Giorgio Battistelli (1953)
Julius Caesar (2021)
Tragédie en musique
Livret de Ian Burton d'après la tragédie homonyme de William Shakespeare (1599)
Création mondiale le 20 novembre 2021 à l'Opéra de Rome

Direction musicale : Daniele Gatti
Mise en scène : Robert Carsen
Décors : Radu Boruzescu
Costumes : Luis F.Carvalho
Lumières : Robert Carsen, Peter Van Praet

Julius Caesar : Clive Bayley :
Brutus : Elliot Madore
Cassius : Julian Hubbard
Antony : Dominic Sedgwick
Casca : Michael I. Scott
Lucius : Hugo Limas
Calpurnia : Ruxandra Donose
Octavius : Alexander Sprague
Marullus/Cinna : Christopher Lemmings
Devin/Premier plébéien : Christopher Gillett
Flavius/Metellus/Second plébéien : Allen Boxer
Decius/Troisème plébéien : Scott Wilde
Esclave de César/Titinius/Quatrième plébéien : Alessio Verna

Orchestra e coro del Teatro dell'Opera di Roma
Chef de choeur : Roberto Gabbiani

 

Rome, Teatro dell'Opera, Samedi 20 novembre 2021, 19h

Pour terminer son mandat en „majesté“, Daniele Gatti ouvre la saison de l’Opéra de Rome par une création signée Girogio Battistelli, Julius Caesar, sur un livret de Ian Burton d’après Shakespeare. C’est aussi la conclusion du mandat du Sovrintendente Carlo Fuortes, qui part à la RAI, fin d’une époque assez réussie de l’Opéra de Rome qui a su se renouveler et dominer les démons qui sont part de son histoire. Et de fait, la production a triomphé, les spectateurs ravis devant un spectacle asses grandiose de Robert Carsen qui transpose l’histoire dans l’Italie d’aujourd’hui, au sein d’un Sénat romain qui ressemble comme deux gouttes d’eau au Sénat d’aujourd’hui, le Palazzo Madama, faisant fi des exactitudes de l’histoire. Bien sûr cette histoire d’assassinat d’un leader qu’on dirait aujourd’hui populiste sonne familière à nos oreilles, mais Shakespeare a toujours su mettre en scène les folies intemporelles des hommes.

Heurs et malheurs de la création à l’opéra, suite du feuilleton.
Il y avait bien longtemps que l’Opéra de Rome n’avait pas présenté de création, depuis exactement 120 ans. Le 17 janvier 1901 fut présenté Le Maschere de Mascagni. Plus rien depuis.
C’est dire comme l’Opéra de Rome a su reconquérir une place de choix dans le paysage italien et international, grâce à l’action conjointe du Surintendant Carlo Fuortes, et du directeur musical Daniele Gatti. Mais voilà, Carlo Fuortes part à la RAI, comme Paolo Grassi qui lui quitta la Scala en son temps, et Daniele Gatti après trois ans quitte l’Opera de Rome pour celui de Florence. C’est dommage, c’est un peu court pour imprimer vraiment une marque et donner au théâtre un profil et une assise définitives, car on sait les hauts et les bas de l’histoire de l’Opéra de Rome, qui devrait s’appeler « La Fenice » tant il ne cesse de renaître de ses cendres. Il reste à espérer que Michele Mariotti continue le travail entamé avec un nouvel Intendant dont on ne connaît pas le nom encore.
Alors, pour marquer ce départ double, cette création est bienvenue pour son côté symbolique, et emblématique d’un moment de grâce du Teatro Costanzi.
Mais une création pourquoi faire ?
Si elle est seulement emblématique d’un double départ, c’est un coup d’épée dans l’eau, parce que l’œuvre ne fera pas carrière, malgré le succès réel qu’elle semble avoir remporté. Dans un système stagione à huit ou neuf productions par an, il n’est pas sûr qu’une création remplisse la salle une seconde fois. Et en Italie, on crée, mais on ne reprend pas. Dernier exemple en date, de Battistelli toujours, CO2, créé à la Scala en 2015 à l’occasion de l’EXPO universelle dans une mise en scène de Robert Carsen et dirigé par Cornelius Meister, n’a pas encore commencé de carrière post-création, et le Richard III de 2004, du même Battistelli, créé à Anvers, a tout de même été repris à la Fenice en 2018, et c’est essentiel d’avoir en tête cette œuvre parce qu’elle ouvre une trilogie shakespearienne dont Julius Caesar est le deuxième titre et qui devrait se clore par Périclès.
Mais alors que la plupart des créations sont des coproductions de plusieurs grands théâtres (voir Innocence de Saariaho créé à Aix cet été ou Writing on skin de Benjamin) celle-ci semble être exclusive de l’Opéra de Rome. Espérons néanmoins une carrière, car un opéra n’est pas destiné à remplir seulement un curriculum vitae ou une salle pendant une saison seulement.

