Rossini (1792–1868)
Moïse et Pharaon (1827)
L’Avant-Scène Opéra, n° 328, mai-juin 2022.
114 pages, 28 euros. ISBN : 978–2‑84385–409‑5

Extraits audio avec l’application ASOpéra

L’ŒUVRE

Points de repères
Argument par Jules Cavalié
Introduction et Guide d’écoute par Christophe Rizoud
Livret intégral de Luigi Balocchi et Etienne de Jouy
Livret intégral de Mosè in Egitto

 

REGARDS SUR L’ŒUVRE

« Moïse » par Alfred de Vigny
« Une Mer Rouge en rébellion » par Céline Frigau Manning
« Le carré d’As du Rossini parisien » par Jean Cabourg
« La Bible à l’opéra » par Julia Le Brun

ÉCOUTER, VOIR ET LIRE

Discographie-Vidéographie par Alfred Caron
« Le Mosè de 1818 au disque et à l’écran » par Alfred Caron
L’Œuvre à l’affiche par Jules Cavalié
Bibliographie par Jules Cavalié

Parution du n°328 de l'Avant-Scène Opéra, mai-juin 2022 consacré à Moïse et Pharaon de Gioachino Rossini

Quand en 1983 Massimo Bogianckino ouvrit sa première saison parisienne par Moïse, le titre utilisé alors pour Moïse et Pharaon, ce fut un événement : l’opéra de Rossini revenait à l’opéra après plus d’un siècle d’absence. Notre première scène nationale n’avait alors que peu d’égard pour son histoire et tout ce répertoire en français créé à Paris par les italiens qui y vivaient. On pourra discuter longtemps pour se demander si les temps ont changé. Mais l’opéra de Rossini depuis a été repris une quinzaine de fois sur les scènes et arrive cet été à Aix en Provence. C’est l’occasion choisie par L’Avant-Scène Opéra de faire entrer ce douzième titre dans sa déjà riche collection rossinienne.

Si l’Opéra de Paris s’approprie régulièrement des œuvres qui ont été créées à l’Opéra-Comique, comme le soulignait notre ami Laurent Bury dans son compte rendu du dernier numéro de L’avant-scène Opéra, consacré à Cendrillon de Massenet, il s’est « désapproprié » et continue d’ignorer son propre répertoire, qui a fait la gloire de la maison au XIXe, et notamment le « Rossini français » ou plus largement les œuvres de Rossini écrites en France : Il Viaggio a Reims, 38 ans après sa « renaissance » à Pesaro n’est pas encore au répertoire (même si il a été créé à Paris au Théâtre-italien en 1825), et depuis 1973, Le Comte Ory (Opéra de Paris 1828) a été représenté une seule fois, à l’Opéra-Comique, en 1976, Le siège de Corinthe (Opéra de Paris 1826) une seule fois en 1985, Guillaume Tell (Opéra de Paris 1829) une seule fois en 2003 et Moïse et Pharaon (Opéra de Paris 1827), une seule fois en 1983. C’est ce qui s’appelle défendre son répertoire historique.
Je souligne ici les productions spécifiques à l'Opéra de Paris, je ne parle pas des spectacles produits par d'autres institutions parisiennes. Un exemple : Le comte Ory a été vu plusieurs fois à Paris depuis 1976, mais jamais à l’initiative de notre première scène nationale. J'ajoute qu'en 1976, l'Opéra de Paris pouvait utiliser la Salle Favart, qui à l'époque n'avait pas de destination claire (Opéra Studio…), dont le destin chaotique n'a été vraiment scellé que bien plus tard, quand l'Opéra-Comique est redevenu un théâtre autonome, en 1990, l'actuel statut datant de 2005…

