Johannes Brahms (1833–1897)

Symphonie n°1 en ut mineur, op.68
Symphonie n°2 en ré majeur, op.73
Symphonie n°3 en fa majeur, op.90
Symphonie n°4 en mi mineur, op.98

Pittsburgh Symphony Orchestra
Direction musicale : Marek Janowski

Pentatone

Format digital uniquement

Enregistré en live au Heinz Hall, Pittsburgh, en 2007

Pour clore l’année Beethoven, le label Pentatone s’intéresse aux successeurs du compositeur en faisant paraître les intégrales des symphonies de Brahms, Mendelssohn et Schumann sous le titre « In the shadow of Beethoven ». Ce sont les symphonies de Brahms qui ouvrent cette série, interprétées par le Pittsburgh Symphony Orchestra sous la direction de Marek Janowski. Une interprétation un peu inégale, qui montre de nombreuses qualités mais ne parvient pas à se hisser au niveau des enregistrements de référence. Une lecture traditionnelle, de bonne tenue, mais qui manque de travail de détail et de fulgurances, et où l’orchestre souffre de la comparaison avec d’autres ensembles au son plus intéressant dans ce répertoire.

 

C’est une idée originale qu’a eue Pentatone en cette fin d’année Beethoven : après avoir célébré les 250 ans de la naissance du compositeur, c’est à ses successeurs que le label s’intéresse avec la parution – au format digital uniquement – des intégrales des symphonies de Brahms, Mendelssohn et Schumann. Enregistrées puis publiées séparément ces dernières années, Pentatone plonge dans ses archives et réunit ces symphonies en un coffret intitulé « In the shadow of Beethoven ».

On pourrait trouver ce titre un peu méprisant pour les compositeurs en question, ou penser qu’il perpétue à tort l’idée d’un Beethoven absolument et indéfiniment insurpassable dans le genre symphonique ; mais après tout ses successeurs avaient conscience du modèle hors-norme qui les précédait. On connaît le mot de Brahms à ce sujet : « Vous ne savez pas quelles sensations nous, les compositeurs, nous éprouvons lorsque nous entendons derrière nous les lourds pas d'un géant comme Beethoven ». Quand on pense que la première symphonie de Brahms a connu quatorze ans de gestation, on le croit aisément ; la légende voudrait même que le musicien ait trouvé une plume sur la tombe de Beethoven, et que ce soit ce signe qui l’ait encouragé, voire autorisé à se mettre au travail : comme s’il lui fallait se justifier d’oser se mesurer à un tel modèle.

Brahms n’en a pas moins signé quatre symphonies devenues absolument incontournables et présentées par Pentatone sous la direction de Marek Janowski dans un enregistrement de 2007 avec le Pittsburgh Symphony Orchestra (tandis que l’intégrale consacrée à Mendelssohn par Andrew Manze et la NDR Radiophilharmonie sera disponible le 8 janvier, et celle consacrée à Schumann par Lawrence Foster et le Czech Philharmonic Orchestra sera disponible le 5 février 2021) ; si incontournables que la dernière intégrale remonte à août dernier seulement, avec les Wiener Symphoniker dirigés par Philippe Jordan et dont nous nous étions fait l’écho sur ce site. Comparaison n’est pas raison, mais on perçoit d’autant mieux les choix d’interprétation de Janowski et les caractéristiques du Pittsburgh Symphony Orchestra, radicalement différent de son homologue viennois.

Car c’est sans conteste une lecture très romantique qui nous est proposée dès les premières pages de la Symphonie n°1 en ut mineur, soulignant la présence des timbales et déployant tout le lyrisme dont les pupitres de cordes sont capables : mais à cette entrée en matière passionnée on préfère le développement où l’orchestre gagne progressivement en allant et en clarté, où la lecture se raffine et où les rythmes pointés et les accents gagnent en incision et en impact. Mais le caractère romantique revient avec force dans l’Andante, où la tonalité rayonnante de mi majeur le dispute sans cesse à la mélancolie des thèmes, dont on retiendra tout particulièrement le très beau chant du hautbois solo, qui se détache mieux qu’aucun autre par-dessus le flot de l’orchestre. Si le troisième mouvement déçoit parce qu’il passe à côté du caractère champêtre de la partition, le dernier mouvement convainc par la beauté du cor, la belle mise en valeur du matériau thématique qui se fragmente et se dissout progressivement, et une coda extrêmement majestueuse, comme il se doit. Si l’œuvre est difficile en raison de la disparité de ses mouvements, la lecture proposée par Marek Janowski, de facture très traditionnelle, parvient malgré tout à faire tenir l’ensemble et à lui conférer une sorte d’unité, grâce à ses élans très lyriques et à la densité du son de l’orchestre.