Campagne électorale

C’est d’autant plus dommage que le sujet est appuyé sur la tragédie homonyme de Shakespeare et que le livret de Ian Burton suit fidèlement à quelques éléments près, (quelques extraits poétiques d’Horace et de Catulle, quelques éléments d’époque élisabéthaine) ; il développe simplement le rôle du fantôme de César dans la deuxième partie, en en faisant pratiquement la cause du suicide des conjurés. Ce qui devrait donner à l’ensemble une force dramaturgique définitive.
Il n’en va pas exactement ainsi ; la partition de Battistelli est certes particulièrement complexe, méditative, sombre, avec un instrumentarium qui dépasse largement les possibilités de la fosse puisque des deux côtés trois ou quatre premières loges sont occupées notamment par les percussions que Battistelli affectionne tant. Il en résulte pour les exécutants et pour le chef un travail de coordination d’une grande précision. L’impression est d’une musique non pas monotone, mais sans vrais moments dramatiques, plus donnés par le chœur que par l’orchestre ou les voix. Cette musique dense, qui laisse peu de temps aux respirations, a été néanmoins raccourcie d’environ une heure pendant la préparation, car le passage à la scène est évidemment essentiel pour une œuvre scénique, – ce n’est pas un truisme, c’est une vérité que tous les compositeurs ont connue, reprenant souvent leurs œuvres après les premières représentations. Avec le chœur très impressionnant et particulièrement ardu, notamment dans la première partie, on a plus l’impression d’un opéra oratorio qu’un véritable opéra pour la scène. En écoutant avec attention d’orchestre, on entend une sorte de construction en abyme, de phrases qui se diffractent en nodules de plus en plus réduits, d’une pulvérulence musicale qui devient presque un jeu en soi quand on commence à suivre une ligne instrumentale qui devient peu à peu poussière de notes ou de traces de notes d’une rare densité, jusqu’à l’étouffement.
Et malgré tout, on n’a pas l’impression de découvrir quelque chose de neuf, mais bien plutôt d’un agencement très efficace de choses déjà entendues, pas forcément identifiables, mais on pense à tout le XXe siècle qui défile, et même un peu du XIXe, à commencer par une phrase telle quelle du Don Carlos de Verdi en deuxième partie, mais défilent Strauss, Zemlinsky, un peu Brahms, un peu Hindemith, un peu Berg, et bien sûr un peu-beaucoup de Britten (à moins que ce ne soit le livret en anglais qui nous y fasse penser) et plus près de nous, Berio. En tout rien de net, rien de précis mais une nébuleuse de choses qui semblent déjà faire partie d’un tissu musical installé, une œuvre post-moderne dirait-on ? Ou post-innovante ?
Par ailleurs, ce côté « rassurant » a emporté le succès du public, qui lors de la première a fait un triomphe, et aussi semble-t-il aux représentations suivantes ; un succès d’une création mondiale, cela se prend sans commentaires, surtout que le public nombreux n’était pas (seulement) composé des cercles étroits de la musique d’aujourd’hui. Acceptons-en l’augure, mais l’œuvre n’est pas, vraiment pas, un choc esthétique.
La valeur de la représentation c’est surtout par les forces conjuguées pour porter le nouvel opéra sur les fonts baptismaux qu’il faut la chercher. Les forces c’est d’abord en premier lieu le chœur et l’orchestre. Dans un opéra qui se rapproche d’un oratorio tant les voix sont relativisées dans la dramaturgie d’ensemble, l’engagement du chœur est essentiel, notamment nous l’avons dit en première partie où les manifestations des Lupercales sont rendues musicalement d’une manière très complexe, avec de brutaux changements agogiques et de nombreuses ruptures de construction et de rythmes.

