Charles Gounod
Roméo et Juliette
L’Avant-Scène Opéra, n° 324, septembre 2021.
Extraits audio avec l'appli ASOpera
ISBN 978–2‑84385–381‑4, 130 pages, 28 Euros

L'œuvre

- Chantal Cazeaux
– Joël-Marie Fauquet (Guide d'écoute)
– Jules Barbier et Michel Carré (Livret)

Regards sur l’œuvre

- William Shakespeare(Extraits)
- Sylvain Parent
– Gérard Condé
– Louis Bilodeau
– Jean-Claude Diénis

Écouter voir et lire

– Didier Van Moere (Disco- et vidéographie)
– Chantal Cazaux (Bibliographie)
– Olivia Pfender et Jules Cavalié

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Parution du n°324 de l'Avant-Scène Opéra, septembre-octobre 2021 consacré à Roméo et Juliette de Charles Gounod

Plus d’un quart de siècle s’est écoulé depuis la dernière représentation du Roméo et Juliette de Gounod dans Paris intra muros. Le retour de cette œuvre Salle Favart est une excellente occasion pour que l’Avant-Scène Opéra nous offre un nouveau numéro consacré à ce qui fut jadis un pilier du répertoire.

Les termes choisis qui émaillent la formule servant de titre à cet article figurent dans une lettre qu’Ivan Tourgueniev adressa à Pauline Viardot au lendemain d’une représentation du Roméo et Juliette de Gounod, le 18 juin 1867. L’œuvre remporta pourtant le seul grand succès immédiat qu’ait connu le compositeur, et l’on se réjouit à la perspective qu’elle soit enfin de retour à Paris, où les dernières représentations remontent à 1994 à l’Opéra-Comique ! En décembre prochain, la Salle Favart remonte Roméo et Juliette, et l’Avant-Scène Opéra en profite pour présenter une nouvelle mouture de son numéro 41, paru le 1er janvier 1982, quelques mois avant que ce titre ne connaisse la dernière de ses productions à l’Opéra de Paris (on ne l’y a plus jamais revu depuis l’ultime reprise en 1985). L’ASO avait actualisé son volume en 1998, sans doute pour tenir compte des deux intégrales parues entre-temps, l’une et l’autre dirigées par Michel Plasson.

Sous le numéro 324, Roméo et Juliette revient donc, avec tout le confort moderne : avec des illustrations en couleur, et avec extraits audio écoutables grâce à l’appli ASOpéra, et une vidéographie. La métamorphose est pourtant moins totale que ce qui fut le cas de certains volumes, puisque le plat de résistance, l’Introduction et Guide d’écoute de Jöel-Marie Fauquet, a été jugé – à juste titre – digne de franchir encore quelques décennies. Le musicologue ne mâche pas ses mots et n’hésite pas à mettre en avant les défauts autant que les qualités de Gounod, soulignant combien le discours de Roméo paraît théâtral et emphatique, comparé à la sensibilité et l’évolution psychologique que le compositeur a su traduire dans les propos de Juliette.

La nouveauté est cependant partout ailleurs dans ce volume, puisque les articles de fond sont eux, presque totalement renouvelés, proposant un parcours littéraire, historique et artistique complet, et supprimant des textes forcément devenus caducs : les opinions des metteurs en scène des années 1980 ne présentent plus un intérêt majeur, ni même la conception de l’œuvre selon Alain Lombard, si brillant qu’ait pu être le chef français lorsqu’il s’agissait de diriger cette partition.

Le seul article conservé est le dernier de la table des matières. Spécialiste du ballet – son texte insiste beaucoup sur les adaptations dansées –, Jean-Claude Diénis y retrace la trajectoire du mythe des amants maudits auquel Shakespeare donna un relief inégalé : découverte par le reste de l’Europe, essentiellement à l’époque romantique, qui débouche sur la « symphonie dramatique » de Berlioz, puis sur le Roméo et Juliette de Prokofiev. L’opéra n’est pas oublié, mais on aurait aimé en apprendre plus sur les versions les moins fréquentées, comme celle de Dalayrac, probablement l’une des premières. Le cinéma a aussi sa place. Et comme une Note de la rédaction le précise, l’article datant de 1982 ne saurait tenir compte des plus récents « avatars », le film de Baz Luhrmann ou l’opéra de Pascal Dusapin.

