Avant de retrouver le San Carlo en 1822 pour présenter aux napolitains son nouvel opera seria, Zelmira, Rossini répond à une commande romaine : ce sera Matilde di Shabran ossia Bellezza, e cuor di ferro. Par crainte de ne pouvoir remettre sa partition à temps au directeur du Teatro Apollo, le jeune compositeur très occupé, n’hésite pas à confier la rédaction des récitatifs à un assistant et à s’entourer de Giovanni Pacini à qui il demande d’écrire plusieurs airs, sans hésiter à puiser abondamment dans ses propres compositions pour recycler différentes pages issues de Ricciardo e Zoraide ou de La donna del lago, l’ouverture provenant en partie de celle d’Eduardo e Cristina. L’action située en Espagne centrée sur le couple Corradino/Matilde que tout oppose, se termine en lieto fine après plus de trois heures de musique à la virtuosité savante et débridée.
A la différence de Pesaro où les grands noms du bel canto ont toujours eu leurs loges, le Festival Rossini de Wildbad mise sur les talents de demain. Michele Angelini et Sarah Blanch ont pour eux la fougue, l’énergie et l’insolence de la jeunesse pour se lancer dans une aventure vocale que de nombreux professionnels pourraient trouver risquée. Le premier, ténor americano-italien qui poursuit depuis une belle carrière, interprète Corradino avec beaucoup d’assurance, ne redoutant aucun obstacle et accomplissant un remarquable parcours, même s’il est compréhensible de lui préférer Florez. Si son « Alma rea » est un feu d’artifice, le chanteur est éblouissant de virtuosité aussi bien en solo que dans les nombreux ensembles à l’architecture complexe, où la vitesse, la précision et la flamme de ses exécutions laissent l’auditeur admiratif. Seuls les grands aigus manquent encore d’éclat, la légèreté du timbre expliquant en partie cette défaillance par rapport aux voix plus musclées de Blake, Merritt ou Kunde et de Florez, toujours lui, qui possède l’exact profil vocal du rôle.
Dans le rôle-titre, la soprano Sarah Blanch fait elle aussi des étincelles ; piquante dans son air d’entrée « Di capricci e di smorfiette » la délicieuse artiste s’empare de l’héroïne avec un aplomb confondant et rivalise d’audace dans les duos, trio et sestetto où elle enchaine trilles, vocalises, sauts d’octaves et suraigus arrogants, sans la moindre hésitation, avant de conclure l’opéra sur une scène finale aussi enjouée qu’échevelée sur le plan technique. L’alto russe Victoria Yarovaya n’est pas en reste, offrant après un début mesuré, une prestation très engagée dans le rôle d’Edoardo Lopez, à l’image de celle de la mezzo Lamia Beuque bien distribuée dans celui plus épisodique de la Contessa d’Arco. Rien d’exceptionnel en revanche dans le reste de l’équipe : la basse Shi Song est bien gênée par l’écriture rossinienne, comme le baryton Giulio Mastrototaro (Isidoro) à la voix usée, Ricardo Seguel étant le seul à tirer son épingle du jeu en Ginardo. Dans la fosse, José Miguel Pérez-Sierra est l’homme de la situation, dirigeant d’une main de fer cette longue partition (originale et donc intégrale) semée d’embûches à laquelle il insuffle un tempérament volcanique jusque dans les tempi les plus extravagants, suivis sans faillir par les membres du Passionart Orchestra, sans pour autant perdre un instant de vue les chanteurs. Un maestro à suivre.