Printemps
Mélodies pour chœur et solistes de Camille Saint-Saëns, Jacques de la Presle, Robert Caby et Cécile Chaminade.
Caroline Jestaedt, Lisa Chaïb-Auriol, sopranos
Brenda Poupard, mezzo-soprano
Kaëlig Boché, ténor
Hyowon Chi, flûte, Domitille Bès, piano.
Ensemble vocal Fiat Cantus.
Piano et direction musicale : Thomas Tacquet.

Enregistré du 26 au 29 juin 2021 dans les studios Riffs de la Seine Musicale à Boulogne-Billancourt, Hauts-de-Seine

Fidèle à la curiosité qui a fait sa réputation, le label Hortus poursuit son exploration des répertoires moins fréquentés en confiant à Thomas Tacquet, qui dirige depuis quelques années l’ensemble vocal Fiat Cantus, le soin de réunir quelques pièces pour chœur composées entre la toute fin du XIXe siècle et le milieu du suivant par des noms plus ou moins illustres.

Des partitions inédites au disque, il en existe encore des milliers, et les interprètes les plus courageux ont du pain sur la planche. Il suffit de trouver le biais permettant de proposer de la nouveauté à un public pas toujours aussi amateur d’inconnu qu’on le voudrait. Sous le titre Printemps, le label Hortus propose ainsi toute une série de premiers enregistrements mondiaux. Si le boîtier s’orne de superbes cyanotypes de fleurs réalisés au milieu du XIXe siècle par la botaniste Britannique Anna Atkins, c’est pourtant de musique du siècle suivant qu’il est ici question, des premières décennies du XXe siècle surtout, et de compositeurs français assez peu fréquentés. Du moins, si l’on se fie à la couverture : le nom de Robert Caby sera sans doute inconnu de beaucoup de mélomanes, celui de Jacques de la Presle un peu moins méconnu, et celui de Cécile Chaminade bénéficiera peut-être de l’aura qui entoure désormais les compositrices (et du beau disque Mots d’amour qu’Anne Sofie von Otter avait consacré à ses mélodies en 2002). Paradoxalement, et peut-être grâce à l’intérêt porté depuis peu aux femmes dans l’histoire de la musique, elle est d’ailleurs la seule à ne pas être concernée par le qualificatif « Inédit à l’enregistrement » qui vaut pour toutes les autres plages du disque. C’est même d’autant plus étonnant qu’à ces trois noms présents sur le CD, il convient d’en ajouter un quatrième, qui n’occupe qu’une plage, mais la première, et de douze minutes : Camille Saint-Saëns en personne, dont La Nuit, opus 114, pour chœur de femmes, n’avait encore jamais été gravé dans sa version accompagnée par une flûte et un piano (la version avec orchestre figure notamment sur un disque enregistré en 1990 par Natalie Dessay avec l’Orchestre national d’Ile-de-France dirigé par Jacques Mercier, accompagnée d’une autre pièce pour effectifs semblable, Le Déluge).

Mais précisément, l’orchestre est ici le grand absent, car c’est à la musique de chambre qu’est consacrée le CD Hortus, musique destinée à une écoute plus intime que dans les grandes salles de concert, dans un format particulièrement apprécié au tournant du siècle, par les mécènes soucieux d’accueillir dans leurs salons les créations qu’ils ou elles soutenaient. L’omission de Saint-Saëns, justifiée par le fait que sa participation se borne à un titre, dissimule aussi une présence assez redoutablement écrasante : sur une douzaine de minutes, le compositeur développe une œuvre d’une ampleur évidemment sans comparaison avec les pièces beaucoup plus courtes des trois autres (entre une minute et deux minutes cinquante pour Robert Caby, entre deux minutes vingt et cinq minutes pour Jacques de la Presle, entre trois minutes cinquante et six minutes trente pour Cécile Chaminade). Sains-Saëns est aussi le seul à recourir à la flûte, les autres se contentant du seul piano, parfois doublé, ou même du cœur a cappella, avec ou sans solistes pour quelques phrases. La Nuit est donc un titre beaucoup plus ambitieux, ce qui ne veut pas dire que les autres œuvres réunies sur ce disque pâlissent en comparaison.

Chacun d’eux possède en effet une voix personnelle, qui se laisse peu à peu découvrir. La plupart des textes ici mis en musique sont des évocations de la nature, tantôt dues à des poètes illustres (Gérard de Nerval, Théophile Gautier, Leconte de Lisle, Albert Samain), tantôt au redoutable versificateur qu’était Armand Silvestre, si cher à Massenet et à d’autres à la fin du XIXe siècle mais qui inspirait encore Jacques de la Presle dans l’entre-deux-guerres et dont Cécile Chaminade parvient à transcender la mièvrerie. Proche de Sauguet et de Poulenc – et cela s’entend –, Robert Caby (1905–1992) alla même chercher dans les Songs of Innocence de William Blake une berceuse qu’il fait chanter en anglais à un chœur de femmes à trois voix, avec un intéressante recours au parlando superposé à un murmure bouche fermée. Evitant judicieusement le folklorisme provençal dans « Les Filles d’Arles », Chaminade semble inévitablement penser aux trolls de Peer Gynt de Grieg pour « Les Elfes des bois », entraînante conclusion du disque.

Dirigeant depuis le piano le chœur Fiat Cantus (sauf pour les Jacques de la Presle, où il cède l’instrument à Domitille Bès), Thomas Tacquet a su concevoir un programme riche en contrastes qui met parfaitement en valeur cette formation d’une quarantaine de chanteurs amateurs, et un travail a été accompli pour « reconstituer un ensemble type des sociétés d’oratorio français du début XXe siècle … en travaillant avec les approches techniques de l’époque en termes de vibrato, de ports de voix, de diction restituée », déclare le chef. Les solistes ont été fort bien choisis pour les couleurs typiquement françaises de leur chant. Si elle avait pu sembler un peu trop légère dans le rôle-titre de La Dame blanche à Rennes, la soprano Caroline Jestaedt est en revanche ici tout à fait à sa place : La Nuit de Saint-Saëns lui permet de rivaliser de virtuosité avec le flûtiste Hyowon Chi, mais on l’entend aussi dans deux mélodies de Jacques de la Presle. On remarque aussi la belle densité vocale de la mezzo Brenda Poupard. Le ténor Kaëlig Boché, avec lequel Thomas Tacquet avait enregistré un disque riche en découvertes, consacré à Jean Cartan, a toute la fraîcheur nécessaire ici. Leurs trois voix s’unissent harmonieusement dans le radieux « Eté » de Jacques de la Presle. On apprécie enfin la déclamation subtile de la soprano Lisa Chaïb-Auriol, qui n’intervient que dans les pièces de Cécile Chaminade, deux membres du chœur étant également sollicitées ici et là.

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Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.

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