La Symphonie n°2 en revanche peine à convaincre, et on s’en étonne avec un chef de la stature de Janowski. Le premier mouvement ne manque pas d’élégance dans ses citations du Wiegenlied, mais il n’a pas le lyrisme attendu. Il lui manque surtout de hiérarchiser davantage les différentes voix, de jouer sur les timbres et les couleurs car l’interprétation semble autrement un peu rigide. La remarque vaut particulièrement pour l’Adagio, propre, mais qu’on a connu avec autrement plus de relief. Si le presto du troisième mouvement est certes noté « ma non assai » sur la partition, il manque ici de vivacité et on passe un peu à côté de son caractère dansant, avant un Allegro con spirito efficace mais parfois empesé, et dont les lignes auraient mérité d’être davantage sculptées. C’est dommage car les dernières mesures mettent en valeur un très beau pupitre de cuivres pour achever une symphonie qui a globalement manqué de raffinement dans la lecture, et de travail du détail.

C’est étonnant car l’interprétation de la Symphonie n°3 est tout à fait réussie : l’orchestre fait preuve de beaux effets de texture, d’un legato parfaitement géré aux cordes dans le Poco allegretto, d’une grande précision dans les effets rythmiques, mais aussi, de manière générale, d’une belle gestion des nuances. Le dernier mouvement notamment propose de vrais contrastes dynamiques et fait entendre une variété de couleurs qui nous manquait auparavant, du piano très intimiste au sforzando tragique. Le mouvement est bien construit, suivant un arc expressif bien dessiné, jusqu’aux dernières minutes où le thème se dilue avec un grand raffinement et beaucoup de poésie. Marek Janowski trouve ici un équilibre tout à fait convaincant entre une atmosphère très romantique, avec ses élans et ses excès, et un son d’ensemble harmonieusement ciselé.

La Symphonie n°4 est elle aussi sur la bonne voie : ici encore, on apprécie la qualité des cuivres, et en particulier les appels du trombone dans le premier mouvement ou l’introduction au cor du deuxième mouvement. Ces pupitres donnent beaucoup de relief à un orchestre dont les cordes manquent de couleurs et de rayonnement ce qui, dans un répertoire tel que celui-ci, ne pardonne pas. L’Andante fonctionne justement très bien parce que le chef joue sur un contraste entre les vents, au jeu ici plutôt sec, et les cordes, plus lyriques dans leur phrasé. Le son de l’orchestre devient intéressant grâce au dialogisme créé par le premier thème, solennel – énoncé par les cors, bassons, hautbois et flûtes – et le deuxième thème beaucoup plus doux et chantant – énoncé par les violoncelles – avant qu’ils ne se superposent ; Marek Janowski en tire intelligemment parti pour mettre en valeur ses musiciens. Le troisième mouvement bénéficie de qualités semblables, et rend aussi bien le caractère enjoué que le caractère majestueux de la partition. On regrette ainsi que le dernier mouvement traîne un peu par moments et manque d’inspiration, retombant dans le travers d’un son d’ensemble assez massif et comme d’un seul tenant.

C’est donc une intégrale inégale que l’on peut entendre ici. On ne peut pas nier les qualités de son chef, et il y a même de belles réussites ; l’ensemble est propre, assez engagé, de bonne tenue, mais somme toute bien traditionnel et sans fulgurances, alors qu’on a connu Janowski autrement plus inspiré au disque. Il manque surtout aux cordes du Pittsburgh Symphony Orchestra la clarté et le lyrisme exigés par ce répertoire, et qui font la marque des versions de référence des symphonies de Brahms. La phalange bénéficie en revanche de vents et de cuivres assez remarquables et qui trouvent l’occasion de briller.

Avec « In the shadow of Beethoven », Pentatone interroge le rapport entre Beethoven et ses successeurs, sans cesse comparés et rapportés à leur modèle – ce qui n’a pas empêché certains d’entre eux, Brahms, Mendelssohn et Schumann en tête, de composer des chefs d’œuvre. C’est un peu le même phénomène qui se joue à l’écoute de toute intégrale des symphonies de Brahms, qu’on ne peut s’empêcher de replacer dans une histoire discographique et de comparer à des modèles apparemment insurpassables ; et cela a sans doute porté préjudice à ces enregistrements, même sous la direction d’un chef tel que Marek Janowski.

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Claire-Marie Caussin
Après des études de lettres et histoire de l’art, Claire-Marie Caussin intègre l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales où elle étudie la musicologie et se spécialise dans les rapports entre forme musicale et philosophie des passions dans l’opéra au XVIIIème siècle. Elle rédige un mémoire intitulé Les Noces de Figaro et Don Giovanni : approches dramaturgiques de la violence où elle propose une lecture mêlant musicologie, philosophie, sociologie et dramaturgie de ces œuvres majeures du répertoire. Tout en poursuivant un cursus de chant lyrique dans un conservatoire parisien, Claire-Marie Caussin fait ses premières armes en tant que critique musical sur le site Forum Opéra dont elle sera rédactrice en chef adjointe de novembre 2019 à avril 2020, avant de rejoindre le site Wanderer.
Crédits photo : © Pentatone

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