27 juillet 2022, Église des Hières, 17h

Pascal Dusapin (né en 1955)
Ohimé – hommage à Betsy Jolas (1992)

Kaija Saariaho (née en 1952)
Sept Papillons n° 1 à 4 pour violoncelle (2000)

Dai Fujikura (né en 1977)
Turtle Totem (2019)

Pierre Boulez (1925–2016)
Domaines pour clarinette seule (1961)

Lanqing Ding (née en 1990)
Lù Zhaì pour violon (2021)

Betsy Jolas (née en 1926)
Quatuor VI pour violon, alto, violoncelle et clarinette (1997)

Étudiants du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris

Camille Garin, violon
Nicolas Garrigues, alto
Guillem Vega Gonzalez, violoncelle
Takahiro Katayama, clarinette
Hae-Sun Kang, coordination artistique

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27 juillet 2022, Église de la Grave, 21h

Pascal Dusapin, Quatuor à cordes n° 1
Iannis Xenakis, ST/4
Wolfgang Rihm, Fetzen I
Pascal Dusapin, "Time Zones" Quatuor à cordes n°2

28 juillet 2022, Église des Hières, 17h

Pascal Dusapin, Quatuor à cordes n° 3
Iannis Xenakis, Ikhoor
Pascal Dusapin, Quatuor à cordes n° 4
Iannis Xenakis, Tetras

Vendredi 29 juillet, Église de La Salle-Les-Alpes, 17h

Samy Moussa, Quatuor à cordes
Wolfgang Rihm, Grave – In memoriam Thomas Kakuska
Iannis Xenakis, Tetora
Pascal Dusapin, Quatuor à cordes n° 7 "Open Time"

Quatuor Arditti
Irvine Arditti, violon
Ashot Sarkissjan, violon
Ralf Ehlers, alto
Lucas Fels, violoncelle

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Jeudi 28 Juillet 2022, Église de La Grave, 21h

Alain Louvier (né en 1945)
Seconde partie de l’intégrale du Clavecin Non Tempéré pour clavecin

Livre 3 Prélude (en forme de raga) et Fugue en quarts de tons
Livre 4 Prélude et Chaconne en sixièmes de tons
Livre 7 (*) en tempérament pentaïque  et  Livre 8 (*) en tempérament décaïque
7A- Preludio bianco, 7B- Toccata nera,  7C- Sogno d’archi  (Livre 7)
8A- Prélude non mesuré (évocation des Ancêtres) (Livre 8)
7D- Chute pentagonale,  7E- Regards sur le pentadécagone,  7F- Pentagone étoilé, 7G- Le décagone réunifié,  7H- Envol pentagonal   (Livre 7)
8B- interlude calendaire  (Livre 8)
7I- Preludio bianco (inversus),  7J- Toccata nera (inversus)   (Livre 7)
8C- Variations sur l’icosagone,  8D- Corale per l’Omega (à 4 mains)  (Livre 8)

(*)création mondiale, commande du Festival Messiaen au Pays de la Meije

Bibiane Lapointe, Thierry Maeder, Yu Matsuoka, clavecin

Vendredi 29 Juillet 2022, Salle du Dôme, Le Monêtier-les-Bains, 21h

Olivier Messiaen (1908–1992)
Chants de Terre et de Ciel

  • Bail avec Mi (Pour ma femme)
  • Antienne du silence (Pour le jour des anges gardiens)
  • Danse du Bébé-Pilule (Pour mon petit Pascal)
  • Arc-en-Ciel d’innocence (Pour mon petit Pascal)
  • Minuit pile et face (Pour la mort)
  • Résurrection (Pour le jour de Pâques)

Alain Louvier, Sept Caractères d’après La Bruyère, n° 3 et n° 4 "Fugue gestuelle"

Gustav Mahler (1860–1911)
Das Lied von der Erde (arrangement Arnold Schoenberg, Rainer Riehn)

Jenny Daviet, soprano
Kévin Amiel, ténor
Léa Trommenschlager, soprano
Alphonse Cemin, piano

Le Balcon
Maxime Pascal, direction musicale

27–29 juillet 2022 au Festival Messiaen au pays de la Meije

La 24e édition du Festival Messiaen au Pays de la Meije met à l'honneur Pascal Dusapin et Alain Louvier, deux figures et deux générations emblématiques du paysage musical contemporain. S'ils furent tous deux élèves d'Olivier Messiaen, ce qui justifie en un sens leur présence dans cette manifestation, leur vocabulaire et leur champ d'expression diffèrent radicalement. Cette large et diverse palette esthétique constitue la ligne de force d'un Festival atypique dont le directeur Bruno Messina s'attache à rendre hommage au glorieux dédicataire et d'autres grands noms du XXe Siècle tout en restant attentif à ouvrir aux jeunes compositeurs qui viennent enrichir le programme de ces dix jours en haute altitude musicale. 

