Festival de Verbier

Rodion Shchedrin (né en 1932)
Beethovens Heiligenstädter Testament

Ludwig van Beethoven (1770–1827)
Concerto pour piano et orchestre n° 3 en ut mineur, op. 37

Dmitri Chostakovitch (1906–1975)
Symphonie n° 15 en la Majeur, op. 141

Mikhaïl Pletnev, piano
Verbier Festival Orchestra
Direction musicale : Gianandrea Noseda

Verbier, Salle des Combins, le 17 juillet 2022 à 19h

C’est un programme prometteur que proposait Gianandrea Noseda à la tête du VFO, mettant en regard l’un de l’autre le 3ème concerto pour piano de Beethoven et la 15ème symphonie de Chostakovitch. Si la première partie du concert peine à susciter l’enthousiasme – en raison d’une lecture peu inspirée du concerto de la part du soliste Mikhaïl Pletnev et d’un orchestre qui tarde à déployer toutes ses qualités – l’œuvre de Chostakovitch fait ressortir ce que le VFO a de meilleur : sa palette de couleurs, sa vivacité et l’homogénéité de ses pupitres, ainsi que l’intelligence expressive du chef.

Chostakovitch est à l’honneur cette année au festival de Verbier, le chef Gianandrea Noseda dirigeant pas moins de trois symphonies du compositeur en quelques jours – les n°1, n°4 et n°15. Le dimanche 17 juillet, c’est pour cette ultime symphonie chostakovienne que le chef italien a pris la tête du Verbier Festival Orchestra, couplée au Beethovens Heiligenstädter Testament de Shchedrin et au Concerto pour piano n°3 de Beethoven.

L’œuvre de Shchedrin, répondant à une commande de Mariss Jansons et créée en 2008, n’est sans doute pas une œuvre qui met en valeur les spécificités d’un orchestre. Si le thème principal et ses occurrences sont d’un caractère puissant, rigide, les pages intermédiaires sont plus délicates voire se délient, le compositeur allant jusqu’à noter la nuance pianissississimo sur sa partition. Œuvre qui joue principalement sur les sensations et impressions de l’auditeur, on ne peut s’empêcher de trouver que le matériau manque de consistance : certes frappant par certains aspects, ce « fragment symphonique » peine en effet à maintenir l’attention de l’auditeur, éveillée par moments, mais qui se disperse à d’autres – en raison des jeux de répétition, et d’une esthétique du délitement. La lecture de Gianandrea Noseda joue principalement sur la rigidité du thème principal : cela se voit à sa gestique, verticale, les bras tendus ; et si les musiciens du Verbier Festival Orchestra ne ménagent pas leurs efforts pour déployer un son plein, homogène et acéré, ce n’est pas dans cette pièce qu’ils trouvent l’occasion de faire entendre véritablement leurs qualités.

Le troisième concerto pour piano de Beethoven constitue, on s’en doute, un contraste frappant avec la première œuvre. Avec les accents résolument mozartiens de son premier mouvement et le lyrisme qui plane sur l’ensemble de la partition, ce concerto impose à ses interprètes un sens aigu du phrasé, de la gestion des points d’appui et de détente, et du dialogue avec le soliste – en l’occurrence Mikhaïl Pletnev, ce qui laissait présager un grand moment de musique. Les qualités techniques du pianiste sont évidentes, de même que la qualité du son – lumineux, moelleux, délicat. Mais Mikhaïl Pletnev livre une lecture du concerto peu engagée, sans grand relief, et qui passe à côté du tragique (relatif) de l’œuvre dans son premier mouvement. Le pianiste y propose une cadence plus inspirée, mais sa lecture générale refuse le souffle, l’élan, le cisèlement, et on ne comprend pas pourquoi, avec de telles qualités pianistiques, l’interprète ne va pas plus loin dans l’interprétation. Le deuxième mouvement n’est pas d’un grand lyrisme, et le dernier, aussi propre techniquement soit-il, n’a pas le caractère tourbillonnant de l’écriture de Beethoven.

