Gaetano Donizetti (1797–1848)
L'elisir d'amore (1832)
Melodramma giocoso en deux actes
Livret de Felice Romani, d’après la pièce Le Philtre d’Eugène Scribe.
Créé au Teatro della Canobbiana à Milan le 12 mai 1832

Direction musicale : Giampaolo Bisanti
Mise en scène et costumes : Laurent Pelly

Décors : Chantal Thomas
Lumières : Joël Adam
Dramaturgie : Agathe Mélinand

Adina : Sydney Mancasola
Nemorino : Matthew Polenzani
Belcore : Simone del Savio
Il dottore Dulcamara : Ambrogio Maestri
Giannetta : Lucrezia Drei

Orchestre et Chœurs de l'Opéra National de Paris
Chef des Chœurs : Alessandro Di Stefano

Paris, Opéra National de Paris – Bastille, 13 octobre 2021

Par son atmosphère bienveillante et son charme, cette troisième reprise de l'Elixir d'amour mis en scène de Laurent Pelly garde un charme indiscutable mais manque de profondeur analytique et d'un brin de dramaturgie. Le plateau en fait les frais, à l’exception peut-être du Dulcamara d'Ambrogio Maestri, qui tranche avec cette douce mièvrerie. La tendresse policée et bien sage des autres interprètes substitue à la qualité du chant une bien anecdotique déclamation théâtrale. 

Sydney Mancasola (Adina)

Sa troisième reprise de la mise en scène en à peine six saisons fait de cet Elixir une valeur sûre de la Grande Boutique si l'on considère le taux de remplissage plutôt honorable en ces temps de crise sanitaire. En transposant du pays Basque à ce qui pourrait ressembler à l'Emilie-Romagne des films de Fellini, Giuseppe de Santis, ou Vittorio de Sica. L'allusion au cinéma prête au chef‑d'œuvre de Donizetti un irrésistible côté comédie à l'italienne et Dolce Vita qui correspond parfaitement avec l'univers scénographique de Laurent Pelly.

Les décors de Chantal Thomas possèdent de forts atouts théâtraux qui permettent aux personnages de se dissimuler, s’écharper ou s’épier dans une atmosphère toujours légère. Ainsi, la pyramide de bottes de foin du début de l’Acte I, dans laquelle l'ensemble du plateau interagit et qui permet de montrer les différences sociales entre les villageois toujours en contrebas, Adina esseulée au milieu, et le toujours prétentieux colonel Belcore qui s’exhibe en grand chef de guerre au sommet. Certains éléments de changements de décors interviennent au fil des actes, bousculant cette dynamique et modifiant les climats expressifs.

La mise en scène cède régulièrement à un certain opéra bouffe où domine la volonté de faire rire quoiqu’il en coûte, démultipliant les effets sonores, scéniques et les gags en tout genre. Ainsi, ces répétitions d'acrobaties, de bouteilles jetées avec fracas, ou ce petit chien qui ne cesse de courir d'un côté à l'autre de la scène, perturbant parfois un moment aussi profond et mélancolique que Adina, credimi, te ne scongiuro où  Nemorino se lamente du mépris et du dédain que son amour Adina lui jette avec violence et franchise.

Côté plateau, on reste singulièrement déçu par des voix qui peinent à se projeter suffisamment pour pouvoir séduire – même si une large part de la performance reste entamée par une scénographie qui contraint les interprètes à des performances d'acteur. Le Nemorino de Matthew Polenzani est touchant par cet amalgame de maladresse et de sérieux qu'il met dans son expressivité. Son personnage contraste par une relative mélancolie avec un environnement où tout est dérision et joie de vivre détaché. Sa voix chaude et légère confère au célèbre una furtiva lagrima un caractère émouvant, avec un art du legato et un contrôle de l'émission aux confins du murmure. La soprano américaine Sydney Mancasola incarne avec brio une Adina tour à tour dédaigneuse, manipulatrice et volage. Cette bourgeoise égarée dans un milieu rural laisse percevoir une belle incarnation dramatique et tragique, notamment lors du dernier acte. La présence physique de son personnage l'emporte sur des qualités de chant trop souvent intimistes et discrètes, à l'exception du Prendi, per me sei libero où la voix, enfin, se libère et déploie de magnifiques aigus qui rayonnent dans toute la salle. Le personnage du rustre Belcore est incarné par un Simone del Savio fatigué de souffle et de ligne, qui peine à s’imposer notamment dans le registre grave – aux antipodes d'une présence en scène qui confine à l'exagération. Cette vantardise outrancière du rôle ne trouve pas son équivalent dans un chant aux confins de l'anonyme et de la banalité.

Avec maîtrise et brio, Ambrogio Maestri campe un Dulcamara qui allie un physique gargantuesque et une théâtralité de tous les instants. Il est assurément le seul chanteur qui parvienne à maîtriser le vaste vaisseau acoustique de l'Opéra Bastille et faire résonner une voix à la fois imposante et espiègle, sans limiter un instant la précision du phrasé. Une remarquable prestation et le véritable succès de cette soirée. On s'en voudrait d'oublier le tout petit rôle de Gianetta, incarnée par une Lucrezia Drei dont la voix n’arrive que trop peu à se faire entendre, notamment lorsque le chœur intervient, s'agitant dans une joyeuse théâtralité mais émaillé de nombreux décalages.

La direction de Giampaolo Bisanti parvient à dynamiser un orchestre sobre et élégant, sans pour autant multiplier les effets mais, inévitablement, l'équilibre se dégrade, et la fosse couvre le plateau. Une soirée sans frisson ni extase.

Sydney Mancasola (Adina), Matthew Polenzani (Nemorino)
Nicolas Musin
Après une formation à l’école de Danse de l’Opéra de Paris et des études d’Histoire de l’art à l’Ecole du Louvre, Nicolas Musin se tourne vers une carrière de danseur et intègre successivement les Ballets de Monte-Carlo, le Ballet de Hambourg et le Ballet de l’Opéra de Vienne. En tant que soliste principal, il danse dans des œuvres de Vaslav Nijinski, George Balanchine, Jérôme Robbins, John Neumeier, Hans Van Manen, Jiri Kilian, William Forsythe ou encore Mats Ek. Parallèlement à une brillante carrière de danseur, il crée des pièces chorégraphiques pour de nombreuses compagnies avant de fonder sa compagnie à Vienne (Autriche) en 2001. Il collabore successivement avec la Biennale de Danse de Venise, le Suzanne Dellal Center, le Bregenzer Festspiele ou encore le New National Theatre Tokyo. En 2010, il s’installe à Genève pour développer des projets pluridisciplinaires et poursuivre une carrière de chorégraphe, de scénographe et d’enseignant. À partir de 2017, il développe des projets ouverts à la jeunesse. Reposant sur l’inclusion et la transmission de savoir et de valeurs, ces projets socio-pédagogiques aboutissent sur des spectacles réalisés dans des espaces urbains ou en scène et dans lesquels se mêlent arts du mouvement, sports urbains et médiums digitaux.

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