Hen
Conception, mise en scène et voix : Johanny Bert

Avec Johanny Bert, Anthony Diaz et les musiciens Guillaume Bongiraud, Cyrille Froger

Collaboration à la mise en scène : Cécile Vitrant
Dramaturgie : Olivia Burton
Lumière : Johanny Bert, Gilles Richard
Son : Frédéric Dutertre, Simon Muller
Costumes : Pétronille Salomé
Fabrication des marionnettes : Eduardo Felix
Assistante manipulation : Faustine Lancel
Construction décor : Fabrice Coudert
Arrangements musicaux : Guillaume Bongiraud, Cyrille Froger
Auteurs-compositeurs pour la création : Marie Nimier, Prunella Rivière, Gwendoline Soublin, Laurent Madiot, Alexis Morel, Pierre Notte, Yumma Ornelle et une reprise de Brigitte Fontaine

Production : Théâtre de Romette

Coproduction : Le Bateau Feu – Scène nationale Dunkerque ; La 2Deuche – Lempdes
Avec le soutien de La Cour des Trois Coquins – Scène vivante de Clermont-Ferrand ;
Le Mouffetard – Théâtre des arts de la marionnette à Paris ; Le Carreau du Temple à
Paris – Accueil studio. Le Théâtre de Romette est implanté à Clermont-Ferrand, à la
Cour des Trois Coquins – Scène vivante, et est associé à la Maison des Arts du
Léman de Thonon-Évian-Publier.

La compagnie est conventionnée par la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes, la Région
Auvergne-Rhôn-Alpes et la Ville de Clermont-Ferrand. Johanny Bert est artiste
compagnon au Bateau Feu – Scène nationale de Dunkerque et artiste complice du
Théâtre de la Croix-Rousse.
Création : 6 juillet 2019, au Théâtre du Train Bleu à Avignon.

Lyon, Théâtre des Célestins, samedi 11 décembre, 20h30

De retour aux Célestins de Lyon en ce mois de décembre, Wanderer est venu assister à Hen, spectacle que nous avions déjà repéré en juillet 2019 dans le Off d’Avignon, au théâtre du Train Bleu où il a été créé. Programmé lors de la saison précédente mais reporté en raison des restrictions sanitaires, voici enfin en Célestine jusqu’à la fin de ce mois de décembre, le spectacle conçu par Johanny Bert. Metteur en scène, plasticien, comédien et marionnettiste, ce dernier suit un parcours artistique marqué par des collaborations fructueuses autour des écritures contemporaines avec Marion Aubert, Stéphane Jaubertie ou encore Magali Mougel. Artiste associé à La Comédie de Clermont-Ferrand pendant deux ans, il devient artiste compagnon au Bateau Feu, scène nationale de Dunkerque dès 2018. C’est là qu’il développe Hen « sous forme de laboratoires sur les questions d’identités et de genre » mis en relation avec « une recherche sur les origines d’un théâtre de marionnettes subversif ». Wanderer attendait avec une certaine impatience de voir le résultat de ce projet peu ordinaire produit par le Théâtre de Romette, la compagnie de Johanny Bert. Hen (à prononcer « heune »), c’est d’abord ce pronom suédois entré dans le dictionnaire il y a quelques années, permettant de désigner les personnes, sans distinction de genre. Hen sort donc des normes, brise les codes et les conventions – y compris théâtrales parfois – et comme nous le pressentions, nous avons beaucoup aimé.

 

 

Les spectateurs sont nombreux dans la file qui attend l’ouverture des portes. On constate que c’est un public que rien ne distingue vraiment d’un autre public. Peut-on y voir une forme de curiosité pour la singularité du spectacle ? Peut-on percevoir aussi une certaine avancée sociétale, témoignant d’un intérêt plus marqué pour les questions de genre, pour la place des identités dans notre siècle plus tout à fait nouveau ? C’est possible – et tant mieux, dira-t-on – mais point d’excès d’optimisme, point d’angélisme non plus : le désintérêt autour de ces questions émergentes persiste encore, quand ce ne sont pas des résistances brutales, des oppositions farouches, nous le savons bien. C’est justement pour cette raison que Hen a été créé.