Magnifique prestation du chœur de l'Opéra de Rome dirigé par Roberto Gabbiani

 

 

Le chœur de l’opéra de Rome plus rompu à des exercices classiques d’opéras plus connus, est complètement neuf dans ce travail délicat, d’autant qu’en plus de la musique, il y a aussi les mouvements scéniques. Le chœur dirigé par Roberto Gabbiani s’en sort vraiment avec tous les honneurs, on l’a rarement entendu aussi convaincant. On sent parfaitement le travail de préparation et la tension de l’exécution.
C’est aussi le cas de l’orchestre, dirigé de manière magistrale par Daniele Gatti, dont le maître mot est la précision. On sait combien il aime la musique du début du XXe dont nous parlions plus haut, et combien il cherche à rendre de la manière la plus lumineuse (au sens de clair, lisible) possible les exécutions. Dans cette œuvre fait d’une mosaïque de formes et de notes, de cette masse instrumentale si diverse, il arrive à démêler l’écheveau et faire ressortir des lignes, des phrases, des moments, du drame, et même quelquefois du théâtre. Il fait surtout ressortir ce qu’il appelle lui-même les échos picturaux de cette musique, ses aspects pointillistes, jusqu’au minimalisme, qui pourtant finissent par donner des formes à ce long récitatif chanté. C’est bien là le travail du chef à faire émerger de la forme, de la ligne, de la géométrie à ce qui semble si diffus au départ. En ce sens le chef d’orchestre est aussi un créateur qui contribue fortement à donner à l’œuvre son image de départ, prélude (ou non) à une éventuelle carrière. Il faut vraiment souligner ici la performance de l’orchestre et la confiance qui s’est instaurée avec son chef car même si l’orchestre de l’Opéra de Rome n’est pas l’un des meilleurs orchestres de fosse de la péninsule, il a donné ces derniers temps preuve de son professionnalisme et aussi de ses progrès dans la précision des attaques, et dans la netteté du rendu instrumental, sans doute grâce à une programmation variée, et des chefs de qualité au premier rang desquels évidemment Daniele Gatti qui a dirigé avec eux aussi bien Verdi, souvent, Bellini, Wagner, Rossini que Battistelli, mais qui n’a pu mener à bien d’autres projets (Stravinsky) à cause de la pandémie qui a bloqué partout bien des énergies. C’est donc un adieu pour ma part un peu triste, comme un travail pas tout à fait terminé que marque cette exécution éblouissante d’une œuvre qui doit encore trouver sa place, mais a trouvé ses défenseurs et surtout ses interprètes hors pair.
Pour cette création, l’Opéra de Rome a fait appel à Robert Carsen, esprit novateur des années 1990, puis industriel de la mise en scène des années 2000 et qui vit actuellement de ses rentes du passé, produisant des travaux inégaux (j’avais pour ma part bien apprécié son Beggar’s opera itinérant à Genève voire son Idomeneo dirigé par Michele Mariotti à Rome (voir ci-dessous les références dans Wanderersite). Carsen est un professionnel respectable qui a opté pour des lignes plutôt simples sinon simplistes dans la représentation du drame de Shakespeare revu par Ian Burton. Simples ou simplistes, au nom de la complexité d’une création pour le spectateur, ce grand benêt qui ne comprend pas tout et qu’il vaut mieux ménager.

Le sénat, et en haut Julius Caesar (Clive Bayley)

Alors on l’emmène en terrain (italien) connu, avec comme décor principal la salle du sénat romain, qui reprend celle du sénat actuel, le Palazzo Madama, et Jules César au look d’aujoud’hui, cheveux gris plaqués, vaguement trumpien, aux épaules rehaussées et à la démarche chaloupée, suivi par une nuée de porteurs de serviettes aussi gris que des vrais : ce qui ont vu un jour la visite d’un simple ministre en France (ou quelquefois du président de la République) avec ce brouhaha courtisan ridicule qui précède le ministricule quel qu’il soit savent ce à quoi cela se réfère.
Tous ces personnages traversent les travées du Sénat, montent et descendent les gradins comme pour occuper l’espace, mais on ne voit pas siéger de sénateurs , sinon ceux qui vont former le groupe des conjurés. Le sénat est toujours un peu vide, on est frustré d’au moins une séance… même quand César arrive. Est-ce à dire que le fonctionnement démocratique n’existe plus ? N’allons pas jusqu’à cette supposition d’une trop grande complexité.

