gouin, dont les curieuses réductions de chœurs de Gounod (les magnanarelles de Mireille ou les soldats de Faust, entre autres). A quoi s’ajoute aussi une Ouverture en la mineur pour orchestre, qui témoigne de la précocité du talent de Bizet mais dont ignore exactement la date de composition.

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Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.

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