Voix des Lumières

Joseph Martin Kraus (1756–1792)

Olympie, VB 33
Ouverture

Zum Geburtstage des Königs, VB 41
Ouverture
« Töne leise, goldne Saite »

Cantate funéraire pour Gustave III, VB 42
Introduction
« På thronens höjd »

Der Tod Jesu, VB 17
Ouverture
« Er starb, um uns von ewigem Tod zu retten »

Proserpin, VB 19
Ouverture
« Ach hvad behag et hjerta njuter »

Pantomime en ré majeur, VB 37

Ariette en sol majeur, VB 58
« Du temps qui détruit tout »

Marie Perbost, soprano

Génération Mozart
Direction musicale : Pejman Memarzadeh

1 CD Evidence – 63’

Enregistré du 19 au 21 mai 2021 au Théâtre de Poissy

Exact contemporain de Mozart, Joseph Martin Kraus est l’un de ces compositeurs que la postérité a délaissés malgré le succès qu’il a pu connaître de son vivant. Compositeur phare de la cour de Suède, protégé du roi Gustave III, Kraus se pose en digne héritier de Gluck dont il partage le sens dramatique, ainsi que le prouve cet album paru chez le label Evidence. Avec « Voix des Lumières », l’ensemble Génération Mozart et la soprano Marie Perbost présentent un panorama intéressant du répertoire vocal du compositeur en allemand, suédois et français. Une porte d’entrée intéressante dans son œuvre, dont on connaissait jusqu’alors davantage le versant symphonique et instrumental.

 

L’histoire de la musique a placé Mozart si haut dans la « hiérarchie » des compositeurs que tous ses contemporains, exception faite de Haydn, sembleraient presque voués à n’être que de pâles figures de musiciens, à n’avoir fait que côtoyer le génie sans jamais en être pourvus eux-mêmes. De là des centaines d’œuvres laissées dormantes dans des bibliothèques et, si elles ont la chance d’en sortir, soumises à une comparaison systématique et rarement (jamais ?) en leur faveur avec la musique de Mozart.

L’exemple de Salieri semblait déjà illustrer à merveille ce phénomène – lui, l’un des compositeurs les plus célèbres et admiré de son époque, complètement délaissé par la postérité et victime, lors de sa redécouverte récente, d’un jugement souvent sévère. Mais le cas Joseph Martin Kraus est encore plus intéressant grâce aux similitudes qui existent entre Mozart et lui : nés la même année, morts à quelques mois d’intervalle, proches de Martini et de Haydn, francs-maçons… Kraus n’est-il pas d’ailleurs surnommé « le Mozart suédois » ? Ces hasards biographiques ont sans doute rendu la comparaison trop tentante ; mais quel poids sur les épaules d’un compositeur que cette ombre mozartienne ! Et quand on pense que c’est le nom « Génération Mozart » qu’ont choisi les musiciens de Pejman Memarzadeh pour leur ensemble spécialisé dans la redécouverte des compositeurs oubliés ou négligés de la fin du XVIIIème siècle… ce serait presque ironique si cela ne traduisait pas une réalité : qu’on le veuille ou non, et malgré tous les efforts discographiques de ces dernières années, il existe bien une génération d’artistes laissés au rang de satellites dans la galaxie Mozart, qui peuvent prétendre, à la rigueur, exister à ses côtés, mais certainement pas rivaliser avec lui sans s’y brûler les ailes.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la discographie consacrée à Joseph Martin Kraus est relativement conséquente, notamment en ce qui concerne ses symphonies, toutes enregistrées – on pense notamment à l’intégrale dirigée par Petter Sundkvist avec l’Orchestre de chambre de Suède. Le label Evidence ajoute une pierre à l’édifice avec cet album « Voix des Lumières », centré sur la musique vocale de Kraus, mais qui ne propose que des extraits de ses œuvres : loin d’être un point négatif, ce choix permet de couvrir un spectre assez large de répertoire et d’atmosphères – et de langues aussi, puisque s’y mêlent l’allemand, le suédois et le français.