Prenant place dans la salle, on découvre une atmosphère sombre et enfumée, rappelant celle des cabarets berlinois des années 30 dont Johanny Bert s’est largement inspiré. Face aux fauteuils, dans un panneau tout noir, une ouverture surélevée bordée de tubes de néon fluorescents. Cela pourrait être un castelet modernisé, avec sa petite scène fermée par un rideau de plastique, légèrement plissé par un probable ventilateur en coulisses. En contrebas de cette ouverture, au niveau du premier rang, des instruments de musique à jardin et à cour : clavier, batterie, vibraphone et violoncelle. On remarque aussi des micros sur pieds. La salle est éclairée par d’autres néons fluorescents, dont le halo lumineux vacille par moments. Et cette étrangeté du lieu ainsi conçu se trouve également soulignée par une musique d’ambiance qui rappelle celle de certains clubs pour noctambules, entre paillettes et décadence.

Les musiciens – Guillaume Bongiraud et Cyrille Froger dont il convient de saluer la performance instrumentale et vocale tout à fait remarquable au fil du spectacle – font leur entrée. Immédiatement, leur tenue frappe le regard : pantalon noir et surtout chemise noire transparente, ornée de lanières et de clous. Le ton est donné. On entend alors quelques grésillements – comme le signal d’un basculement vers autre chose – et la salle plonge dans l’obscurité. Les musiciens, produisant la vibration des tubes du vibraphone et des cordes du violoncelle, accompagnent l’apparition d’une forme dans la lumière, derrière le rideau plastifié. D’abord difficile à identifier, cette forme se déplie et devient une figure à la silhouette humanoïde. Elle apparaît, disparaît, semble flotter suivant le rythme lent des instruments de musique. On distingue un micro dont elle se rapproche. C’est alors qu’une voix s’élève – celle de Johanny Bert.

Eternelle, le morceau composé par Brigitte Fontaine, ouvre le tour de chant de cette vedette d’un cabaret hors du commun, hors du temps mais d’emblée ancré dans l’univers queer. Fabuleusement. Un corps flou, aux attributs féminins en apparence mais le crâne rasé et la voix mâle pour clamer « Je veux être aimée pour moi-même / Et non pas pour mes ornements […] Belle dans le simple appareil / D’une fille arrachée au sommeil / Éternelle […] » Quand le morceau s’achève, les mains de la figurine cisaillent le rideau et elle surgit.

Très finement manipulée à vue par Anthony Diaz et Johanny Bert lui-même, tous deux en tenue sombre ne laissant voir que leur silhouette derrière la marionnette, Hen se tient debout face au public. Dans un pantalon noir très près du corps, rehaussée de quelques strass tombant de son épaulette, la marionnette bouge et interpelle les spectateurs. « Bonsoir et merci d’être venu nous écouter… » Parce qu’elle s’amuse autant des petits imprévus liés à la technique que de l’actualité à Lyon en ce moment, l’adresse au public est simple, évidente. Presque enfantine, convoquant le souvenir des numéros de ventriloquie, souvent montrés d’ailleurs sur la scène des cabarets où là aussi, les rires fusent.

