George-Friedrich Haendel (1685 – 1759)
Rinaldo (1711)
Opera seria en trois actes,
Livret de Giacomo Rossi d'après Geusalemme liberata de Torquato Tasso
Créé le 24 février 1711 au Queen's Theatre de Londres

 

Direction musicale : Damien Guillon
Mise en scène, scénographie Claire Dancoisne
Assistante : Marie Liagre
Lumières : Hervé Gary
Costumes : Elisabeth de Sauverzac

 

Rinaldo : Paul-Antoine Bénos-Djian
Goffredo : Blandine Sanson de Sansal
Almirena : Emmanuelle de Negri
Armida : Aurore Bucher
Argante : Thomas Dolié
Comédiens : Gaëlle Fraysse, Nicolas Cornille

Le Banquet Céleste

Re-création 2021 Le Banquet Céleste et l’Opéra de Rennes d’une production 2018 de la Co[opéra]tive :

Les 2 Scènes, Scène nationale de Besançon ; Le Théâtre Impérial de Compiègne ; Le Bateau Feu, Scène nationale de Dunkerque ; Le Théâtre de Cornouailles, Scène nationale de Quimper
Coproduction L’Entracte, Scène conventionnée de Sablé-sur-Sarthe ; Angers-Nantes Opéra
En partenariat avec Le Théâtre de La Licorne

Tourcoing, Théâtre municipal Raymond Devos,13 novembre 2021 à 17h

L’Atelier lyrique de Tourcoing propose une (re)création de la fantasmagorique production du Rinaldo de Haendel, dans la mise en scène de Claire Dancoisne, fondatrice du Théâtre la Licorne. Rendant hommage aux machineries baroques qui firent le succès des opéras de que Haendel composa en Angleterre, cette scénographie n'hésite pas à communiquer au public des éléments dramaturgiques directement inspirés de réjouissants spectacles populaires. Une distribution de haut vol complète et confirme nos enthousiasmes, avec le duo Paul-Antoine Bénos-Djian et Emmanuelle de Negri et la direction fougueuse de Damien Guillon à la tête de "son" Banquet lyrique. 

Thomas Dolié (Argante), Aurore Bucher (Armida)

Claire Dancoisne se passionne pour le théâtre d’objet où prolifèrent bestiaires fantastiques, marionnettes, objets animés et mécanisés – concept particulièrement adapté à l'univers de l'opéra baroque et des pièces à machines comme ce Rinaldo de Georg Friedrich Haendel, issu d'une production 2018 de la co[opéra]tive et du Banquet céleste, repris avec succès cet automne sur la scène du Théâtre municipal de Tourcoing au terme d'une tournée qui l'a mené de Rennes à Besançon en passant par Lieusaint.

Rinaldo est l'œuvre avec laquelle le Saxon força l'admiration du public anglais, avide de découvrir les vertus de l'opéra seria dans un Queen's Theatre de Haymarket qui devint rapidement le lieu de prédilection où furent créées l'essentiel des œuvres que Haendel composa en Angleterre. Rinaldo est un opéra composite, adapté à partir d'extraits d'œuvres existantes dans le but précis de constituer pour Haendel une sorte de carte de visite à destination de ce nouveau public. Le plus connu de ces airs est sans aucun doute le "Lascia ch'io pianga", reprise du "Lascia la spina" tiré de l'oratorio Il Trionfo del Tiempo e del Disinganno écrit en 1707. Resserrée en trois actes, la partition fut l'objet d'un triomphe monumental qui acheva d'asseoir la réputation de Haendel outre-Manche.

Les effets visuels y sont nombreux, développés à partir de la trame de magie et combats de chevalerie de la Jérusalem délivrée du Tasse, narrant les amours de la magicienne Armide et Renaud (Rinaldo) dans les jardins enchantés des îles Fortunées, loin du bruit et la fureur des croisades. À la création, le directeur du théâtre n'hésita pas à ajouter aux effets un lâcher d'oiseaux pour accompagner le duo d'amour d'Almirena et Rinaldo. L'ouvrage fut repris sans discontinuer jusqu’en 1717, avant de connaitre une seconde version, avec une scène finale qui voit la mort d'Armide et Argante dans les flammes, loin de la réconciliation de la version originale, donnée ici. On évolue ici dans une forme opératique où l'assez peu vraisemblable côtoie le burlesque des situations, avec des enchaînements ressassés de récitatifs-airs-duos. L'écriture pyrotechnique restant sagement en-deçà d'un certain brio expansif, l'enchaînement des tableaux contraint la scénographie à des efforts d'imagination pour permettre à l'action de progresser.