 

Camille Garin (violon), Nicolas Garrigues (alto), Guillem Vega Gonzalez (violoncelle), Takahiro Katayama (clarinette)

Accroché à flanc de montagne en plein cœur du Massif des Écrins, le village de La Grave fait face au majestueux glacier de La Meije qui culmine à près de 4000 mètres. Ce décor en blanc et bleu accueille tous les étés depuis 1998 le Festival Messiaen au pays de la Meije – une manifestation où la création contemporaine s'invite dans des lieux insolites, dialoguant avec les ors somptueux d'un retable baroque ou l'austérité d'une voûte romane. Liés à la figure du maître, des pianistes comme Pierre-Laurent Aimard, Roger Muraro et bien sûr son épouse Yvonne Loriod, ont compté parmi les premières personnalités qui portèrent le festival sur les fonts baptismaux. On ne compte plus désormais les compositeurs et interprètes qui firent de La Grave un centre important de concerts et de conférences-ateliers autour de la musique contemporaine. Cette édition présentait les noms de Bertrand Chamayou (à l’occasion de la sortie de la nouvelle parution discographique des Vingt Regards sur l'Enfant-Jésus), Barbara Hannigan, Vanessa Wagner, le Quatuor Arditti et des formations orchestrales comme L’Itinéraire, Le Balcon ou encore l’Orchestre National de Cannes.

La première étape nous attend au terme d'une promenade qui nous mène jusqu'à l'église du hameau des Hières. Dans la nef aux dimensions modestes se presse un public venu écouter les quatre étudiants du CNSM de Paris, placés sous la coordination artistique de la violoniste Hae-Sun Kang de l'Ensemble Intercontemporain. Hommage dans l'hommage, ce concert fait un clin d'œil à l'anniversaire de Betsy Jolas dont on rappelle ici qu'elle fut l'élève d'Olivier Messiaen et dédicataire du duo Ohimé – Hommage à Betsy Jolas (1992) de Pascal Dusapin qui ouvre le programme. On retient de cette pièce son austère et rugueuse couleur, réhaussée par la noblesse de l'alto de Nicolas Garrigues interrogeant en ostinato la ligne continue du violon de Camille Garin, l'obligeant à une diffraction et des bribes mélodiques qui tentent de s'élever et retombent continuellement. À retenir également, le jeu délicat et virtuose de Takahiro Katayama dans le très elliptique Turtle Totem de Dai Fujikura et la très rare première version des Domaines de Pierre Boulez pour clarinette seule, ou les belles nuances de Guillem Vega Gonzalez dans une sélection des difficiles Papillons de Kaija Saariaho. Le Sixième Quatuor de Betsy Jolas réunit les quatre solistes dans un effectif qui place donne à la clarinette un rôle central, en référence directe aux chefs‑d'œuvres chambristes de Mozart et Brahms.

Tout juste débarqué d'Aix-en-Provence où était donnée la création de son dernier opéra Il Viaggio, Dante, Pascal Dusapin vient inaugurer une série de concerts sur deux semaines avec notamment le cycle de mélodies O Mensch !, les études pour piano et une quasi intégrale de ses quatuors à cordes. Donnés dans l'acoustique mate et précise des églises de La Grave, des Hières et La Salle-les-Alpes, la sélection des cinq quatuors révèle une esthétique dont le déploiement, né à l'orée des années 1980 s'est poursuivi en continu jusqu'au 7e et dernier opus en date (2009). Admirablement servis par le jeu vif et engagé du Quatuor Arditti, ces partitions font la part belle à cet équilibre entre couleur et structure qui rapproche souvent l'écriture de Dusapin de celle de Wolfgang Rihm. Malgré sa révision en 1996, le premier Quatuor cherche encore ses marques sans vraiment se dégager du carnet d'esquisses. Le Second puise dans une matière autrement plus riche et cohérente, inspirée par le concept d'un "quatuor infini" en 24 mouvements, comme autant de fuseaux horaires auxquels le sous-titre de Time Zones fait allusion. L'auditeur circule dans cette architecture temporelle sans jamais se laisser envahir par l'ampleur de la durée et du format. Ce jeu complexe de propositions et commentaires offre à l'écoute un vaste origami de formes et de timbres dont la variété est propulsée par des archets à la rythmique implacable. Dynamiquement assez fades et en un sens, moins habités, les 3e et 4e quatuor cèdent en intérêt à l'ultime Open Times, composé à partir de 21 variations enchaînées sans aucune pause autour d'une courte cellule rythmique imposée par l'alto de Ralf Ehlers. L'écriture prolixe et multiforme tisse un discours volumétrique abrupt dans lequel s'intercalent des modes de jeu et des timbres inédits.

