Piotr Illitch Tchaïkovski (1840–1893)
Eugène Onéguine (1879)
Opéra en trois actes
Livret de Constantin Chilovsky d’après Alexandre Pouchkine
Création au Théâtre Maly de Moscou le 29 mars 1879

Direction musicale : Karina Canellakis
Stéphane Braunschweig (Mise en scène)
Marion Lévy (Chorégraphie)
Thibault Vancraenenbroeck (Costumes)
Marion Hewlett (Lumières)

Mireille Delunsch (Madame Larina)
Gelena Gaskarova (Tatiana)
Alisa Kolosova (Olga)
Jean-François Borras (Vladimir Lensky)
Jean-Sébastien Bou (Eugène Onéguine)
Jean Teitgen (Prince Grémine)
Delphine Haidan (Filippievna)
Yuri Kissin (Le capitaine)
Marcel Beekman (Monsieur Triquet)

Chœur de l’Opéra National de Bordeaux
Direction : Salvatore Caputo

Orchestre National de France

Mercredi 19 novembre 2021 au Théâtre des Champs-Elysées, 20h

Six ans après une navrante Norma (confiée à Maria Agresta), Stéphane Braunschweig revient sur la scène du Théâtre des Champs-Elysées avec un Eugène Onéguine sobre et épuré qui rappelle les affinités du metteur en scène avec le théâtre russe dans lequel il s'est illustré à de nombreuses reprises. Prévu à l'origine pour être confié à des interprètes français, le trio Onéguine/Lenski/Tatiana a finalement subi des modifications en raison de l'absence de Vannina Santoni, mère pour la seconde fois. Remplacée par une soprano russe bien trop classique, la distribution a perdu une grande partie de son sel et de ce qui constituait au départ, son intérêt.

Acte I : Gelena Gaskarova (Tatiana), Jean-Sébastien Bou (Onéguine)

Voilà bientôt trente ans que Stéphane Braunschweig monte des spectacles au théâtre et à l'opéra avec autant de rigueur que de régularité. Aujourd'hui à la tête d'un important répertoire où se croisent d'un côté Shakespeare, Ibsen, Tchekhov, Büchner, Molière ou Racine et de l'autre Strauss, Mozart, Janacek et Verdi, sans oublier les auteurs de notre temps (Fénelon, Dazzi, Fagerlund), le metteur en scène et directeur de l'Odéon, pour créatif qu'il demeure peine toutefois à se renouveler. Son dernier opus présenté sur la scène du Théâtre des Champs-Elysées où il s'est déjà attaqué avec des bonheurs divers à Don Giovanni et à Norma, le très théâtral Eugène Onéguine, semble aussi corseté et similaire que la pièce de Pirandello qu'il vient de diriger à l'Odéon en septembre dernier, Comme tu me veux. Adepte des espaces aux lignes épurées (dont il est également l'auteur), de costumes aux coupes élégantes et aux camaïeux crème (Thibault Vancraenenbroeck) et aux éclairages discrets (Marion Hewlett), cet homme de troupe fidèle à ses collaborateurs de la première heure, a depuis longtemps trouvé un style, le sien, et ne semble plus vouloir s’en éloigner ou prendre le moindre risque.

Le duel : Jean-Sébastien Bou (Onéguine), Jean-François Borras (Lenski)

Sa lecture du drame pouchkino-tchaïkovskien ne déroge ainsi pas à la règle. Un sol en gazon symbolise la campagne, quelques chaises blanches assorties aux vêtements de lin des paysans dessinent quelques jolies arabesques avant que le plateau ne se transforme en un salon sinistre encadré par trois murs venus des cintres et que n'apparaissent à trois moments-clé des dessous, la chambre d'enfant de Tatiana. L'intrigue pourtant forte et concise se déroule sans que les coups de théâtre viennent secouer le spectateur, qui assiste sans réel surprise à ses rebondissements. La cellule familiale dans laquelle évolue Tatiana est asphyxiante et la société qu'elle va découvrir l'est finalement tout autant. Mais dans ce cas pourquoi Braunschweig qui instille à la représentation un rythme d'une langueur extrême, où tout semble immuable, a‑t‑il choisi de transposer le grand bal du IIIème acte en un ridicule tripot

