Entre opéra et droit

Ouvrage collectif sous la direction de Mathieu Touzeil-Divina, avec l’amicale complicité de MM. Bernard Stirn et Christophe Rousset. Préface de Jack Lang.

LexisNexis, novembre 2020, 45 euros

Ouvrage publié en novembre 2020

Que les juristes puissent aimer l’opéra, on ne s’en étonnera pas. Il est moins sûr que l’opéra aime les avocats, les notaires et les juges, même s’il leur fournit amplement matière à disserter, par la multitude de délits et de crimes, de règles et de lois qu’il donne à voir et à entendre. Avec Entre opéra et droit, Mathieu Touzeil-Divina nous invite à explorer les mille et une pistes qu’ouvre l’exploration des rapports entre ces deux univers.

D’un côté, une discipline austère, qui régit le cours de nos vies et décide parfois de notre mort ; de l’autre, celui de tous les arts qui s’éloigne sans doute le plus de notre monde réel à force d’accumuler les moyens de le styliser. Pourtant, la science juridique et l’art lyrique font mieux que coexister, ils sont unis par un mariage aux multiples facettes, comme l’illustre le livre Entre opéra et droit.

Pour célébrer ces noces, il suffisait de la passion d’un de ces êtres qui semblent en être la progéniture : un avocat fou d’opéra, comme l’est Mathieu Touzeil-Divina, professeur de droit public à l’Université Toulouse-Capitole, après avoir été maître de conférences à Nanterre. Ses recherches portent sur le droit administratif français, sur le droit parlementaire et sur le droit public et méditerranéen comparé. A ce titre, il a publié plusieurs ouvrages consacrés à divers aspects de sa discipline, bibliographie dans laquelle on finit par découvrir un volume d’aspect tout aussi sévère que les autres, intitulé Droit et Opéra, provenant de l’Université de Poitiers, codirigé avec Geneviève Koubi, acte d’un colloque « dédoublé » puisqu’il avait eu lieu en partie à Paris en décembre 2007, en partie à Poitiers en mars 2008. Cette « confrontation des mondes lyrique(s) et juridique(s) » soulignait déjà combien « Les liens potentiels, parfois conflictuels – mais le plus souvent apaisés –, entre Droit et Opéra et entre Opéra et Droit sont variés, bigarrés, changeants, chantants… ». Autrement dit, le professeur Touzeil-Divina est un multirécidiviste.

Le présent livre, dont la riche iconographie va bien au-delà de l’ordinaire de nos presses universitaires françaises, s’inscrit en effet dans une longue série de publications, contributions à divers recueils d’articles et directions d’ouvrages. Cette fois, Mathieu Touzeil-Divina a vu les choses en grand : plus de cinquante noms figurent dans la liste des contributeurs, le volume compte 325 pages, il est superbement relié, avec dos toilé et signet ruban, et a été réalisé par l’éditeur juridique (forcément) LexisNexis. On le trouvera donc plutôt au rayon « Beaux Livres », même s’il n’est pas destiné à décorer les tables basses, puisqu’il est également riche de textes variés.

C’est d’ailleurs cette variété qui déconcerte au premier abord. On rencontre dans ces pages aussi bien de fort sérieux écrits consacrés à des aspects administratifs du monde de l’opéra (statuts de ses personnels quant à la rémunération et à la retraite, situation juridique des différents théâtres lyriques de France, définition de la nature des missions dont sont chargées les maisons d’opéra, etc.) que des interviews de juristes ou d’artistes, des portraits de grandes figures du passé, ou encore des essais un peu fantaisistes, qui s’amusent à passer à la moulinette juridique quelques grands titres du répertoire lyrique. Dans cette profusion, le lecteur ne sait trop où donner de la tête, le sommaire n’est pas toujours très précis, et l’on comprend bientôt que ce livre célébrant le mariage improbable du droit et de l’opéra tient des deux à la fois, la rigueur de l’un étant fortement tempérée par la turbulence de l’autre. Qu’à cela ne tienne, on se résignera volontiers à picorer dans cet épais volume qui n’est sans doute pas fait pour être lu de A à Z, mais semble plutôt conçu comme une invitation à butiner, l’insecte lecteur n’ayant qu’à plonger la tête dans les fleurs qui l’attireront le plus.