On ne sait pas bien comment expliquer cette interprétation de Mikhaïl Pletnev : on le connaît tellement plus inspiré et exigeant en termes de nuances, de rebond, de phrasé… Il nous a tellement habitués à des propositions musicales audacieuses, voire clivantes. Sa technique ne souffrant ici d’aucune difficulté, est-ce un manque d’engagement ? De la fatigue ? On ne saurait le dire, et c’est d’autant plus dommage que l’orchestre souffre des mêmes défauts dans les deux premiers mouvements. Tout en retenue et en fluidité, le son est certes assez beau, mais les musiciens accompagnent le piano plus qu’ils ne dialoguent avec lui. L’alternance des modes majeur et mineur dans le premier mouvement n’a pas beaucoup de relief parce que le tragique est absent – ce qui est d’autant plus frappant que l’œuvre est le seul concerto pour piano de Beethoven écrit dans un mode mineur. En revanche, étonnamment et subitement, le troisième mouvement est superbe : le son d’ensemble change radicalement de caractère, incisif, puissant, plein de couleurs. Les cordes du VFO impressionnent tout particulièrement grâce à leur homogénéité et à la synchronicité des coups d’archet : c’est ce qui donne précisément au rondo son irrésistible élan. La réexposition fuguée du thème principal est particulièrement frappante, et on sent que l’orchestre prend la place qu’il mérite, répondant avec assurance au soliste. Un concerto qui est donc en demi-teinte, mais dont les dernières pages permettent au chef de montrer de quoi ses musiciens sont capables, et la portée expressive que contient sa lecture de l’œuvre.

L’expressivité est en effet le fort de Gianandrea Noseda dans son interprétation de la Symphonie n°15 de Chostakovitch. Le chef y déploie une multiplicité de couleurs, de nuances et d’effets qui donnent à l’œuvre tout son caractère ludique : un jeu sérieux certes, mais un jeu tout de même avec les citations, les timbres, la forme traditionnelle de la symphonie… Avec ses très nombreux solos, la partition de Chostakovitch est idéale pour découvrir un orchestre et, dans le cas du VFO, de mettre en valeur ses jeunes musiciens. La flûte, le violoncelle et le trombone solo ont tout particulièrement su montrer leurs qualités musicales, mais tous ont contribué à la richesse de la palette sonore.

Le deuxième mouvement est sans conteste le plus beau moment de la soirée, avec une marche funèbre magnifiquement menée par les cuivres de l’orchestre. Gianandrea Noseda s’y trouve particulièrement inspiré, trouvant le juste équilibre entre une arche expressive très construite et des moments où il laisse jouer l’orchestre, la gestique se faisant moins envahissante, plus aérienne. Avec l’intervention du célesta, l’œuvre entre dans une autre dimension – là encore il s’agit pour Chostakovitch de jouer avec les timbres et les atmosphères – et l’auditeur se laisse aisément emmener par le compositeur et le chef dans le cheminement qu’ils construisent. Agile sans être brouillon, le troisième mouvement est parfaitement dans l’esprit d’un scherzo tandis que l’Adagio final laisse les cordes du VFO déployer tout le lyrisme dont elles sont capables.

On retrouve avec cette œuvre l’orchestre au niveau qu’on lui connaît et qui confirme que les faiblesses du concerto de Beethoven n’étaient que passagères. Si le niveau général de la soirée n’a pas été homogène, le concert se termine sur une vraie réussite : un petit exploit lorsqu’on pense au rythme effréné du VFO lors du festival – la quantité d’œuvre qu’il aborde et le peu de temps de répétition qui lui est accordé avant chaque concert.

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Claire-Marie Caussin
Après des études de lettres et histoire de l’art, Claire-Marie Caussin intègre l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales où elle étudie la musicologie et se spécialise dans les rapports entre forme musicale et philosophie des passions dans l’opéra au XVIIIème siècle. Elle rédige un mémoire intitulé Les Noces de Figaro et Don Giovanni : approches dramaturgiques de la violence où elle propose une lecture mêlant musicologie, philosophie, sociologie et dramaturgie de ces œuvres majeures du répertoire. Tout en poursuivant un cursus de chant lyrique dans un conservatoire parisien, Claire-Marie Caussin fait ses premières armes en tant que critique musical sur le site Forum Opéra dont elle sera rédactrice en chef adjointe de novembre 2019 à avril 2020, avant de rejoindre le site Wanderer.

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