« Telle qu’elle, tel qu’il » fredonne la si peu conventionnelle marionnette. Dans la légèreté du propos se glisse des déclarations plus sérieuses. « Ici, nous accueillons tout le monde » – en référence à l’univers de la nuit, toujours moins discriminant, plus à même d’accepter l’Autre dans sa différence, quelle qu’elle soit. La salle est désormais pleinement installée dans le temps des chimères. Et d’une façon des plus réjouissantes. Certes, il est question du strip-tease attendu par les fans et qui va venir. Certes, on désamorce immédiatement le glissement vers une réflexion possiblement rébarbative sur « la nouveauté théâtrale et marionnettique » qui, lui, ne viendra pas dans le spectacle. Pour autant, Johanny Bert et ses partenaires nous ramènent au réel et à ses limites : « Je suis en mousse, en bois, en tissu. Je suis un pantin. Tout est faux », précise Hen. La joyeuse parenthèse s’arrête donc à ce constat. Car c’est dans l’imaginaire des spectateurs que ce « pirate du genre », vivant alors sur la scène, souhaite plutôt s’installer, non sans exciter les curiosités. « Si vous me laissez le temps d’exister, tout devrait bien se passer. », fanfaronne-t-il.

Les numéros vont s’enchaîner – signalons par exemple, l’inoubliable reprise destroy de Tata Yoyo – comme ses changements de tenues et d’apparence, témoignant de l’extraordinaire travail de fabrication des marionnettes d’Eduardo Felix et des costumes éblouissants de Pétronille Salomé. Dans les yeux émerveillés du public, se succèdent tout à tour les évocations de Divine et Liza Minelli dans le film de Bob Fosse, de Lady Gaga et Elektra Abundance dans sa ballroom. C’est également toute l’imagerie fantasmatique des œuvres de Tom of Finland qui surgit par moments.

Ainsi, entre poitrine surdimensionnée autant qu’amovible, et nombreux phallus turgescents crépitant comme des feux de Bengale, Hen défie sans cesse les lois de la nature et en exprime ouvertement du plaisir. Créature flottant dans l’air, se décomposant en plusieurs morceaux pour mieux se recomposer, elle est un affront constant et rieur à ce réel qu’elle paraît toiser avec cynisme. Lascive, impudique et provocante, elle exhibe sa nudité sous le faisceau des projecteurs, en bottes de cuir fermement posée sur le rebord d’une cuvette de toilettes, ou copulant encore avec un projecteur robotisé et animalisé. Bien sûr, on retrouve tout le travail de réflexion qu’a conduit Johanny Bert autour de la subversivité de la marionnette, ayant la faculté de « railler le bourgeois, le propriétaire, les forces de l’ordre, la mort » et de nos jours, tous les mouvements homophobes et transphobes pourrait-on ajouter. Hen s’apparente à un Guignol dont « le corps est un acte dissident ». Se jouant des convenances même les plus pieuses, impudente et caustique, cette poupée glam et engagée part en effet fièrement au combat contre les discriminations, contre les tristes sires garants d’une morale jugée hypocrite et haineuse – laissant par exemple, écouter une archive sonore datant des manifestations contre le mariage homosexuel afin de la rendre inconsistante, jusque dans le silence. « Je suis ce que je veux », tout est dit. Hen, vainqueur par KO.

C’est un authentique hymne à la vie haut en couleurs qui résonne en Célestine actuellement. De fait, on est totalement séduit par l’effronterie poétique des textes écrits entre autres par Marie Nimier, Pierre Notte ou encore Gwendoline Soublin. Bien que ce soit paradoxal, cette figurine d’un « genre utopique » incite à mieux affronter le réel, à consolider les fondements d’une société moins violente et définitivement plus tolérante. Johanny Bert investit ici pleinement le champ à la fois artistique et politique alors que persistent encore trop de persécutions, trop de déchaînements à l’encontre de l’Autre. Il nous convie à célébrer la liberté d’aimer, de parler, d’être soi. En somme, à chercher une voie possible vers une plus grande humanité.

 

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Thierry Jallet
Titulaire d'une maîtrise de Lettres, et professeur de Lettres, Thierry Jallet est aussi enseignant de théâtre expression-dramatique. Il intervient donc dans des groupes de spécialité Théâtre ainsi qu'à l'université. Animé d’un intérêt pour le spectacle vivant depuis de nombreuses années et très bon connaisseur de la scène contemporaine et notamment du théâtre pour la jeunesse, il collabore à Wanderer depuis 2016.

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