Alban Berg (1885–1935)
Wozzeck (1925)
Opéra en trois actes
Livret du compositeur d'après la pièce Woyzeck (1836) de Georg Büchner (1813–1837)
Créé le 14 décembre 1925 à la Staatsoper de Berlin sous la direction de Erich Kleiber.

Direction musicale : Josep Pons
Mise en scène : William Kentridge
Co-metteur en scène : Luc De Wit
Décors : Sabine Theunissen
Costumes : Grata Goiris
Vidéos : Catherine Meyburgh
Régie vidéo : Kim Gunning
Lumières : Urs Schönebaum

 

Matthias Goerne (Wozzeck)
Torsten Kerl (Tambour Major)
Peter Tantsits (Andres)
Mikeldi Atxalandabaso (Capitaine)
Peter Rose (Le Docteur)
Scott Wilde (Premier compagnon)
Äneas Humm (Second compagnon)
Beñat Egiarte (Le fou)
Annemarie Kremer (Marie)
Rinat Shaham (Margret)

Coro del Gran Teatre del Liceu (Pablo Assante, direction)
Coro Vivaldi – IPSI – Petits Cantors de Catalunya (Òscar Boada, direction)

Orquesta Sinfónica del Gran Teatre del Liceu

Production des Salzburger Festspiele
Coproduction MET Opera New York, Canadian Opera Company, Toronto,
Opera Australia, Opéra national de Paris, Grand Teatro del Liceu Barcelona

 

Barcelone, Gran Teatro del Liceu, Samedi 4 juin 2022 19h

Vue à Salzbourg, New York et tout dernièrement à Paris, cette production de Wozzeck mise en scène par William Kentridge est l’une des meilleures que l’on ait pu voir ces dernières années. A Barcelone où elle vient d’être applaudie, le rôle-titre était tenu, comme à la création en 2017, par Matthias Goerne qui en a fait l’un de ses chevaux de bataille. Dirigée par l’incandescent Josep Pons, la partition n’en finit pas d’éblouir par sa force et sa densité dramatique, laissant l’auditeur en état de choc.

Wozzeck © Salzburger Festspiele / Ruth Walz

Les villes de Salzbourg, New York, Paris et Barcelone ont eu la chance de présenter à leur public ce Wozzeck de référence créé en 2017. William Kentridge l’auteur de ce magnifique spectacle, aussi virtuose qu’oppressant, qui s’était déjà fait remarquer en se confrontant à Lulu, s’est trouvé une parenté évidente avec l’univers si particulier de Berg. Entouré par une équipe qui allie à d’exceptionnelles compétences techniques une fibre artistique de chaque instant, le metteur en scène nous plonge dans un récit haletant sur fond de guerre et d’apocalypse. Le décor unique constitué par un assemblage de meubles délabrés et de planches de fortune sur lequel s’agitent en tous sens les personnages, signé Sabine Theunissen, entièrement tapissé de saisissantes images vidéo qui évoquent les atrocités du premier conflit mondial dans le goût expressionniste (Catherine Meyburgh) pour souligner l’esprit malade de Wozzeck, est à lui seul une réunisse. A ce dispositif scénique ramassé sur lui-même s’ajoutent les lumières intensément travaillées par Urs Schönebaum, qui sculptent l’espace et font surgir de l’ombre chaque être pareils à des rats surpris dans leur activité souterraine. Brillant directeur d’acteur, Kentridge pétrit l’image à partir des corps dont il dispose, pour exprimer toutes leurs facettes et révéler ainsi leurs qualités et leurs défauts, leurs forces et leurs faiblesses. Abattu, moqué par son entourage, muré dans son monde intérieur, balloté d’une occupation à une autre sans logique apparente, le Wozzeck campé par Matthias Goerne, malheureux projectionniste malmené par un capitaine et un médecin de garnison quasi déments, est en totale adéquation avec la vision morbide imaginée par le metteur en scène.

Wozzeck © Salzburger Festspiele / Ruth Walz

Le chanteur qui revient régulièrement à ce rôle depuis près de vingt ans, a eu le temps de peaufiner son interprétation tout en gagnant de production en production en connaissances et en conviction. La voix n’a pas l’insolence et la rage que certains titulaires ont pu y mettre, de Keenlyside à Mattei en passant par Grundheber et Skovhus, mais la force brute et les éclats maitrisés de son anti-héros dénoncent toute son ambiguïté : victime ou bourreau, lâche ou fou, chacun peut y déceler ce qu’il cherche ou ce qu’il veut y voir.

Autour de cette figure centrale gravite une distribution élaborée avec soin du Capitaine extravagant de Mikeldi Atxalandabaso, au Docteur haut en couleur de Peter Rose, sans oublier ni l’Andres éclopé de Peter Tantsits, ni encore moins l’extraordinaire incarnation de Torsten Kerl en Tambour-Major. Mezzo anguleux plutôt que soprano comme Asmik Gregorian en 2017, à la ligne escarpée et aux aigus tendus, Annemarie Kremer qui remplace Elena Zhidkova initialement prévue, n’a pas le génie dramatique de Waltraud Meier inoubliable Marie dans la légendaire production de Chéreau, mais la cantatrice joue et chante avec dignité un rôle qui lui tient à cœur, comme Rinat Shaham sous-employée en Margret, mais très efficace. Chef incroyablement brillant et polyvalent, Josep Pons par sa direction sans concession traduit l’obsédante écriture de Berg en passant avec le même élan des climax les plus extrêmes au lyrisme éperdu des interludes, qui charrient tout ensemble la misère la plus désespérée et l’envie d’un autre monde.

Wozzeck © Salzburger Festspiele / Ruth Walz

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François Lesueur
Après avoir suivi des études de Cinéma et d'Audiovisuel, François Lesueur se dirige vers le milieu musical où il occupe plusieurs postes, dont celui de régisseur-plateau sur différentes productions d'opéra. Il choisit cependant la fonction publique et intègre la Direction des affaires culturelles, où il est successivement en charge des salles de concerts, des théâtres municipaux, des partenariats mis en place dans les musées de la Ville de Paris avant d’intégrer Paris Musées, où il est responsable des privatisations d’espaces.  Sa passion pour le journalisme et l'art lyrique le conduisent en parallèle à écrire très tôt pour de nombreuses revues musicales françaises et étrangères, qui l’amènent à collaborer notamment au mensuel culturel suisse Scènes magazine de 1993 à 2016 et à intégrer la rédaction d’Opéra Magazine en 2015. Il est également critique musical pour le site concertclassic.com depuis 2006. Il s’est associé au wanderesite.com dès son lancement
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