Gluck.
Armide.
Avant-Scène Opéra n° 330,
Extraits audio avec l'appli.
Septembre-octobre 2022.
ISBN 978–2‑84385–413‑2, 28 euros

Auteurs :

Jules Cavalié, Julien Garde, Philippe Quinault (Livret original).
Torquato Tasso (Extraits de la Jérusalem Délivrée), Nathanaël Eskenazy,
Raphaëlle Legrand, Pierre Girod

Parution du n°330 de l'Avant-Scène Opéra, septembre-octobre 2022 : Armide de C.W. Gluck

Gluck a de la chance cet automne à Paris : tandis que, sous l’égide du CMBV, son Iphigénie en Aulide sera donnée en concert au Théâtre des Champs-Elysées en octobre, et enregistrée au passage pour le label Alpha, la plus rare Armide connaît enfin une reprise scénique, à l’Opéra-Comique en novembre, et c’est l’occasion pour L’Avant-Scène Opéra d’accueillir un nouveau titre, sous le numéro 330, avec tout le confort auquel sont désormais habitués les fidèles lecteurs de l’ASO.

Avec cette toute nouvelle Armide, la présence de Gluck s’affermit un peu plus dans ce temple qu’est L’Avant-Scène Opéra : il ne manque désormais plus qu’un volume consacré à Iphigénie en Aulide, et les cinq titres grâce auxquels le Chevalier se maintient au répertoire auront eu droit à la consécration (hélas, le délicieux Echo et Narcisse n’est plus guère programmé, et les opéras italiens antérieurs à la « réforme » sont des raretés absolues à la scène). Orphée avait logiquement ouvert le bal, dès 1979, et a porté le numéro 23 jusqu’à sa refonte en 1999, sous le numéro 192. Avait suivi, en 1984, Iphigénie en Tauride, n° 62 qui se languit encore dans l’attente d’une nouvelle édition, le volume original étant épuisé et uniquement disponible en PDF. Alceste, numéro 73 paru en 1985, a en revanche eu la chance d’être métamorphosé en 256 par sa nouvelle version de 2010. Autrement dit, il s’est écoulé près de quarante ans avant qu’un autre titre de Gluck soit jugé digne d’entrer dans ce corps savant, ce qui en dit long sur l’évolution du répertoire des maisons d’opéra.

Bien sûr, c’est le spectacle à l’affiche en novembre prochain Salle Favart qui a motivé ce choix, car il faut bien reconnaître que, pour être devenues nettement plus nombreuses depuis une quarantaine d’années, les représentations de cette Armide n’encombrent pas encore les théâtres, et Paris n’avait plus eu droit à une version scénique depuis… 1905 ! L’autre Armide francophone, « l’Ur-Armide » pourrait-on dire, celle de Lully, a connu deux productions différentes dans la capitale, à chaque fois au Théâtre des Champs-Elysées, celle de Philippe Herreweghe/Caurier-Leiser avec Sylvie Brunet en 1992 et celle de William Christie/Robert Carsen avec Stéphanie d’Oustrac en 2008. On aurait même pu rêver d’un numéro double associant les deux opéras, celui de 1686 et celui 1777, tous deux composés sur le même livret de Quinault, mais cela aurait sans doute été difficilement réalisable car il eût fallu un double Guide d’écoute, une double iconographie (seule la discographie en aurait été plus étoffée, les versions de l’une comme de l’autre ne se bousculant pas encore vraiment).

En effet, comme le rappelle opportunément Julien Garde dans son Introduction, l’Armide de Gluck est la première de tout un bouquet d’œuvres commandées à la fin des années 1770 par l’Académie royale de musique, qui tâchait d’aiguiser la curiosité du public en proposant des opéras nouveaux sur des livrets anciens, vague qui inclut notamment un Roland et un Atys signés Piccinni, ou l’Amadis de Johann-Christian Bach, tandis qu’en parallèle étaient présentées comme « de Lully » des réécritures quasi-totales de ses partitions comme le Persée de 1770 et surtout l’Armide de 1778, récemment révélées par le CMBV. Le Guide d’écoute est écrit avec science et clarté, et l’on apprécie de retrouver un musicologue aux commandes de cette section essentielle, qui constitue l’ossature du volume.

