Programme

Giacomo Carissimi (1605–1674)
Prélude de l'Oratorio "Baltazar"
Motet "Super flumina Babylonis"
Motet "Cum reverteretur David"
Motet "O quam dilecta sunt tabernacula tua"

Antonio Draghi (1634–1700)
Jepthé

Entracte

Giovanni Legrenzi (1626–1690)
La Fugazza – Sonate à 5

Giacomo Carissimi (1605–1674)
Histoire de Jephté

Les Arts Florissants 

Paul Agnew, direction, mise en espace, Jephté (ténor)
Lauren Lodge Campbell, Filia (soprano)
Natasha Schnur, soprano
Victoire Bunel, Figlia di Jephte (mezzosoprano)
Mathilde Ortscheidt, Jepthé (contralto)
Geoffroy Buffière, Testo (basse)
Edward Grint, Amon (basse)

 

 

Paris, Cité de la musique, Salle des concerts, le vendredi 24 juin 2022 à 20h30

Fidèles à leur volonté de redécouvrir le répertoire oublié, les Arts Florissants présentent aux côtés de l’Histoire de Jephté de Carissimi le Jephté d’Antonio Draghi, qui n’a pas connu le même succès que son prédécesseur. L’œuvre n’en est pas moins d’une grande qualité et n’a pas à souffrir de la comparaison, d’autant plus lorsqu’elle est servie par des solistes investis et qui mettent aussi bien en lumière les pages recueillies que les pages plus théâtrales de l’oratorio. Si Carissimi et Draghi offrent deux lectures d’une même histoire et deux esthétiques particulières, l’expressivité ne fait défaut à aucune.

Giacomo Carissmi

Les Jephté de Giacomo Carissimi et Antonio Draghi auront connu des fortunes bien contraires : si le premier est devenu une œuvre centrale dans le genre de l’oratorio – et dans la production de son auteur – le second n’a pas eu la même chance, laissé de côté pendant plus de trois cents ans et découvert au hasard d’une lecture par Paul Agnew, qui a eu l’excellente idée d’en exhumer la partition afin de mettre en miroir les deux pièces.

Paul Agnew

Assurant lui-même la partie de ténor, Paul Agnew a réuni autour de lui dix musiciens des Arts Florissants et six chanteurs, interprétant successivement les solos et les chœurs de ces deux oratorios : Lauren Lodge Campbell, Natasha Schnur, Victoire Bunel, Mathilde Ortscheidt, Geoffroy Buffière et Edward Grint. Il a également accompagné ces pièces d’une sonate de Giovanni Legrenzi, La Fugazza, ainsi que de trois motets de Carissimi qui ont ouvert le concert dans une atmosphère recueillie et concentrée.

Le motet « Super flumina Babylonis » prépare en effet l’Histoire de Jephté avec une opposition entre lamentations et chants joyeux que l’on retrouvera dans l’oratorio. Ici, soprano et mezzo pleurent ensemble le destin de Sion tandis que l’alto et le ténor se réjouissent ; mais ce motet possède une finesse dans le passage d’un sentiment à l’autre et dans l’entremêlement des voix qui ne rend pas l’antagonisme caricatural, mais hautement expressif. Ecrit pour trois voix de femmes, « Cum reverteretur David » est quant à lui plus virtuose, tandis que « O quam dilecta sunt tabernacula tua », écrit pour cinq voix, montre à la fois chez Carissimi un plaisir de la vocalité et un sens aigu de la mise en musique d’un texte.

Ce sont ces deux qualités qui ont, sans aucun doute, fait la renommée du compositeur et de son Histoire de Jephté. L’oratorio séduit en effet autant par ses pages religieuses, recueillies, parfois suspendues, que par ses pages plus théâtrales (voire opératiques ?) où les affects aussi bien que les voix se chargent en intensité. La mise en espace réalisée par Paul Agnew, malgré les dimensions limitées de la scène et le peu de possibilités qu’elle offre, a justement la qualité de mettre en valeur la dimension dramatique de l’œuvre en ne laissant pas les chanteurs figés derrière un pupitre, mais en leur permettant de chanter sans partition et d’incarner, au sens premier du terme, les personnages.

Si Paul Agnew avait déjà fait entendre dans les motets précédents une remarquable expressivité, chaque son semblant pensé et ciselé, il donne à sa voix davantage de rondeur et d’impact dans le rôle de Jephté.