Ce disque met également en valeur la figure de Gustave III de Suède puisqu’il propose des extraits de deux pièces qui lui rendent hommage : la cantate Zum Geburtstage des Königs, et une cantate funéraire composée suite à l’assassinat du souverain. Si les mélomanes connaissent surtout ce roi à travers le prisme d’Auber et de Verdi – puisqu’il inspira l’opéra Gustave III au premier, et Un Ballo in maschera au second –, Gustave III fut aussi particulièrement sensible aux arts : écrivain à ses heures (il signe le livret de Proserpin, versifié par Kellgren), fondateur de la première troupe d’opéra suédoise et du premier Opéra royal de Stockholm, il nommera successivement Kraus aux postes d’adjoint du maître de chapelle, de directeur de l’Académie Royale de Musique et de premier maître de chapelle. En plus de ces fonctions prestigieuses pour un compositeur, et qui lui assurent une forme de sécurité, l’œuvre de Kraus est également marquée par les voyages qu’il entreprend – à la demande de Gustave III – dans divers grandes villes européennes (Berlin, Munich, Vienne, Venise, Rome, Naples, Bologne, Londres, Paris…) afin d’y étudier le fonctionnement de la vie musicale, et au cours desquels il rencontre Gluck, Haydn ou encore Martini qui ont exercé une influence évidente sur son écriture. Il suffit pour s’en persuader d’écouter l’ouverture d’Olympie, où l’on retrouve l’expressivité, l’impact théâtral et le sens de la mélodie gluckistes. On perçoit aussi une intelligence dans l’orchestration où Kraus se plaît à jouer avec les timbres des différents pupitres à des fins expressives.

Ce que cet album souligne également est le mélange d’extrême raffinement et d’énergie dramatique que le compositeur parvient à convoquer au sein d’une même pièce. Aucun morceau de cet album n’est d’un seul tenant : la musique de Kraus est tout entière de contrastes, mais des contrastes subtilement amenés, loin de l’alternance un peu systématique propre à l’ère baroque. On est assez frappée par cette ouverture d’Olympie – bien que la direction de Pejman Memarzadeh y manque de délicatesse –, comme par celle de la cantate Der Tod Jesu et par la Pantomime en ré majeur, où un discours musical à première vue assez lisse et traditionnel se charge en réalité d’aspérités, de couleurs, de théâtre. Tout cela, les musiciens de Génération Mozart le soulignent parfaitement ; l’ensemble aurait en revanche pu accorder davantage de soin aux interventions des cuivres, souvent trop lourds, et au solo de cor naturel dans Der Tod Jesu. Les solos de hautbois (dans l’ouverture de Proserpin et la Pantomime) et de harpe (dans « Töne leise, goldne Saite ») sont en revanche parfaitement exécutés et phrasés, et si la direction aurait pu travailler l’équilibre entre les différents pupitres avec encore davantage de finesse, l’ensemble est efficace et bien mené.

A leurs côtés, la soprano Marie Perbost fait entendre une voix claire, lumineuse, et d’une grande précision dans les vocalises et ornements dont Kraus émaille ses partitions (on pense notamment au virtuose « Ach hvad behag et hjerta njuter »). La diction aurait mérité plus de consonnes (notamment en allemand) et le texte aurait pu être chanté avec davantage de relief, mais l’interprétation est élégante. Certains livrets à la gloire de Gustave III pourront prêter à sourire par leur ton dithyrambique (« Il vient en héros pour sauver son peuple qu’il rend heureux, grand et libre », « Ta récompense, ton destin fut de tomber/ Victime de la folie d’une main pardonnée », « Bienfaiteur de l’humanité, / Déjà Gustave a mérité/ Le souvenir de tous les âges »), mais Kraus les habille d’une musique et d’un lyrisme assez admirables pour en effacer les excès.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur Kraus, et plus encore à entendre. Mais la discographie qui lui est consacrée s’enrichissant, il y a bon espoir de posséder un jour une somme assez conséquente de son œuvre pour lui rendre sa place au panthéon des compositeurs – et qui sait, sa place dans les salles de concert.