Quatuor Arditti : Irvine Arditti (violon), Ashot Sarkissjan (violon), Ralf Ehlers (alto), Lucas Fels (violoncelle)

Défini par Dusapin (qui fut son seul et unique élève) comme une personnalité "au-delà de la figure du maître", Iannis Xenakis est présent à travers des pièces comme le quatuor ST/4, qui constitue l'une des premières tentatives de composition assistée par ordinateur. Nettement plus convaincant, Ikhoor fait la part belle à toute une gamme expressive de gestes sonores avec glissandis et cordes percutées par le bois de l'archet, pulsant un son assimilé par l'étymologie du titre au sang qui circule dans les veines des dieux. Réflexion entre son et hauteurs, Tetras séduit par le chatoiement et l'étirement des lignes qui circulent dans un continuum d'espace-temps où s'agitent, explosent et fusionnent les cellules. Véritable "frère allemand" selon Dusapin, le compositeur Wolfgang Rihm offre dans le court et impressionnant Fetzen I une variation autour de la thématique du "lambeau" ou du "débris". Donnée lors du dernier concert, la pièce Grave déploie une palette expressive d'une profondeur exceptionnelle. Écrit à la mémoire de Thomas Kakuska, altiste du Quatuor Alban Berg, ce lamento étire le temps en divisant les couches de timbres à la façon d'une émouvante peinture à fresco. Une économie et une pertinence qui manquent cruellement au modeste Quatuor de Samy Moussa dont les sages géométries se bornent à l'exercice de style.

Alain Louvier

Élève d'Olivier Messiaen et Manuel Rosenthal, le compositeur, chef d'orchestre et pédagogue Alain Louvier présente au Festival Messiaen l'intégralité de son Clavecin Non Tempéré, grand cycle composé durant quatre décennies et dédié à un instrument qui fut au cœur des expérimentations menées par théoriciens dans la lignée de Rameau. Au-delà de l'abord désuet d'une sonorité liée à la corde pincée, Alain Louvier travaille à la transcription d'une réflexion mathématique où géométrie du son reflète la question de la micro-tonalité. L'austérité n'est ici que de façade, pourvu que l'écoute et l'intellect croisent leur intérêt autour de la question théorique de la division du ton en quarts, tiers, cinquième, sixième… ou 14e de ton. Modifiant le tempérament d'une épinette ou d'un virginal, Alain Louvier glisse non sans humour des références aux figures thématiques baroques aux modulations abstraites. Humour également lors du dernier concert en compagnie de l'ensemble Le Balcon et son directeur musical Maxime Pascal avec deux pièces dont la matière littéraire a été composée par Louvier lui-même dans le style des Caractères de La Bruyère. La seconde pièce impressionne par son décalage à la Marcel Duchamp : une fugue silencieuse à 14 "voix" composée uniquement par les gestes que font les musiciens, uniformément masqués et alignés sur le bord de scène.

Maxime Pascal, Le Balcon

Ce concert, donné dans l'étouffante chaleur de la Salle du Dôme du Monêtier-les-Bains, était précédé par les six mélodies des Chants de Terre et du Ciel qu'Olivier Messiaen composa un an après les Poèmes pour Mi. Le cycle réunit l’amour terrestre et l’amour spirituel en célébrant la naissance de son fils Pascal, dénommé "Bébé-Pilule"… Accompagnée par le pianiste Alphonse Cemin, la soprano Jenny Daviet déploie un écrin vocal fait d'une large gamme d'affects et de tenues pour magnifier un texte dont l'énergie et la bonhommie supplantent largement la valeur purement littéraire. La seconde partie est toute entière occupée par la transcription par Schoenberg (elle-même revue et corrigée par Rainer Riehn) du Chant de la Terre de Gustav Mahler. Le ténor Kévin Amiel est à la peine dans l'initial et redoutable Das Trinklied vom Jammer der Erde, presque à la rupture et manquant de détimbrer quand le volume instrumental expose dangereusement la voix. Plus à son aise dans les reliefs goguenard de Von der Jugend, il trouve un juste milieu expressif dans Der Trunkene im Frühling. Léa Trommenschlager plie sa voix de soprano au registre mezzo – cherchant ses marques dans la ligne suspendue de Der Einsame im Herbst mais dominant pleinement son sujet dans Von der Schönheit, préambule à l'ultime Abschied où la direction souple et sensible de Maxime Pascal offre aux solistes du Balcon l'assurance et l'espace pour exprimer pleinement des qualités de tout premier plan.

Maxime Pascal, Léa Trommenschlager, Le Balcon
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David Verdier
David Verdier Diplômé en musicologie et lettres modernes à l'université de Provence, il vit et enseigne à Paris. Collabore à plusieurs revues dont les Cahiers Critiques de Poésie et la revue Europe où il étudie le lien entre littérature et musique contemporaine. Rédacteur auprès de Scènes magazine Genève et Dissonance (Bâle), il fait partie des co-fondateurs du site wanderersite.com, consacré à l'actualité musicale et lyrique, ainsi qu'au théâtre et les arts de la scène.

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