Lauren Lodge Campbell

Le ténor prête au personnage une profondeur et une ferveur qui servent tout entières la musique de Carissimi et forment un beau contraste avec la voix lumineuse de Lauren Lodge Campbell, qui incarne la fille de Jephté avec innocence et délicatesse. Si le ténor et la soprano concentrent évidemment l’attention dans cette œuvre, le chœur final rassemble tous les chanteurs et séduit par la qualité des timbres et leur entremêlement. Un moment un peu hors du temps, mais qui n’en capte pas moins d’un bout à l’autre de l’oratorio l’attention des spectateurs.

Mathilde Ortscheidt

Contrairement à l’Histoire de Jephté de Carissimi, le Jephté d’Antonio Draghi met ici plutôt en valeur les voix graves : dans le rôle principal, Mathilde Ortscheidt fait ainsi entendre un timbre riche et sombre qui donne un relief immédiat à Jephté, tandis que sa fille, incarnée par Victoire Bunel, gagne dans la scène finale une expressivité croissante, servie par une voix de plus en plus corsée et nourrie. A entendre Geoffroy Buffière narrer l’histoire, on regrette qu’il n’ait pas davantage d’occasions de briller dans ce programme à l’image d’Edward Grint, qui possède avec Amon tout le loisir de déployer ses qualités vocales – son agilité aussi bien que de superbes graves. Draghi se plait en effet à construire des scènes bien distinctes les unes des autres, possédant chacune un caractère musical et dramatique bien particulier. Amon se perd ainsi en vocalises guerrières, radicalement éloignées de l’écriture réservée à la fille de Jephté, plus sobre et sensible. Mais l’une des plus belles scènes de l’œuvre est sans doute le dialogue entre Jephté et ses frères (Lauren Lodge Campbell, Natasha Schnur et Paul Agnew), où l’on sent chez les interprètes une écoute particulièrement attentive les uns aux autres.

L’esthétique tout à fait différente des deux oratorios permet à l’œuvre de Draghi de ne pas souffrir de la comparaison avec celle de Carissimi. Créé en 1687, soit plus de dix ans après la mort de Carissimi, son Jephté incarne en effet les mutations d’un genre qui regarde de plus en plus vers l’opéra : mais le compositeur sait ménager ses effets sans perdre l’attention portée au texte ni la fluidité du recitar cantando. Une œuvre efficace, inventive, où Draghi se révèle en pleine maîtrise de ses moyens et que les solistes ont su mettre en lumière avec réussite.

Giovanni Legrenzi

Les musiciens des Arts florissants ne sont, malgré le prélude de l’oratorio Baltazar de Carissimi et La Fugazza de Giovanni Legrenzi, que peu mis en valeur dans ce programme. Ils n’en ont pas moins la tâche de porter les voix et l’histoire, ce qu’ils font avec délicatesse et attention. On mentionnera tout particulièrement la prestation de Benoît Hartoin au clavecin et à l’orgue, qui se révèle un continuiste solide et affirmé, aussi bien pour l’orchestre que pour les chanteurs.

Ce programme sera joué de nouveau en juillet à Saint-Michel-en-Thiérache puis en août au festival « Dans les jardins de William Christie » à Thiré : l’occasion pour un plus large public de découvrir l’œuvre de Draghi.

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Claire-Marie Caussin
Après des études de lettres et histoire de l’art, Claire-Marie Caussin intègre l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales où elle étudie la musicologie et se spécialise dans les rapports entre forme musicale et philosophie des passions dans l’opéra au XVIIIème siècle. Elle rédige un mémoire intitulé Les Noces de Figaro et Don Giovanni : approches dramaturgiques de la violence où elle propose une lecture mêlant musicologie, philosophie, sociologie et dramaturgie de ces œuvres majeures du répertoire. Tout en poursuivant un cursus de chant lyrique dans un conservatoire parisien, Claire-Marie Caussin fait ses premières armes en tant que critique musical sur le site Forum Opéra dont elle sera rédactrice en chef adjointe de novembre 2019 à avril 2020, avant de rejoindre le site Wanderer.
Crédits photo : © Oscar Ortega (Paul Agnew)
© Bertie Watson (Lauren Lodge Campbell)
© Video YouTube (Mathilde Ortscheidt)
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