L’histoire de la musique a placé Mozart si haut dans la « hiérarchie » des compositeurs que tous ses contemporains, exception faite de Haydn, sembleraient presque voués à n’être que de pâles figures de musiciens, à n’avoir fait que côtoyer le génie sans jamais en être pourvus eux-mêmes. De là des centaines d’œuvres laissées dormantes dans des bibliothèques et, si elles ont la chance d’en sortir, soumises à une comparaison systématique et rarement (jamais ?) en leur faveur avec la musique de Mozart.

L’exemple de Salieri semblait déjà illustrer à merveille ce phénomène – lui, l’un des compositeurs les plus célèbres et admiré de son époque, complètement délaissé par la postérité et victime, lors de sa redécouverte récente, d’un jugement souvent sévère. Mais le cas Joseph Martin Kraus est encore plus intéressant grâce aux similitudes qui existent entre Mozart et lui : nés la même année, morts à quelques mois d’intervalle, proches de Martini et de Haydn, francs-maçons… Kraus n’est-il pas d’ailleurs surnommé « le Mozart suédois » ? Ces hasards biographiques ont sans doute rendu la comparaison trop tentante ; mais quel poids sur les épaules d’un compositeur que cette ombre mozartienne ! Et quand on pense que c’est le nom « Génération Mozart » qu’ont choisi les musiciens de Pejman Memarzadeh pour leur ensemble spécialisé dans la redécouverte des compositeurs oubliés ou négligés de la fin du XVIIIème siècle… ce serait presque ironique si cela ne traduisait pas une réalité : qu’on le veuille ou non, et malgré tous les efforts discographiques de ces dernières années, il existe bien une génération d’artistes laissés au rang de satellites dans la galaxie Mozart, qui peuvent prétendre, à la rigueur, exister à ses côtés, mais certainement pas rivaliser avec lui sans s’y brûler les ailes.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la discographie consacrée à Joseph Martin Kraus est relativement conséquente, notamment en ce qui concerne ses symphonies, toutes enregistrées – on pense notamment à l’intégrale dirigée par Petter Sundkvist avec l’Orchestre de chambre de Suède. Le label Evidence ajoute une pierre à l’édifice avec cet album « Voix des Lumières », centré sur la musique vocale de Kraus, mais qui ne propose que des extraits de ses œuvres : loin d’être un point négatif, ce choix permet de couvrir un spectre assez large de répertoire et d’atmosphères – et de langues aussi, puisque s’y mêlent l’allemand, le suédois et le français.

Ce disque met également en valeur la figure de Gustave III de Suède puisqu’il propose des extraits de deux pièces qui lui rendent hommage : la cantate Zum Geburtstage des Königs, et une cantate funéraire composée suite à l’assassinat du souverain. Si les mélomanes connaissent surtout ce roi à travers le prisme d’Auber et de Verdi – puisqu’il inspira l’opéra Gustave III au premier, et Un Ballo in maschera au second –, Gustave III fut aussi particulièrement sensible aux arts : écrivain à ses heures (il signe le livret de Proserpin, versifié par Kellgren), fondateur de la première troupe d’opéra suédoise et du premier Opéra royal de Stockholm, il nommera successivement Kraus aux postes d’adjoint du maître de chapelle, de directeur de l’Académie Royale de Musique et de premier maître de chapelle. En plus de ces fonctions prestigieuses pour un compositeur, et qui lui assurent une forme de sécurité, l’œuvre de Kraus est également marquée par les voyages qu’il entreprend – à la demande de Gustave III – dans divers grandes villes européennes (Berlin, Munich, Vienne, Venise, Rome, Naples, Bologne, Londres, Paris…) afin d’y étudier le fonctionnement de la vie musicale, et au cours desquels il rencontre Gluck, Haydn ou encore Martini qui ont exercé une influence évidente sur son écriture. Il suffit pour s’en persuader d’écouter l’ouverture d’Olympie, où l’on retrouve l’expressivité, l’impact théâtral et le sens de la mélodie gluckistes. On perçoit aussi une intelligence dans l’orchestration où Kraus se plaît à jouer avec les timbres des différents pupitres à des fins expressives.

