Georg Friedrich Haendel (1685–1759)
Theodora, HWV 68 (1750)
Oratorio en trois actes sur un livret de Thomas Morell.
Créé à Londres, Covent Garden le 16 mars 1750

Lisette Oropesa (Theodora)
Joyce DiDonato (Irene)
Michael Spyres (Septimius)
Paul-Antoine Bénos-Djian (Didymus)
John Chest (Valens)
Massimo Lombardi (le Messager)

Orchestre et chœur Il Pomo d’Oro
Direction musicale : Maxim Emelyanychev

Paris, Théâtre des Champs-Elysées, le 22 novembre 2021 à 19h30

C’est une distribution de haut vol que proposait le Théâtre des Champs-Elysées pour une Theodora de Haendel en version de concert : aux côtés de Joyce DiDonato, qui a dominé la soirée, étaient en effet réunis Michael Spyres, Lisette Oropesa, ainsi que Paul-Antoine Bénos-Djian et John Chest. A la tête d’Il Pomo d’Oro, Maxim Emelyanychev a prouvé une fois encore qu’il est le jeune chef du moment dans le répertoire baroque, et le public nombreux a amplement manifesté son enthousiasme.

 

C’est un casting cinq étoiles qu’a réuni cette Theodora de Haendel au Théâtre des Champs-Elysées, après un passage par Vienne et Milan et avant Luxembourg, Essen et Londres ; et pour l’occasion, le public s’est déplacé en nombre et n’a pas caché son enthousiasme – l’engouement des grands soirs, comme le TCE sait les susciter. Aux côtés du jeune chef Maxim Emelyanychev, désormais figure de proue de la nouvelle génération baroque, on retrouvait en effet des noms aussi prestigieux que ceux de Lisette Oropesa, Joyce DiDonato et Michael Spyres : trois têtes d’affiche, et un casting d’autant plus luxueux que la mezzo-soprano et le ténor jouaient les personnages secondaires dans des rôles qui ne leur offraient pas, a priori, la visibilité et l’éclat auxquels ils sont habitués.

Joyce Di Donato

Malgré tout, Joyce DiDonato domine, et de loin, la soirée avec une Irene superlative dont on ne sait ce qu’il faut louer en premier – le timbre merveilleusement riche et velouté, l’intelligence dramatique ou l’émotion qu’elle est capable de susciter chez l’auditeur. Son « As with rosy steps » au premier acte est un sommet de délicatesse, de gestion du pianissimo, de jeu avec les graves de la voix ; mais son « Lord, to thee, each night and day » laisse le public suspendu à ses lèvres dans une longue cadence qui semble infinie, et que pas un bruit n’est venu troubler : un petit miracle dans une salle pleine et forcément agitée qui vient prouver, autant que les applaudissements nourris qui ont suivi, que l’émotion est bien passée du personnage aux spectateurs. Joyce DiDonato, dont on connaissait déjà la relation privilégiée avec le répertoire de Haendel, démontre une fois encore l’artiste exemplaire qu’elle est en alliant une technique irréprochable à une musicalité et une sensibilité rares.

Michael Spyres

On l’a dit, Michael Spyres ne joue pas ici les premiers rôles mais incarne le personnage de Septimius, officier romain prônant la tolérance envers les chrétiens que le gouverneur Valens persécute. Pas un premier rôle certes, mais un personnage qui sert au propos moral de l’oratorio et que Haendel a tout de même gratifié de belles pages lyriques, et qui en appellent à la virtuosité de leur interprète. Le désormais « baryténor » Michael Spyres possède une projection et une longueur de souffle remarquables et on le sent parfaitement à son aise dans les vocalises de la partition. On ne peut dès lors que regretter que le personnage n’ait pas un impact dramatique plus grand, et le chanteur pas d’occasions supplémentaires de briller. Mais avoir un Septimius de ce niveau est un luxe qu’on n’aurait pu espérer.

