Joseph Haydn (1732–1809)
L’Isola disabitata (1779)

Azione teatrale en deux parties sur un livret de Métastase
Créée le 6 décembre 1779 au Palais Esterázhy.

Anett Fritsch (Costanza)
Sunhae Im (Silvia)
Krystian Adam (Gernando)
André Morsch (Enrico)

Akademie für Alte Musik Berlin
Direction musicale : Bernhard Forck

1 CD Pentatone – TT 80’

Enregistré en septembre 2020 à la Jesus-Christus-Kirche (Berlin)

Écrit en 1753 par Métastase, le livret de L’Isola disabitata fut l’objet de mises en musique variées de la part de Giuseppe Bonno, Niccolo Jommelli ou encore Davide Perez avant que Haydn ne s’en empare à son tour, en 1779. Racontant les retrouvailles du couple Costanza/Gernando après treize ans de séparation, cette œuvre brève séduit peut-être davantage par ses airs que par ses récitatifs ; mais le label Pentatone réunit quatre solistes convaincants et impeccables vocalement, bien soutenus par l’Akademie für Alte Musik Berlin placée sous la direction de Bernhard Forck.

Certains lecteurs se souviendront peut-être du récit des jeunes années de Haydn fait par George Sand dans son roman Consuelo : on y voit un jeune compositeur vagabond, facétieux, aventureux, recherchant par tous les moyens possibles la protection et l’enseignement de Porpora – allant jusqu’à déguiser ses talents de musicien afin d’approcher incognito le grand maître. Si la réalité est un peu moins romanesque, il est vrai que Haydn fut l’élève de Porpora, rencontré en 1753 par l’intermédiaire de Métastase – Haydn vivait en effet sous le même toit que le librettiste à Vienne, sur la Michaelerplatz. C’est au contact du compositeur italien et de ses chanteurs que le jeune homme apprend à écrire pour l’opéra (lui qui jusqu’alors avait surtout été un autodidacte) et qu’il se fait un nom dans la vie musicale viennoise.

Cette même année 1753, Farinelli, vivant à la cour de Ferdinand VI d’Espagne, souhaite y faire jouer une azione teatrale sur un livret de son ami Métastase : L’Isola disabitata. On demande à Porpora d’en écrire la musique mais le compositeur, malade, doit y renoncer. C’est ainsi Giuseppe Bonno qui se charge de la partition, qui n’aura pas un succès fulgurant et tombera relativement dans l’oubli. Mais il n’en va pas de même pour le livret : plus de vingt ans après son écriture, Haydn décide de le mettre à son tour en musique. Le compositeur, désormais musicien réputé, renoue avec les grandes figures de sa jeunesse et montre ce qu’il en a appris dans une forme brève (une heure vingt environ) qui laisse la part belle aux récitatifs et à l’orchestre.

L’Isola disabitata est l’histoire de deux sœurs, Costanza et Silvia, vivant seules sur une île déserte. Il y a treize ans en effet, le mari de Costanzo, Gernando, a été enlevé par des pirates sur cette même île où les voyageurs, en route pour les Indes, se reposaient. Or les sœurs sont persuadées que Gernando les a en réalité abandonnées et conçoivent depuis une haine des hommes. Voilà que treize ans après cet épisode le héros, enfin délivré, revient en compagnie de son ami Enrico : il retrouve son épouse en vie et celle-ci, apprenant la vérité sur sa captivité, lui pardonne. Silvia quant à elle tombe amoureuse d’Enrico, et l’œuvre se conclut par un joyeux quatuor final où femmes et hommes sont réconciliés.

On retrouve donc dans ce livret le thème très illusministe de l’opposition entre nature et culture incarné par la jeune Silvia, qui ne voit pas d’existence plus heureuse que la vie isolée sur cette île. On retrouve également les balbutiements du sentiment amoureux tels que le théâtre de l’époque s’est plu à les décrire ; mais avec un livret aussi condensé – 6 courts airs et une ariette seulement – l’œuvre ne fait que survoler ces questions et se veut davantage un divertissement qu’une exploration profonde des affects et des situations. L’œuvre n’est pas non plus, musicalement, la plus réussie de la production vocale de Haydn : on y retrouve bien ses talents mélodiques dans les airs – « Chi nel cammin d’onore » d’Enrico ou « Fra dolce deliro » de Silvia par exemple sont de vraies réussites du genre – mais on a connu le compositeur plus expressif dans les récitatifs et la partition manquerait de variété n’étaient les divers solos à l’orchestre, que le compositeur fait intervenir de plus en plus souvent au fil de l’œuvre lui donnant ainsi davantage de relief à mesure que l’action avance. Cette impression est renforcée dans cet enregistrement par le jeu de l’Akademie für Alte Musik Berlin, placée sous la direction de Bernhard Forck : l’ensemble paraît tout d’abord un peu trop homogène et lisse, mais à la fin de la première partie, on sent que l’orchestre gagne en allant et en définition, les différentes voix se faisant de plus en plus audibles. Le son gagne également en clarté, et les solos – tous bien exécutés – permettent aux musiciens d’entrer en dialogue avec les chanteurs et de véritablement les porter.

Avec seulement quatre personnages, la réussite d’un tel enregistrement repose en effet en grande partie sur la qualité de ses solistes, et Silvia et Costanza trouvent en Sunhae Im et Anett Fritsch des interprètes aux timbres très bien choisis : la première possède en effet la couleur tout à fait caractéristique des rôles de soubrettes, très lumineuse, qui contraste bien avec le timbre plus dramatique de la seconde. Sunhae Im manque il est vrai d’un peu de relief dans les récitatifs, mais la partition ne lui rend pas la tâche facile ; Anett Fritsch en revanche s’en sort bien et parvient à donner de l’épaisseur à son rôle. Mais les deux sopranos sont en tout cas parfaitement convaincantes dans les airs.

Krystian Adam est un Gernando à la voix dense et au très beau legato – notamment dans les ornements de l’air « Non turbar quand’io mi lagno ». Il ne manque pas non plus d’expressivité dans les récitatifs, qualité qu’il partage avec l’Enrico d’André Morsch – le baryton dominant la distribution avec son timbre superbe et un chant très élégant. Vocalement, ce sont des performances assez irréprochables que l’ensemble de la distribution propose.

Cette Isola disabitata ne manque donc pas d’atouts et tire de belles choses de cette œuvre : l’enregistrement est ainsi l’occasion de la découvrir ou de la redécouvrir, et ce d’autant plus qu’il s’appuie sur la version originale de la partition et rétablit certains solos tels que le compositeur les avait initialement souhaités.

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.

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