Leonard Bernstein (1918–1990)

« Three Dance Episodes » extraits de On the Town

Symphonie n°1 « Jeremiah »
pour mezzo-soprano et orchestre

George Gershwin (1898–1937)
Rhapsody in Blue

Rinat Shaham, mezzo-soprano
Wilhem Latchoumia, piano

Orchestre National de Lille
Direction musicale : Alexandre Bloch

 

Paris, Philharmonie de Paris, Grande Salle Pierre Boulez, samedi 8 janvier à 20h30

Dans le cadre de son weekend Bernstein, la Philharmonie de Paris a invité l’Orchestre National de Lille et son chef Alexandre Bloch pour un programme contrasté, mettant face à face On the Town, la Rhapsody in Blue de Gershwin et la Symphonie n°1 « Jeremiah ». L’orchestre fait preuve de belles qualités musicales, et en particulier les pupitres de cuivres et de vents très sollicités par les compositeurs. Le pianiste Wilhem Latchoumia n’est peut-être pas aussi inspiré que ses collègues instrumentistes, mais la mezzo-soprano Rinat Shaham livre une magnifique interprétation des lamentations du prophète Jérémie telles que Bernstein les a mises en musique.

Orchestre National de Lille, Alexandre Bloch (direction)

Tandis que l’adaptation de West Side Story proposée par Steven Spielberg (et dirigée par Gustavo Dudamel) a fait couler beaucoup d’encre à la fin de l’année 2021, la Philharmonie de Paris ouvre l’année 2022 avec un weekend consacré à Leonard Bernstein : l’occasion de rappeler la variété de sa production, dont la comédie musicale ne fut qu’un pan. L’orchestre National de Lille et son chef Alexandre Bloch sont ainsi invités pour un programme particulièrement contrasté, puisqu’aux danses d’On the Town et à la Rhapsody in Blue de Gershwin répondait la Symphonie « Jeremiah ».

C’est donc avec les « Three Dance Episodes » tirés de la comédie musicale On the Town que s’ouvre le concert. Composée en 1944, l’œuvre est un prolongement du ballet Fancy Free créé avec Jerome Robbins : on y suit en effet les aventures de trois marins dont les intrigues sentimentales vont se nouer et se défaire au cours de leurs vingt-quatre heures de permission à New-York. D’abord la danse, puis le chant, et enfin la musique symphonique : l’œuvre aura connu plusieurs métamorphoses puisque Bernstein adapte dès 1945 ces « Three Dance Episodes » pour orchestre. Un arrangement d’à peine plus de dix minutes, mais qui donne un bon aperçu du mordant de l’œuvre où le génie rythmique et expressif du compositeur trouve pleinement à se faire entendre.

Si « The Great Lover displays himself » laissait craindre une certaine rigidité de la part de l’Orchestre National de Lille, les musiciens font preuve dans « Lonely Town » d’une belle souplesse dans les phrasés. Le son gagne en détente, en « swing », en naturel avant que « Times Square » ne permette aux cuivres de déployer un son particulièrement rutilant. Alexandre Bloch y maintient une direction énergique, incisive, avec de vrais fortissimo, et ce sont sans aucun doute les cuivres et les vents qui s’imposent ici : pas seulement parce que Bernstein leur confie l’essentiel du discours, mais parce que les musiciens de l’orchestre y montrent une musicalité et une affinité manifeste avec ce répertoire, qui lui donnent toute sa saveur.

Wilhem Latchoumia

En proposant la Rhapsody in Blue après On the Town, on voit évidemment la continuité qui existe entre l’œuvre du jeune Bernstein et celle du grand maître de la comédie musicale américaine Gershwin, la Rhapsody permettant elle aussi à l’orchestre de se faire entendre dans un répertoire à la croisée de la musique classique dite « savante » et du jazz. Après une introduction plutôt sage, les musiciens sont rejoints par le pianiste Wilhem Latchoumia qui ne semble pas totalement en possession de l’œuvre : il y a dans son jeu beaucoup d’imprécisions, impression renforcée par un emploi de la pédale qui dilue trop souvent le discours ainsi que par des tournes de page intempestives. Le pianiste ne semble pas suffisamment en maîtrise de la partition pour la nourrir et s’accorder pleinement avec l’orchestre, qui privilégie quant à lui un jeu énergique, efficace, bien phrasé, et un son d’ensemble brillant. Si certains passages forte sont un peu rigides, les moments plus lyriques sont bien chantants, et Alexandre Bloch parvient à mettre du liant entre les différentes parties tout en se montrant très attentif au piano. Ici encore, ce sont les cuivres et les vents qui enthousiasment grâce à un son affirmé et expressif qui ravive une Rhapsody in Blue pas suffisamment éclatante au piano. En bis, Wilhem Latchoumia propose en revanche une Caixinha de música quebrada de Villa-Lobos inspirée, au jeu bien perlé et précis.

Rinat Shaham et Alexandre Bloch

Après une première partie joyeuse et résolument tournée vers le jazz, l’Orchestre National de Lille et Alexandre Bloch se tournent vers une œuvre résolument sérieuse avec la Symphonie n°1 de Bernstein, dite « Jeremiah » – symphonie citant dans son dernier mouvement des extraits du livre des Lamentations où le prophète Jérémie pleure le sort de Jérusalem. On connaît l’intérêt porté par le compositeur à la religion et à la foi tout au long de sa vie, mais cet intérêt est d’autant plus vif peut-être dans une œuvre composée entre 1939 et 1943. La solennité du sujet résonne de manière frappante dans le premier mouvement, intitulé « Prophétie », où Alexandre Bloch parvient à maintenir un souffle dans sa direction, à donner un caractère presque épique à l’orchestre. Il y a dans sa lecture une densité constante ainsi qu’une vision d’ensemble suffisamment claire pour que l’œuvre semble totalement cohérente malgré la variété des influences qui ont nourri Bernstein. Dans le deuxième mouvement, les motifs issus des musiques traditionnelles moyen-orientale et sémitique sont particulièrement mis en valeur pour donner sa couleur si particulière à la partition, avant que le troisième mouvement n’affirme des accents sombres, puissants, acérés. Cette « Lamentation » bénéficie surtout de la présence très précieuse de la mezzo-soprano Rinat Shaham (remplaçant Michelle DeYoung, initialement prévue) : la chanteuse est entièrement habitée par la musique et le texte qu’elle interprète, leur donnant un relief et un tragique idéaux. La voix est profonde, sans éclat dans le timbre, tout entière dans la lamentation : une interprétation qui crée un contraste frappant avec On the Town et qui montre la variété de l’œuvre de Bernstein, toujours à la frontière entre les registres, les genres et les styles – et loin de se limiter à West Side Story.

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Claire-Marie Caussin
Après des études de lettres et histoire de l’art, Claire-Marie Caussin intègre l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales où elle étudie la musicologie et se spécialise dans les rapports entre forme musicale et philosophie des passions dans l’opéra au XVIIIème siècle. Elle rédige un mémoire intitulé Les Noces de Figaro et Don Giovanni : approches dramaturgiques de la violence où elle propose une lecture mêlant musicologie, philosophie, sociologie et dramaturgie de ces œuvres majeures du répertoire. Tout en poursuivant un cursus de chant lyrique dans un conservatoire parisien, Claire-Marie Caussin fait ses premières armes en tant que critique musical sur le site Forum Opéra dont elle sera rédactrice en chef adjointe de novembre 2019 à avril 2020, avant de rejoindre le site Wanderer.
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