Début de l'acte III

(aurait-il confondu avec l'hôtel de Transylvanie de Manon?), où les croupiers composent tout à coup des couples (voire des trios) de partenaires qui, yeux bondés sont conduits à se satisfaire sexuellement dans les pièces voisines ? Cette parenthèse à la Kubrick (Eyes wide shut avec le couple Cruise/Kidmann) n'apporte rien au drame dès lors qu'apparaissent comme si de rien était le couple Grémine/Tatiana entouré d'invités qui reprennent les codes et les convenances d'une grand soirée de gala à Saint-Pétersbourg.

Jean Teitgen (Grémine) Jean-Sébastien Bou (Onéguine)

Le rythme, c'est sans doute ce qui manque à cette représentation dirigée pourtant avec sensibilité par Karina Canellakis à la tête de l'ONF. La cheffe sait mener ses troupes avec conviction, défendre un point de vue personnel sur la partition dont elle se plait à souligner les beautés et à détailler l'architecture plus complexe qu'elle n'en a l'air. Mais à force de ralentir le tempo celle-ci perd de vue la dynamique et donne l'impression d'étirer certaines pages, notamment la longue scène de la lettre, véritable pensum, qui appellent plus de souffle et de passion.

Jean-François Borras (Lenski) Alisa Kolosova  (Olga)

Premier Lenski réussi pour Jean-François Borras qui chante et joue avec beaucoup de justesse un rôle écrit tout en nuances, qui vient compléter un corpus intelligemment constitué. Hautain et dédaigneux et pourtant traversé de doutes, Jean-Sébastien Bou est un formidable Onéguine au russe éloquent, au timbre vif-argent et au tempérament tout autant enflammé que contradictoire. Jean Teitgen apporte à Grémine le grain sombre de sa voix ainsi que sa profonde humanité, aux côtés de la parfaite Nourrisse de Delphine Haidan et de l'émouvante Mireille Delunsch, merveilleuse actrice et chanteuse toujours aussi convaincante, même dans le rôle épisodique de Mme Larina, la tendre mère d’Olga et de Tatiana. Le reste de la distribution n'atteint hélas pas le même niveau, du M. Triquet palot de Marcel Beekman au Capitaine de Yuri Kissin, sans parler de l'Olga vulgaire, au volume outrancier de la mezzo Alisa Kolosova qui s'imagine déjà en Azucena dans une quelconque arène. La toute jeune Gelena Gaskarova, en troupe depuis 2008 au Mariinsky est l'exemple même de la technique russe qui privilégie les voix lourdes et centrales, privées de souplesse et qui se raidissent dans l'aigu. Jolie femme et comédienne obéissante, la soprano compense heureusement physiquement une incarnation vocale sur laquelle ne passe aucune émotion.

 

Acte I : Gelena Gaskarova (Tatiana)

 

Avatar photo
François Lesueur
Après avoir suivi des études de Cinéma et d'Audiovisuel, François Lesueur se dirige vers le milieu musical où il occupe plusieurs postes, dont celui de régisseur-plateau sur différentes productions d'opéra. Il choisit cependant la fonction publique et intègre la Direction des affaires culturelles, où il est successivement en charge des salles de concerts, des théâtres municipaux, des partenariats mis en place dans les musées de la Ville de Paris avant d’intégrer Paris Musées, où il est responsable des privatisations d’espaces.  Sa passion pour le journalisme et l'art lyrique le conduisent en parallèle à écrire très tôt pour de nombreuses revues musicales françaises et étrangères, qui l’amènent à collaborer notamment au mensuel culturel suisse Scènes magazine de 1993 à 2016 et à intégrer la rédaction d’Opéra Magazine en 2015. Il est également critique musical pour le site concertclassic.com depuis 2006. Il s’est associé au wanderesite.com dès son lancement

Autres articles

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire !
S'il vous plaît entrez votre nom ici