Chez Julius Caesar (Clive Bayley) et Calpurnia (Ruxandra Donose)

Le Sénat fonctionne comme cadre, comme décor, comme arrière-plan de la trame. Et d’ailleurs les scènes plus intimes, en marge se déroulent derrière les gradins puisque le dispositif (de Radu Boruzescu) est installé sur une tournette, une image-verso d’ailleurs plus captivante que le recto. notamment au deuxième acte.

Clive Bayley (Julius Caesar) et Dominic Sedgwick (Marc-Antoine)

La trame actualisée fait de Jules César un préfigurateur de nos populistes d’aujourd’hui, de Poutine à Trump en passant par Orban ou autre engeance. C’est un peu facile, et c’est presque rassurant : « nos ancêtres les romains » ont connu ça. Et en Italie, le fascisme a construit sa mythologie par rapport à l’histoire romaine, comme l’attestent les rues nombreuses portant le nom de grands romains, Jules César en tête. Mais cela n’atteste pas une vraie parenté, cela n’atteste qu’un rêve de dictateur d’aujourd’hui ou d’un hier proche (c’est aussi vrai pour Napoléon d’ailleurs) qui mime un passé qu’il croit reconstruire. On fait toujours dire à l’histoire ce que l’on veut, et en prenant le nom « populares » le parti de César, pour en faire un synonyme de populiste, on fait évidemment un raccourci facile. Les études sur Rome montrent qu’il y a bien plus de différences que de ressemblances entre la Rome républicaine et même impériale et notre période contemporaine, des chercheurs de qualité comme Florence Dupont l’ont bien montré par ailleurs. Alors tout cela est une solution de facilité, y compris dans un pays qui a connu ou frôlé le populisme très récemment avec un Berlusconi ou un mouvement Cinque Stelle, voire la Lega de Matteo Salvini.

Le cadavre de César, un plébéïen (Christopher Gillett) et Brutus (Elliot Madore)

Que le cadavre de Jules César soit enveloppé du drapeau italien me parait inutile, voire source de confusion, comme si on enveloppait celui de Vercingétorix d’un drapeau français ! C’est peut-être conforme à un roman national, mais justement c’est d’abord un roman, et donc une fiction. C’est pourquoi je trouve ces raccourcis simplistes, mais le simplisme est la chose du monde la mieux partagée, notre pré-campagne électorale française actuelle nous le rappelle chaque jour.
Nous sommes au théâtre, il faut donc donner au spectateur des analogies à grands traits, des indications au feutre rouge : il ne me semble pas que ce soit ce que Shakespeare faisait, il me semble qu’il était un peu plus subtil quand il s’intéressait aux mécanismes du pouvoir, à sa transmission et aux idéaux affichés qui peu à peu se délitaient au contact de réalités moins dorées y compris dans ses héros les plus torturés (voir Coriolan).
D’ailleurs, la confusion est telle que bien des gens pensent que Jules César a été empereur, ce qu’il ne fut pas, et que l’empire romain est un régime spécifique, alors qu’il a gardé au moins les deux premiers siècles les organes républicains, consulat, tribunat, sénat etc… et toutes les formes des institutions de la République, veillant à ne pas apparaître comme une monarchie.
Ce qui est en jeu dans Julius Caesar, ce n’est pas la nature du pouvoir de César, qui meurt à la fin du premier acte, et règne dans les têtes tout le second, c’est la confusion mentale de ceux qui l’ont assassiné, au nom d’intérêts divergents et sans plan préétabli pour la suite, laissant le champ libre aux ambitions tapies dans l’ombre, Marc-Antoine, le véritable « héritier », soldat plus que politique, et Octave, celui qu’on n’attendait pas, plus politique que soldat, membre de la famille de César, qui va ramasser toute la mise et devenir le futur « Auguste ».  Ce que raconte le deuxième acte, c’est cette captation d’héritage d’un pouvoir que César n’avait point délégué et la faiblesse idéologique et politique de conjurés sans appuis dans la population qui font de l’assassinat politique un préalable sans envisager de suite : des rêveurs dangereux. D’ailleurs, le meurtre « ritualisé » de César le rend évidemment plus grand mort que vivant, face à une foule versatile.

Brutus (Elliot Madore) médite

Au centre de ce dispositif, non pas César, plutôt épouvantail qu’autre chose, mais Brutus, le fils adoptif, qui décide de « tuer le père », pour le regretter et être ensuite rongé par le remords. La question est plus « qui est Brutus ? », qui est ce fils auquel s’adresse César mourant « Toi aussi, mon fils ». A cette question, la mise en scène répond en pointillés.