Ce que cet album souligne également est le mélange d’extrême raffinement et d’énergie dramatique que le compositeur parvient à convoquer au sein d’une même pièce. Aucun morceau de cet album n’est d’un seul tenant : la musique de Kraus est tout entière de contrastes, mais des contrastes subtilement amenés, loin de l’alternance un peu systématique propre à l’ère baroque. On est assez frappée par cette ouverture d’Olympie – bien que la direction de Pejman Memarzadeh y manque de délicatesse –, comme par celle de la cantate Der Tod Jesu et par la Pantomime en ré majeur, où un discours musical à première vue assez lisse et traditionnel se charge en réalité d’aspérités, de couleurs, de théâtre. Tout cela, les musiciens de Génération Mozart le soulignent parfaitement ; l’ensemble aurait en revanche pu accorder davantage de soin aux interventions des cuivres, souvent trop lourds, et au solo de cor naturel dans Der Tod Jesu. Les solos de hautbois (dans l’ouverture de Proserpin et la Pantomime) et de harpe (dans « Töne leise, goldne Saite ») sont en revanche parfaitement exécutés et phrasés, et si la direction aurait pu travailler l’équilibre entre les différents pupitres avec encore davantage de finesse, l’ensemble est efficace et bien mené.

A leurs côtés, la soprano Marie Perbost fait entendre une voix claire, lumineuse, et d’une grande précision dans les vocalises et ornements dont Kraus émaille ses partitions (on pense notamment au virtuose « Ach hvad behag et hjerta njuter »). La diction aurait mérité plus de consonnes (notamment en allemand) et le texte aurait pu être chanté avec davantage de relief, mais l’interprétation est élégante. Certains livrets à la gloire de Gustave III pourront prêter à sourire par leur ton dithyrambique (« Il vient en héros pour sauver son peuple qu’il rend heureux, grand et libre », « Ta récompense, ton destin fut de tomber/ Victime de la folie d’une main pardonnée », « Bienfaiteur de l’humanité, / Déjà Gustave a mérité/ Le souvenir de tous les âges »), mais Kraus les habille d’une musique et d’un lyrisme assez admirables pour en effacer les excès.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur Kraus, et plus encore à entendre. Mais la discographie qui lui est consacrée s’enrichissant, il y a bon espoir de posséder un jour une somme assez conséquente de son œuvre pour lui rendre sa place au panthéon des compositeurs – et qui sait, sa place dans les salles de concert.

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Claire-Marie Caussin
Après des études de lettres et histoire de l’art, Claire-Marie Caussin intègre l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales où elle étudie la musicologie et se spécialise dans les rapports entre forme musicale et philosophie des passions dans l’opéra au XVIIIème siècle. Elle rédige un mémoire intitulé Les Noces de Figaro et Don Giovanni : approches dramaturgiques de la violence où elle propose une lecture mêlant musicologie, philosophie, sociologie et dramaturgie de ces œuvres majeures du répertoire. Tout en poursuivant un cursus de chant lyrique dans un conservatoire parisien, Claire-Marie Caussin fait ses premières armes en tant que critique musical sur le site Forum Opéra dont elle sera rédactrice en chef adjointe de novembre 2019 à avril 2020, avant de rejoindre le site Wanderer.

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