Les personnages du Tasse font littéralement corps avec les machines-animaux sur lesquels ils sont juchés. Cet aspect spectaculaire permet de ne pas se concentrer sur les tunnels qui affectent parfois le jeu d'acteur, réduit à la portion congrue. En d'autres endroits, ce sont des astuces très simples qui comblent le regard, comme ces figurants (pétulants Gaëlle Fraysse et Nicolas Cornielle) passant à contrejour pour mimer l'abattement des croisés sur la route de Jérusalem ou bien ces marionnettes métalliques imitant le rassemblement des troupes de soldats combattant aux côtés de Goffredo dans la scène finale. C'est précisément cette simplicité et cette pertinence qui fait le succès du spectacle de Claire Dancoisne. Tantôt suggérés, tantôt manifestes, les décors de l'épopée baroque se donnent à voir par l'imagination qui en prolonge la portée.

Mention spéciale au fier dragon-griffon de la magicienne Armide – manipulé à vue et rappelant furieusement le Fafner imaginé par Richard Peduzzi pour le Ring de Patrice Chéreau en 1976. Fumée, écailles et cambrure, rien ne manque à ce monstre terrible et délicat.. tout comme le poisson-Lune sur lequel Argante fait son apparition devant Goffredo ou bien encore le cheval de bataille de Rinaldo. Au dernier acte, surgit la prison d'Armide, assemblage de tubes métalliques soudés entre eux avec une forme générale d'arbre gigantesque que les assaillants attaquent et désossent à grand fracas. Pourrait-on imaginer une scène des sirènes moins frustrante d'effets, avec ces maigres marionnettes déjà vues ailleurs ? Un bémol également pour ces costumes et masques façon "Mad Max" et années 1980 qui plongent dans un univers de bande dessinée vaguement désuète que rattrapent de fort belle manière les lumières savantes et variées d’Hervé Gary. Le recours second degré rappelle que l'opera seria est volontiers non serioso, objet d'admiration populaire où l'humour a sa place et où le public est invité à rire de bon cœur. En témoignent ces allusions au karaoké et boule à facettes dans le duo d'amour Almirena – Rinaldo, ou bien les aides d'Armida, grimés en monstres d'heroic fantasy qui proposent à la leur maîtresse d'anéantir Rinaldo de le découper à la tronçonneuse et de brûler le cadavre…

Le plateau de ce Rinaldo est d'un équilibre et d'un niveau remarquables, à commencer par le rôle-titre interprété par Paul-Antoine Bénos-Djian, capable d'une douceur et d'une brillance aux nuances de soie dans "Cara, sposa" et se lançant à corps perdu dans les volutes virtuoses et serrées du "Venti, turbini, prestate". Emmanuelle de Negri lui oppose un instrument aérien et volubile, idéal de tenue et de couleur dans les duos, et volontaire au point de souligner les moindres pleins et déliés du célébrissime "Lascia ch'io pianga". Aurore Bucher exprime en Armida l'instabilité du caractère et des humeurs de son personnage, passant de la haine à l'amour désespéré ("Ah, crudel") et dotée d'une remarquable palette de gestes et de timbre. Le Goffredo de Blandine Sanson de Sansal et le l'Argante de Thomas Dolié complètent cette distribution avec tout le talent et la technique vocale qui caractérise ces jeunes chanteurs.

Succédant à Bertrand Cuiller qui avait créé ce spectacle au théâtre des Cornouailles il y a trois ans, Damien Guillon dirige "son" Banquet Céleste, capable en un tournemain de changer l'émoi doucereux des duos d'amour en furie vengeresse et agressive. Les solistes ne sont jamais pris en défaut, y compris dans les airs les plus exposés comme "Or la tromba" qui mettent à nu les qualités de justesse et d'éclat des cuivres. Cette interprétation mérite l'accueil triomphal du public du Théâtre de Tourcoing, heureux d'un tel cadeau musical que l'on doit à la pertinence et aux ambitions des programmateurs de l'Atelier lyrique.

Thomas Dolié (Argante)
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David Verdier
David Verdier Diplômé en musicologie et lettres modernes à l'université de Provence, il vit et enseigne à Paris. Collabore à plusieurs revues dont les Cahiers Critiques de Poésie et la revue Europe où il étudie le lien entre littérature et musique contemporaine. Rédacteur auprès de Scènes magazine Genève et Dissonance (Bâle), il fait partie des co-fondateurs du site wanderersite.com, consacré à l'actualité musicale et lyrique, ainsi qu'au théâtre et les arts de la scène.

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