Giuseppe Verdi
La Forza del destino/ La force du destin
Avant-Scène Opéra n° 321.  Extraits audio avec l'Appli ASOpera
Mars-avril 2021, 28 euros. ISBN 978–2‑84385–375‑3

L’œuvre
Points de repères
Argument par Chantal Cazaux
Introduction et Guide d’écoute par Chantal Cazaux
Livret intégral original de Francesco Maria Piave (version de 1869)
Traduction française de Laurent Cantagrel

Regards sur l’œuvre
« Le duc de Rivas : un destin romantique » par Dolores Thion Soriano-Mollà
« La bataille de Velletri, enjeu historique et verdien » par Lucien Bély
« Sources, faiblesses et prétentions d’un scénario » par Jean-Michel Brèque
« L’opéra à deux visages » par Jean-François Labie
« Les jeux de la mort et du hasard : petit lexique de La Force du destin » par Constance Malard et Hélène Malard
« Profils vocaux » par Jean Cabourg
« Six Leonora face à leur destin » par Christophe Rizoud
« Italie, Russie, opéra : un trio à rebondissements » par André Lischke

Écouter, voir et lire
Discographie par Jean Cabourg
Vidéographie par Chantal Cazaux
« L’œuvre à l’affiche » par Olivia Pfender
Bibliographie par Olivia Pfender

 

 

Parution du n°321 de l'Avant-Scène Opéra, mars-avril 2021, consacré à La Forza del destino de Giuseppe Verdi

Retour de La Force du destin au catalogue de l’Avant-Scène Opéra, avec un numéro qui n’est pas une réédition mais bien un volume presque intégralement renouvelé. Mais quand reverra-t-on cet opéra qui devait, en cette fin de saison, être à l’affiche à Toulouse, à Florence et à Berlin ?

A l’automne 1868, au Théâtre des Variétés, le public parisien applaudissait la Complainte du conquérant et de la jeune indienne, reprenant en chœur le refrain « Il grandira, il grandira, il grandira car il est espagnol », flagornerie destinée à l’impératrice Eugénie. Mais la France n’était pas le seul pays où on lorgnait sur le monde hispanique pour trouver l’inspiration d’œuvres lyriques plus ou moins légères. Verdi succomba à plusieurs reprises à la mode de l’espagnolade : en témoignent Ernani, Alzira, Le Trouvère et Don Carlos, mais aussi, bien sûr, La Force du destin, œuvre à laquelle est consacré le nouveau numéro de L’Avant-Scène Opéra.

Après avoir fait l’objet du numéro 126 de la revue, en octobre 1998, La Force du destin revient plus de deux décennies plus tard, après une mise à jour en 2011, et porte cette fois le numéro 321. Il ne s’agit pourtant pas d’un simple rhabillage ou toilettage, mais bien d’une refonte quasi intégrale. N’ont survécu du numéro initial qu’une poignée d’articles : « L’opéra à deux visages » de Jean-François Labie, « Sources, faiblesses et prétentions d’un scénario » par Jean-Michel Brèque, et les « Profils vocaux » de l’œuvre par Jean Cabourg. Le même Jean Cabourg a repris et enrichi sa Discographie, où figurent seulement deux nouvelles intégrales postérieures à 1995, tout au contraire, on s’en doute, de la Vidéographie, dont les versions les plus accessibles sont aussi les plus récentes.

Comme en 2011, cette Vidéographie est signée Chantal Cazaux, mais l’actuelle rédactrice en chef de L’Avant-Scène Opéra a considérablement augmenté la place qu’elle occupe dans le volume, puisque, non contente de signer l’Argument, elle s’est attribué le morceau de résistance : l’Introduction et Guide d’écoute, succédant ainsi à Gilles de Van, auteur sollicité en 1998, avec en plus une traduction toute neuve du livret par Laurent Cantagrel. Le changement de typographie et de maquette rend difficile la comparaison terme à terme, mais on soupçonne que la quantité de texte du nouveau Guide se trouve un peu réduite par rapport au volume initial ; par ailleurs, l’ASO manifeste désormais un souci pédagogique plus net, conscient de s’adresser aussi à un large public pour lequel il n’est pas superflu de traduire les indications en italien figurant sur la partition, ce qui n’exclut évidemment pas la précision dans l’analyse musicale.