Il y trouvera forcément de quoi faire son miel, et en ressortira plus savant. Quelques exemples : qui de mieux placé qu’un spécialiste du droit pour faire le point sur les démêlés de Dmitri Tcherniakov avec les ayant-droits de Francis Poulenc ? (on contestera toutefois l’affirmation selon laquelle « le spectateur doit logiquement entendre ce qu’il voit » puisque cela signifierait que doivent tomber sur le plateau les têtes des carmélites chaque fois que, dans la partition, le bruit du couperet interrompt le Veni creator, effet de mise en scène que seul un Faust de sinistre mémoire a jamais tenté). Qui de plus au fait qu’un juriste pour éclairer la ténébreuse affaire des Boréades, et des droits d’exploitation abusivement cédés en 1976 par la BnF (scandale qui a heureusement pris fin en 2018) ? Deux autres articles évoquent les raisons pour lesquelles Rameau souhaitait acquérir les droits sur les livrets qu’il mettait en musique, notamment pour être libre de les remanier, comme il le fit dans le cas de Platée – on apprend ainsi que c’est le compositeur lui-même qui aurait introduit le personnage de la Folie, que n’avait pas prévu le premier librettiste, Autreau. On découvre l’invraisemblable histoire de la « loge Choiseul » de l’Opéra-Comique, privilège encore revendiqué à cor et à cri par les actuels descendants du duc auquel furent achetés les terrains où l’on construisit la première Salle Favart. Il nous est rappelé que les danseuses et chanteuses de l’Académie royale de musique furent en France les premières femmes à bénéficier d’une pension de retraite. Il nous est révélé que Beaumarchais, pour son Barbier de Séville, qui eut la fortune lyrique que l’on sait, se serait très fortement inspiré d’un opéra-comique de Monsigny créé en 1760, intitulé Le Maître en droit, où un nommé Lindor courtise la pupille d’un vieux docteur en droit…

On pourra aussi se laisser porter par ces rêveries où divers juristes évoquent le droit civil et l’opéra (mariages et promesses de mariage, contrats, testaments…), le droit pénal et l’opéra (vols, fraudes, meurtres, viols, qui sont monnaie courante sur les scènes lyriques), parlant des normes dans Norma, ou introduisant avec un régal tout anachronique les règles du droit de la famille dans Le Trouvère.

Bien sûr, la pertinence de certaines contributions peut laisser sceptique (« Ravel et le droit » . Le bilan d’activité de l’Opéra de Paris est peut-être un rien moins objectif du fait qu’il a été rédigé par le président d’honneur de son conseil d’administration. Et parce qu’il faut bien aborder les sujets qui fâchent, on regrettera que ce volume ait manqué d’une relecture plus attentive qui aurait permis d’éviter quelques coquilles croquignolettes (dans le Sommaire, le « Fresichütz » de Weber, vraiment ? P. 238, on nous dit que Berlioz a écrit Les Troyens en 1920 ? P. 23–24, parler de l’opéra « Billy Bud, the sailor », c’est donner à l’œuvre de Britten le titre de la nouvelle de Melville en y ajoutant un déterminant superflu tout en amputant le patronyme du héros de son deuxième D), des passages répétés (deux fois le même paragraphe à la page 288, Gabriel Astruc présenté comme un « élégant toulousain », qualificatif déjà employé, et nettement à meilleur escient, à propos de Victor Capoul) ou des confusions passablement mystérieuses (Pedro Gailhard a participé à la « création du Falstaff d’Offenbach » ????).

Malgré ces détails, nul doute que la lecture de ce foisonnant ouvrage sera stimulante pour plus d’un, notamment parce qu’il pose quelques questions (à quand une femme à la tête de l’Opéra de Paris ?) ou éveille quelques inquiétudes (l’urgence sanitaire pourrait-elle ranimer le contentieux opposant Bastille à l’hôpital des Quinze-Vingts, et compromettre l’achèvement de la désormais mythique salle modulable ?).

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Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.
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