Lisette Oropesa

Le reste de la distribution ne déçoit pas, bien qu’il soit difficile de se hisser au niveau des interprètes précédemment évoqués. Lisette Oropesa n’émeut pas autant que sa consœur car sa Theodora est tout entière dans la retenue, et il y a d’emblée quelque chose de désincarné chez son personnage ; mais le timbre est très beau, et surtout la soprano maîtrise les ornements avec une grande élégance et un legato parfait. Le duo final avec Didymus est particulièrement réussi tant les deux interprètes se mettent à l’écoute l’un de l’autre, et c’est dans ce dernier acte que Lisette Oropesa semble la plus en phase avec Theodora – avec sa douceur, mais aussi avec ses convictions. Voilà en tout cas tout un pan du répertoire qui s’ouvre devant la soprano, plus habituée aux grandes figures romantiques qu’aux héroïnes baroques.

Paul-Antoine Bénos-Djian offre un Didymus de grande qualité, qu’on apprécie en premier lieu pour l’intention qu’il met dans sa diction, et le travail sur le texte qu’il réalise aussi bien dans les récitatifs que dans les airs. Lui qui incarnait il y a peu Farnace (Mitridate) pour Marc Minkowski au disque fait entendre une voix souple et une grande précision dans les vocalises qui lui permettent d’assumer le côté vaillant du personnage. Il ne manque pas non plus de lyrisme et de rondeur dans les pages plus retenues, et prouve qu’il possède l’étoffe nécessaire pour aborder les premiers rôles. John Chest enfin est un Valens d’une belle autorité, qui se permet de plus de déployer ses aigus dans les cadences de la deuxième partie du concert et se tire fort bien du furioso « Cease, ye slaves ».

Maxim Emelyanychev

Le chœur d’Il Pomo d’Oro a la particularité dans cet oratorio d’incarner à la fois les romains chrétiens et les romains païens. Si on trouve les premières interventions du chœur un peu légères, les chanteurs gagnent progressivement en densité, notamment dans les chœurs religieux où ils finissent par déployer un son concentré et homogène. L’orchestre quant à lui se révèle un partenaire remarquable pour les solistes. L’orchestration de Haendel est pourtant un peu sèche par moments, mais les cordes sont un soutien formidable pour les chanteurs grâce à des phrasés très dessinés, et grâce au tapis sonore qu’ils déploient sous les voix ; et Maxim Emelyanychev, derrière son apparente ébullition, sait faire respirer la musique et laisser aux interprètes le temps de déployer leur chant, ou au contraire de laisser résonner un silence : une énergie démonstrative mais qui ne se répand pas en vain, car il tient remarquablement ensemble toutes les forces en présence sur le plateau.

Une grande soirée au Théâtre des Champs-Elysées, devant un public unanime et d’un enthousiasme sans retenue ; une soirée comme on n’en avait plus vue depuis longtemps alors que les salles peinent à se remplir, mais qui laisse espérer plus que jamais que la reprise est en marche.

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Claire-Marie Caussin
Après des études de lettres et histoire de l’art, Claire-Marie Caussin intègre l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales où elle étudie la musicologie et se spécialise dans les rapports entre forme musicale et philosophie des passions dans l’opéra au XVIIIème siècle. Elle rédige un mémoire intitulé Les Noces de Figaro et Don Giovanni : approches dramaturgiques de la violence où elle propose une lecture mêlant musicologie, philosophie, sociologie et dramaturgie de ces œuvres majeures du répertoire. Tout en poursuivant un cursus de chant lyrique dans un conservatoire parisien, Claire-Marie Caussin fait ses premières armes en tant que critique musical sur le site Forum Opéra dont elle sera rédactrice en chef adjointe de novembre 2019 à avril 2020, avant de rejoindre le site Wanderer.
Crédits photo : © Simon Pauly (Joyce di Donato)
© Jason Homa (Lisette Oropesa)
© Marco Borelli (Michael Spyres)
© Elena Belova (Maxim Emelyanychev)

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