Au chapitre des regrets, on pourra déplorer que seul le texte de la version définitive, révisé par Ghislanzoni, ait été retenu : il aurait dû être possible de proposer au moins les deux fins distinctes, d’autant qu’il existe au disque deux intégrales ayant décidé de revenir à la version de 1862 (et d’autant que Jean Cabourg lui-même déclare : « Paradoxalement, il n’est pas certain que la version révisée de 1869 l’emporte à tout coup sur celle originale de 1862 »).

Si l’on en vient aux « Regards sur l’œuvre », leur diversité fait tout le prix de ce volume. On y trouve en effet des renseignements de toutes sortes, qui permettent de dépasser le strict cadre lyrique pour s’ouvrir sur des interrogations culturelles plus larges. Parmi les nouveaux articles commandés pour ce numéro 321, le lecteur découvre d’abord, sous la plume de Dolores Thion Soriano-Mollá, des informations non sur le librettiste Francesco Maria Piave mais sur l’auteur espagnol dont il s’est inspiré ; l’information est particulièrement appréciable, car le duc de Rivas, ce Byron espagnol qui n’a pas eu la chance de mourir jeune et qui délaissa le romantisme au profit du néo-classicisme, est à peu près inconnu de ce côté-ci des Pyrénées, bien que décédé à Paris où il était ambassadeur d’Espagne. Et il n’est pas du tout impossible que Don Álvaro, o La fuerza del sino (1835) soit une tragédie bien plus moderne et plus subversive que le livret d’opéra qui en a été tiré.

Autre éclairage historique, Lucien Bély se penche sur la bataille de Velletri, qui opposa en 1744 les Espagnols et les Napolitains aux Autrichiens, en démêlant les événements tels qu’ils se sont réellement déroulés de leur réagencement (leur effacement ?) par Piave. Les copieux articles plus anciens qui font ici retour éclairent le livret par un rapprochement inattendu avec le Dom Juan de Molière ou en s’interrogeant sur la vraie nature de l’engagement politique de Verdi, que la légende a sans doute exagéré. Nouveau venu, l’abécédaire de Constance et Hélène Malard parle surtout de destin et de religion, deux éléments clefs de « l’arrière-fond du drame verdien » à la fois « métaphysique et mystique ».

A l’analyse que faisait Jean Cabourg du profil vocal des six principaux personnages, autre rescapée du n° 126, répond désormais l’article de Christophe Rizoud sur six grandes interprètes (défuntes) du rôle de Leonora. Et il revient à André Lischke de conclure cette section par une fascinante étude de près d’un siècle et demi de présence musicale italienne en Russie, cependant que des compositeurs russes vont se former en Italie, des années 1730 aux années 1860. C’est l’occasion d’évoquer l’accueil glacial que la critique musicale russe réserva à Cила Судъбы, pour lui donner son titre pétersbourgeois : « Un drame dans lequel on ne peut éprouver la moindre sympathie pour aucun des personnages a produit une musique tout aussi peu sympathique », décréta en 1862 Alexandre Sérov, qui composerait l’année suivante son premier opéra, Judith.

Si la discographie ne s’est guère enrichie, la vidéographie se porte mieux, même si elle n’est en rien pléthorique. On ne sera pas surpris d’apprendre que la captation du Met en 1984 sent très fort la poussière (et que Leontyne Price déclinante y paraît sous son moins bon jour). Conclusion : aucune version ne convainc à la fois l’œil et l’oreille… Hélas, on n’ose même plus espérer assister aux représentations prévues à Toulouse en mai-juin de cette année, où Catherine Hunold aurait dû prêter sa voix à la marquise de Calatrava, face au métis péruvien incarné par Amadi Lagha, dans une reprise de la production de Nicolas Joël, ni à celles de Florence en juin, où Carlus Padrissa aurait peut-être proposé une vision originale, celles de Tobias Kratzer (à Francfort en 2019) ou de Frank Castorf (à Berlin en 2019) n’ayant apparemment pas été filmée.

Avatar photo
Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.

Autres articles

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire !
S'il vous plaît entrez votre nom ici