Les « Regards sur l’œuvre » fournissent opportunément tout le contexte nécessaire, et même au-delà. C’est d’abord un extrait de La Jérusalem délivrée dans une traduction parue en 1774 et due à Charles-François Lebrun, duc de Plaisance, alors secrétaire de Maupeou et grand amateur d’épopée puisqu’il mit aussi en français L’Iliade et L’Odyssée. Bien entendu, il est inévitable de revenir sur l’Armide de Lully : c’est ce que fait Nathanaël Eskenazy, qui part de cette première (?) adaptation lyrique du chef‑d’œuvre du Tasse pour examiner de plus près ce que les librettistes successifs ont retenu du poème pour le porter sur la scène lyrique, l’Italie du XVIIIe siècle continuant à mettre en avant le côté merveilleux de l’intrigue, jusqu’à l’Armida de Rossini en 1817.

Raphaëlle Legrand se penche sur les différentes querelles au sein desquelles Gluck se retrouve pris bien malgré lui une fois arrivé à Paris, ville des cabales et des coteries : Anciens contre Modernes, France contre Italie, et bientôt Gluckistes contre Piccinnistes. Après avoir choqué avec son Orphée proposé en 1776, Gluck devait bientôt faire figure de chef de file des partisans de la tradition française contre cette modernité étrangère qu’allait incarner Piccinni.

On pourrait s’étonner de trouver ensuite un article consacré à Lucienne Bréval. Certes, cette grande wagnérienne, fleuron de l’Opéra de Paris à la Belle-Epoque, pour qui Massenet et d’autres ont conçu certaines de leurs partitions, fut la protagoniste de la reprise d’Armide en 1905, mais que pouvait-il y avoir de commun entre son art du chant et ce qu’on peut imaginer avoir été celui de Rosalie Levasseur, la créatrice en 1777 ? Pierre Girod s’acquitte brillamment de cette mission impossible, en retraçant toute une filiation qui passe notamment par Caroline Branchu, héritière de la Saint-Huberty qui avait succédé à la Levasseur, Auber ayant religieusement transmis les indications de Mme Branchu à la soprano Amélie Rey, qui chanta le rôle d’Armide au Conservatoire en 1855. On apprend au passage que l’opéra de Gluck aurait dû être donné à Paris en 1866, avec une interprète dûment préparée par Berlioz et Saint-Saëns, puis en 1870, projet annulé pour cause de guerre franco-prussienne, où Armide aurait été confiée à Marie Sasse, créatrice du rôle d’Elisabeth dans la version de 1861 de Tannhäuser. On en vient ainsi à se faire à l’idée d’une passerelle possible de Gluck à Wagner, la critique de 1905 ne tarissant pas d’éloges sur la noblesse de Mme Bréval (dont l’interprétation devait ressembler à celle qu’avait proposée une autre grande wagnérienne, Félia Litvinne, en 1904 dans les arènes de Béziers).

La discographie est forcément maigre, puisque seules deux versions semblent actuellement disponibles (et aucun des spectacles récents n’a eu droit à une commercialisation en DVD, ce qui est bien dommage pour la magistrale production montée par Barrie Kosky à Amsterdam en 2013). Olivier Rouvière se montre très sévère avec Mireille Delunsch dans le rôle-titre et presque autant avec la direction de Marc Minkowski, qualifiant de « version d’attente » l’intégrale parue en 1996. On se prend alors à espérer que Lilo Baur sera inspirée pour sa mise en scène à l’Opéra Comique en novembre prochain, lorsque Christophe Rousset sera à la baguette et Véronique Gens sur les planches, et qu’une captation vidéo viendra rendre Armide un peu plus visible.

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Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.

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