On salue donc d’autant plus chaleureusement l’inscription de Moïse et Pharaon au programme du Festival d’Aix et la parution de ce numéro de l’Avant-scène Opéra, qui peut-être donneront des idées à notre première scène nationale… Alors que timidement le Grand-Opéra à la Meyerbeer (admirateur éperdu de Rossini) revient sur les scènes, celui qui en est l’inspirateur, Gioachino Rossini, n’intéresse que pour ses œuvres bouffes, reprises à satiété alors qu’on peine à y repérer des productions du Rossini dit sérieux puisque de toute sa production seuls trois titres, La Gazza ladra, Semiramide et La Donna del lago ont eu droit à des productions sans jamais aucune reprise.
Si Moïse et pharaon n’a jamais été reproposé depuis 1983, on s’imagine bien que Mosè in Egitto (création à Naples en 1818), l’opéra dont le titre français est une refonte git au fond des oubliettes de l’histoire de l’opéra à Paris. Saluons à ce propos l’insertion du Moïse de Vigny, contemporain de l’arrivée en 1822 du Mosè in Egitto
En effet, ce n’est pas l’une des moindres qualités de ce numéro que d’offrir de manière juxtaposée les livrets de Moïse et Pharaon (signé Luigi Balocchi et Etienne de Jouy) et de Mosè in Egitto (signé Andrea Leone Tottola, dans la seule version italienne), arrivé à Paris le 22 octobre 1822, d’autant que Mosè in Egitto fut longtemps supplanté par la traduction italienne de Moïse et Pharaon et redécouvert à partir de la production de Pesaro en 1983 Il aurait été sans doute utile d’en proposer aussi une traduction en français, pour mieux comparer les deux œuvres. Le commentaire de Christophe Rizoud est très bien documenté et permet d’identifier les différences entre les deux versions, mais la mise en page n’a quelquefois pas la clarté voulue : il y a manifestement des erreurs, par exemple le commentaire de la page 28 est en réalité la suite de la page 29, tandis que la suite de la page 26 doit se lire page 28… Ces erreurs ont été corrigées sur la version numérique.
Les articles se focalisent non tant sur l’histoire des représentations, ce qui aurait pu être une voie possible, mais sur la création et son contexte, avec l’excellent article de Céline Frigau Manning (« Une Mer Rouge en rébellion ») sur les questions de mise en scène (ou de scénographie, à l’époque, c’est la même chose) qui se posèrent alors, et notamment le passage de la Mer Rouge, aujourd’hui aisément résolu par la vidéo. Mais on se souvient que Ronconi (Paris 1983, Milan 2000) avait au contraire voulu souligner la machinerie théâtrale avec la figuration des rouleaux de mer…
Autre précieux sésame, l’article de Jean Cabourg (« Le carré d’As du Rossini parisien » ) sur le quatuor vocal Nicolas Levasseur, Laure Cinti ‑Damoreau, Adolphe Nourrit et Henri-Bernard Dabadie qui à travers ces quatre chanteurs qui firent les beaux soirs du Rossini français, dresse un tableau référentiel et propose en réalité des résumés de carrière qui éclairent particulièrement le lecteur. Voilà des pages à garder pour mieux approfondir la nature du chant à Paris dans ces années-là.
Enfin Julie Le Brun plonge dans la Bible (et les sujets sacrés) à l’Opéra et les frontières poreuses entre l’oratorio et la scène, notamment en France (La Création de Haydn est « théâtralisée » ‑on dit mettre en action- en 1800 à Paris par exemple). Le regard est étendu jusqu’à nos jours, où l’article évoque les liens sulfureux entre religiosité et sensualité (Salomé… mais pas que) avec une promenade assez stimulante dans les œuvres qui, aujourd’hui encore s’appuient sur la Bible (Steve Reich, John Adams, Harrison Birtwistle) notamment dans l’univers musical anglo-saxon. On aurait peut-être aimé, même si l’œuvre n’est pas directement « biblique » au moins une allusion à la puissance spirituelle et à la force religieuse du Saint François d’Assise, de Messiaen, merveilleuse Vie de saint moderne.
Dans la dernière partie, une très précieuse disco-vidéographie signée Alfred Caron, qui concerne aussi bien Moïse et Pharaon que Mosè permet de considérer l’évolution des interprétations et de jeter un œil sur les productions scéniques à travers les vidéos et donc se faire une tout petite histoire des représentations récentes, et comme toujours, un état des représentations de l’œuvre et une Bibliographie de base (Jules Cavalié) achèvent un numéro qui permettra de mieux se préparer aux représentations d’Aix (ou de Lyon), et se laisser surprendre d’autant plus par l’imaginaire et l’invention ébouriffante de Tobias Kratzer.

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.
Crédits photo : © ROF / Studio Amati Bacciardi (En-tête)
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