Bonne idée que de proposer quelques extraits de la traduction de François-Victor Hugo, qui facilite le travail de comparaison et permet de réhabiliter (un peu) messieurs Barbier et Carré. Joël-Marie Fauquet précise en effet que les librettistes ont lu de très près cette version française qui, parue en 1860, était alors la plus récente : « Tout ce qui, dans le livret de l’opéra est directement imité de Shakespeare copie cette traduction ».

Agréablement illustrés de photographies de Vérone à la fin du XIXe siècle, l’article de Sylvain Parent explique comment le mythe entrelace réalité historique (l’affrontement des Guelfes et des Gibelins au XIVe siècle, mais sans que les familles Montecchi et les Capuleti y soient le moins du monde associés) et récit dérivé des amours contrariées de Pyrame et Thisbé. Les amants de Vérone se seraient ainsi d’abord appelés Mariotto et Ganozza, noms peu prometteurs pour la postérité, puis Luigi et Lucina, ce qui est déjà nettement plus vendeur, mais que Luigi da Porto préféra transformer en Romeo et Giulietta, soucieux de masquer l’identité d’individus réels (dont l’auteur lui-même). La ville de Vérone a su exploiter le filon inespéré des amoureux malheureux : « Leur présence sature tout le centre urbain, pour le meilleur et pour le pire ».

Gérard Condé revient sur la genèse de l’opéra, depuis 1839 où Gounod entendit l’œuvre hors normes de Berlioz, 1841 où il mit en musique, à la Villa Médicis, des extraits du livret utilisé par Vaccai et Bellini, et jusqu’à l’année 1866 où le compositeur trouva l’inspiration sur les plages (françaises, pas italiennes) de la Méditerranée et s’enflamma en concevant les quatre duos destinés à ses protagonistes : « les enlacements de Juliette, l’anxiété de Roméo, ses étreintes enivrées, des accents soudains de quatre ou huit mesures au milieu de toute cette lutte entre l’amour et l’imprudence, il me semble que tout cela s’y trouve ! … Nous verrons. » Gounod s’enthousiasma tellement qu’il bascula dans le surmenage et qu’il dut faire un nouveau séjour à la clinique du docteur Blanche.

Non content de suivre les voies où sa muse l’incitait à s’engager, le compositeur devait aussi tenir compte des exigences de la redoutable Madame Carvalho, à qui Louis Bilodeau consacre fort opportunément un article. Voix petite mais dotée d’une articulation hors pair, Caroline Miolan (1827–1895) avait eu l’art de voler la Marguerite de Faust à sa consœur Delphine Ugalde et allait être la créatrice de plusieurs autres ouvrages de Gounod : Philémon et Baucis, La Colombe, Mireille… et Roméo et Juliette, son mari, directeur du Théâtre-Lyrique, ayant voulu, en cette année d’Exposition universelle, opposer un titre attractif aux créations de l’Académie impériale de musique (Don Carlos) et du théâtres des Variétés (La Grande-Duchesse de Gérolstein). Ainsi s’explique le disparate du rôle de Juliette qui, comme celui de Mireille, répond à la fois aux désirs de Gounod, avec le dramatisme de la scène du poison, et à ceux de son interprète, avec la valse-ariette du premier acte, ce « brillant » qu’elle réclamait toujours.

Didier Van Moere signe la nouvelle Discographie et la forcément nouvelle Vidéographie. Comme souvent au pays de l’opéra français, on constate que la version idéale n’existe pas, les unes et les autres présentant des qualités sans pouvoir s’imposer au firmament. Le DVD est singulièrement pauvre, avec des lectures peu emballantes, la version de Londres, avec Roberto Alagna et Leontina Vaduva restant le plus recommandable. « En espérant que la jeune école française nous donne bientôt le Roméo et Juliette d’aujourd’hui », conclut Didier Van Moere, vœu que l’on s’empresse de partager. Selon un principe désormais bien établi, la rubrique « L’œuvre à l’affiche » renvoie les lecteurs aux pages parues dans le volume de 1982 (téléchargeables gratuitement sur le site www.asopera.com) en ce qui concerne tout le premier siècle de représentations ayant suivi la création. Entre 1982 et 2021, on regrette que ne soient pas signalées les reprises des différentes productions dans d’autres théâtres : après Nancy, on put ainsi voir celle de Nicolas Joël à Paris et à Londres, par exemple, tout comme celle de Paul-Emile Fourny qui, après Avignon, poursuivit son chemin à Massy ou à Metz (alors qu’ont droit à une mention chacun des différents lieux où fut donnée celle de Bartlett Sher, par exemple).

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Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.

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