L'assassinat

En effet, comme souvent chez Carsen, la disposition globale, l’organisation des scènes de foules sont plutôt bien réglées (l’assassinat de César vu comme œuvre collective et presque chorégraphique, ou bien les scènes de manifestations du chœur), et les éclairages comme souvent réglés par Carsen lui-même et son complice Peter Van Praet sont très réussis, mais la direction d’acteurs, le travail sur l’individu restent tout de même un peu en retrait et chacun semble laissé à lui-même. Comme c’est une œuvre où il est difficile de distinguer les personnages qui apparaissent interchangeables (sauf Calpurnia, seule femme de cet univers masculin et naturellement César), que les voix ne se distinguent pas vraiment, comme on va le voir, il est difficile de travailler sur un personnage et même Brutus apparaît singulièrement pâle, d’autant qu’Elliot Madore, un Brutus à la voix pourtant plutôt séduisante, n’est pas une personnalité scénique marquante. Ainsi apparaît peut-être une œuvre « chorale » collective, mais bien peu assise sur les caractères individuels et les destins singuliers, même dans la deuxième partie où se découvrent Marc-Antoine et Octave. C’est pourquoi on garde un sentiment d’inachevé, et surtout l’absence de vrai drame, et notamment de cette déchirure des êtres qui fait le caractère du drame shakespearien. Tout passe de manière propre, presque lisse, dans une sorte de linéarité que la musique impose, et que la mise en scène bien ordonnée et bien sage ne dérange jamais.
Même impression pour les voix.
Battistelli n’écrit visiblement pas pour les voix, il écrit pour les instruments jusqu’à la moindre poussière de notes, mais on est loin d’un dessin mélodique, musical, harmonique autour d’un caractère, d’une voix, d’un profil comme on pourrait l’attendre pour pareil drame. Écrire pour une voix, ce peut-être écrire pour un chanteur dont on connaît les forces et les limites, ce peut être aussi choisir une tessiture pour décrire un caractère, un profil, le rendre grand ou ridicule : imaginez si Boris Godunov était ténor léger !!  Ici on a quelque chose qui semble uniforme, où même les différences vocales ne semblent pas si sensibles. Il en résulte un sentiment de monotonie que les chanteurs de cassent pas par une interprétation de choc.
Julius Caesar est Clive Bayley, basse dont la performance est plutôt flatteuse, dans un personnage un peu caricatural de nos démocratures d’aujourd’hui, face à lui le Brutus mélancolique d’Elliot Madore, l’un des bons barytons du moment, au timbre velouté, plutôt intérieur, mais qui manque un peu de cette tension nécessaire au rôle, notamment en deuxième partie : on n’arrive pas trop à croire à son déchirement interne.

Elliot Madore (Brutus)

Mais la scène du discours aux funérailles de César face à celui de Marc Antoine est plutôt réussie. Julian Hubbard est Cassius, ténor qui a fait annoncer une indisposition lors de la représentation, Dominic Sedgwick est plutôt convaincant en Marc-Antoine, ainsi qu’Alexander Sprague en Octave. La plus engagée, l’apparition qui tranche un peu dans ces voix dont aucune n’a de quoi se singulariser dans la partition (on dirait pour faire vite du parlarcantando ou Sprechgesang) est la Calpurnia de Ruxandra Donose, la seule qui fasse vraiment passer un vent d’angoisse, un peu d’humanité, et oserais-je dire, un peu d’opéra. Tout le reste de la distribution est très correct, et mérite les éloges, jusqu’au seul italien du cast, Alessio Verna qui chante l’esclave de César, Titinius et le quatrième plébéien.

Comme on l’a dit, on ne peut que saluer le succès de l’entreprise, que saluer le travail d’orfèvre de Daniele Gatti à mettre en place sous sa baguette l’ensemble du dispositif, c’est lui qui tient le tout, avec solidité et engagement et c’est lui qu’on retiendra. Pour le reste, on est content que Rome ait ouvert hardiment sa saison par une création, à qui l’on souhaite une carrière, mais rien à voir avec le choc reçu à Aix cet été avec Innocence qui est une œuvre d’aujourd’hui qui nous touche et pas un concentré d’hier.

D'un César l'autre, Octave (Alexander Sprague) sort vainqueur à la fin

 

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.
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