Gaetano Donizetti (1797–1848)
The Three Queens

 Sinfonie et scènes finales d’Anna Bolena, Maria Stuarda et Roberto Devereux

Sondra Radvanovsky, soprano
Kathleen Felty, mezzo-soprano
Lauren Decker, contralto
Eric Ferring, Mario Rojas, tenors
Christopher Kenney, Ricardo José Rivera, David Weigel, barytons
Anthony Reed, basse

Orchestre et chœur du Lyric Opera of Chicago
Direction musicale : Riccardo Frizza

2 CD Pentatone – 37’21 + 62’15

Enregistré en décembre 2019 au Lyric Opera de Chicago

C’est un album attendu que le label Pentatone vient de faire paraître, offrant à la soprano Sondra Radvanovsky d’interpréter les scènes finales de trois opéras de Donizetti : Anna Bolena, Maria Stuarda et Roberto Devereux. Endossant les costumes des trois reines, la soprano trouve ici à exprimer toute sa maîtrise du style belcantiste et à déployer sa voix singulière, pour un résultat vocal et musical de très haut niveau. On regrette en revanche que l’orchestre et le chœur n’aient pas le même degré d’engagement, malgré la direction d’un expert du genre, Riccardo Frizza ; le tout manque ainsi de force dramatique et de de théâtralité, et l’enregistrement ne convainc pas entièrement.

Sondra Radvanovsky chantant les « trois reines » de Donizetti ? Le MET Opera l’avait fait lors de sa saison 2015–2016, offrant à la soprano américaine d’endosser les rôles d’Anna Bolena, Maria Stuarda et Elisabetta (de Roberto Devereux) dans leur intégralité. Le Lyric Opera de Chicago et le label Pentatone prolongent l’expérience avec ce double album enregistré en live, réunissant les scènes finales des trois opéras précédemment mentionnés.

On imagine peu d’interprètes capables de relever ce défi, du moins avec autant de maturité : bien qu’elle se soit tournée ces dernières années vers des rôles plus lourds (Lady Macbeth, Aïda, Lisa, Tosca), Sondra Radvanovsky n’a jamais totalement délaissé les ouvrages belcantistes et y a gardé une souplesse dans la ligne, un raffinement dans les nuances qui ont fait de cet album un événement. Disons-le d’emblée : on n’est pas déçu par les capacités vocales et musicales de la soprano, mais malgré tout l’album ne convainc pas entièrement car l’alchimie avec l’orchestre et le chœur ne prend pas. Le déploiement dramatique tant attendu ne parvient pas à se faire et la musique de Donizetti en souffre parfois.

A la tête de l’orchestre du Lyric Opera, Riccardo Frizza construit particulièrement bien les ouvertures des trois œuvres : il leur donne une structure et une direction malgré les effets de rupture. On sent un chef rompu à ce répertoire mais il manque à l’orchestre du brillant dans le son, des contrastes expressifs encore plus soulignés. L’ouverture de Roberto Devereux laisse entendre des cordes élégantes et des vents qui donnent un certain relief à la partition ; mais les autres pages manquent globalement de présence, de tension, ce qui ne pardonne pas dans des ouvrages qui laissent déjà souvent l’orchestre au second plan. Ainsi, des pages telles que « Al dolce guidami » (Anna Bolena) ou le chœur « Vedeste ? Vedemmo » (Maria Stuarda) n’avancent pas et sont comme prises au piège par le tempo lent choisi par le chef – et les chanteurs n’arrivent pas à assumer seuls la dynamique de la phrase.

On entend également malheureusement, à plusieurs reprises, un léger décalage entre la soliste et l’orchestre, notamment dans Anna Bolena. La voix et les musiciens ne font pas entièrement corps l’une avec les autres ; et ce qui passerait dans un autre répertoire et en live ne pardonne pas une fois gravé au disque. Il convient malgré tout de signaler que Sondra Radvanovsky se permet beaucoup de rubato et d’effets vocaux qui rendent la tâche ardue à l’orchestre : ce ne sont sans doute pas les qualités des musiciens ou du chef qu’il faut remettre en cause, mais plutôt une alchimie qui ne prend pas tout à fait entre tous les acteurs de l’enregistrement.

Avant d’en venir à la performance de la soprano et aux réussites de l’album, il reste quelques points faibles à mentionner, et tout d’abord les interventions du chœur de l’Opéra de Chicago. On regrette que l’ensemble n’ait pas un son plus brillant, un chant plus incisif (les beaux effets rythmiques du « Vedeste ? Vedemmo » perdent tout leur relief), ni une dynamique interne : le chœur traîne, et l’ensemble ne soutient pas Sondra Radvanovsky qui se retrouve bien seule à devoir porter le drame qui se joue dans ces scènes. Les solistes du Ryan Opera Center quant à eux ne déméritent pas dans cet exercice – on pense notamment au baryton Christopher Kenney et au ténor Eric Ferring – mais l’enregistrement aurait mérité des chanteurs de plus grande envergure, encore une fois dans un souci d’équilibre avec Sondra Radvanovsky. Le « Cielo, a’ miei lungi spasimi » d’Anna Bolena reste tout de même l’un des plus beaux moments de l’album, le quatuor réunissant Lauren Decker (Smeton), Mario Rojas (Percy) et Anthony Reed (Rochefort) autour de la soprano.

On l’aura compris, ce programme construit pour Sondra Radvanovsky repose sur Sondra Radvanovsky. Vocalement, la chanteuse possède deux atouts indispensables aux rôles d’Anna Bolena, Maria Stuarda et Elisabetta, à savoir des graves profonds et des aigus lumineux et saillants. Elle traverse ainsi les partitions en pleine possession de ses moyens et peut en assumer le caractère dramatique et les effets voulus par Donizetti. Mais la soprano possède également une voix très caractéristique, qui a en elle-même une puissance expressive : un timbre reconnaissable, un vibrato très marqué (et qui plus est homogène sur l’ensemble de la tessiture, quelle que soit la dynamique !), une diction particulière (assez molle dans la prononciation des consonnes). Certains n'aimeront peut-être pas cette voix, mais on ne peut lui dénier un tempérament et une personnalité qui ne peuvent que servir l’interprétation de ces trois reines au destin hors du commun. La soprano possède aussi tous les codes belcantistes : une ligne remarquablement dessinée, une maîtrise du port de voix et du rubato, ainsi que de magnifiques dynamiques – dans « Al dolce guidami » mais aussi dans « Vivi, ingrato » avec ses superbes pianissimos. Sondra Radvanovsky ne laisse rien au hasard dans le chant et on aime les libertés qu’elle prend avec la partition.

Ce qui a manqué donc à cet album est la cohésion d’ensemble qui aurait permis que le drame prenne. La présence de la soprano n’a pas suffi à faire de l’enregistrement une réussite totale et on achève l’écoute avec la sensation d’avoir entendu du très beau chant, mais de ne pas avoir vu les scènes se dérouler sous nos yeux. Les applaudissements nourris du public du Lyric Opera conservés sur l’album laissent penser que l’interprétation live et sa mise en scène palliaient ce manque de théâtralité ; un DVD aurait donc peut-être été plus adapté pour lui rendre pleinement justice.

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Claire-Marie Caussin
Après des études de lettres et histoire de l’art, Claire-Marie Caussin intègre l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales où elle étudie la musicologie et se spécialise dans les rapports entre forme musicale et philosophie des passions dans l’opéra au XVIIIème siècle. Elle rédige un mémoire intitulé Les Noces de Figaro et Don Giovanni : approches dramaturgiques de la violence où elle propose une lecture mêlant musicologie, philosophie, sociologie et dramaturgie de ces œuvres majeures du répertoire. Tout en poursuivant un cursus de chant lyrique dans un conservatoire parisien, Claire-Marie Caussin fait ses premières armes en tant que critique musical sur le site Forum Opéra dont elle sera rédactrice en chef adjointe de novembre 2019 à avril 2020, avant de rejoindre le site Wanderer.
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