Amazone

Francesco Provenzale
« Non posso far » (Lo Schiavo di sua moglie)
« Lasciatemi morir, stelle crudeli » (Lo Schiavo di sua moglie)

Francesco Cavalli
Sinfonia d’Ercole amante

Giovanni Buonaventura Viviani
« Muove il piè, furia d’Averno » (Mitilene, regina delle amazzoni)

Giuseppe de Bottis
Duo « Io piango/Io peno » (Mitilene, regina delle amazzoni)
« Che farai misero core » (Mitilene, regina delle amazzoni)
« Lieti fiori, erbe odorose » (Mitilene, regina delle amazzoni)
« Sdegno all’armi, alle vendette » (Mitilene, regina delle amazzoni)

Georg Caspar Schürmann
Sinfonia pour la tempête (Die getreue Alceste)
« Non ha fortuna il pianto moi (Die getreue Alceste)

Carlo Pallavicino
« Vieni, corri, volami in braccio » (L’Antiope)
« Sdegni, furori barbari » (L’Antiope)

Danican Philidor

Récits et duo « Venez, troupe guerrière… Puisque tout est tranquille », « Combattons, courrons à la gloire » (Les Amazones)

Louis Couperin

Passacaille en do Majeur
10ème Ordre en ré : VI. l’Amazône (Second livre de pièces pour clavecin)

André Cardinal Destouches
« Faible fierté, gloire impuissante » (Marthésie, première reine des amazones)
« Ô mort, triste mort » (Marthésie, première reine des amazones)
« Quel coup me réservait la colère céleste ? » (Marthésie, première reine des amazones)

Marin Marais
« L’Amériquaine » (Suite d’un goût étranger)

Antonio Vivaldi
Sinfonia d’Ercole sul Termodonte
« Onde chiare che sussurrate » (Ercole sul Termodonte)
« Scenderò, volerò, griderò » (Ercole sul Termodonte)

Lea Desandre, mezzo-soprano
Cecilia Bartoli, mezzo-soprano
Véronique Gens, soprano
William Christie, clavecin

Ensemble Jupiter
Direction musicale : Thomas Dunford

Enregistré en novembre 2020 et février 2021 à la Chapelle Corneille (Rouen) et à la Diacosmie (Opéra Nice Côte d’Azur)

Pour son premier album chez Erato, la mezzo-soprano Lea Desandre propose un programme construit autour de la figure de l’amazone, telle que les compositeurs italiens et français de la fin du XVIIème siècle et du début du XVIIIème siècle ont pu la représenter. Contrairement à ce que l’on aurait pu attendre, ce n’est pas seulement la figure guerrière que l’on retrouve : le programme laisse une grande place à la plainte amoureuse, et le disque lui-même présente les amazones comme des femmes inspirantes, liées à la nature et à une fusion du féminin et du masculin, au-delà des normes genrées. Un album exigeant, enregistré en compagnie de l’ensemble Jupiter et d’invités de marques : William Christie, Cecilia Bartoli et Véronique Gens. Une grande plongée dans un répertoire en grande partie inédit au disque, et que l’on se réjouit de découvrir.

Guerrières et hostiles, les Amazones ? Pas seulement, à en croire le nouvel album de Lea Desandre paru chez Erato. Tout entier construit autour de ces figures mythiques, le disque surprend par son caractère élégiaque où la guerre cède souvent le pas à la plainte amoureuse. Il surprend aussi par les photos qui l’illustrent, sereines, gracieuses, shootées dans une forêt : c’est une Amazone bien pacifiste – endormie même, sur l’un des clichés – qui nous est donnée à voir, à l’opposé des représentations que l’on en a habituellement.

Le livret le justifie en nous expliquant que ces personnages vivraient en harmonie avec la nature, qu’ils représenteraient une fusion heureuse du féminin et du masculin. Qu’ils seraient des figures libératrices aussi, éminemment modernes. La relecture est tentante, soit. Mais pourquoi avoir effacé à ce point, visuellement et dans les notes accompagnant l’album, toute trace guerrière et cruelle ? Disons qu’il s’agit là d’une Amazone 2.0 qui, comme ses ancêtres, remet en question les normes de genre mais cette fois sans intentions belliqueuses, dans un seul but de liberté et d’émancipation.

Il est vrai en tout cas, à en croire ce programme, que si la figure de l’Amazone a amplement inspiré les compositeurs français et italiens, celle-ci a été représentée avec toute une palette de sentiments ; offensifs parfois, bien sûr, mais aussi plaintifs : les Mitilene de Viviani et de Bottis menacent, la Celinda de Pallavicino, la Thalestris de Philidor et l’Antiope de Vivaldi prennent les armes, mais les autres pleurent, rient, se lamentent. C’est le topos de la guerrière vaincue par le dieu Amour qui semble dominer. C’est en tout cas ce que nous donne à entendre cet album constitué en grande majorité d’airs et de morceaux inédits au disque – quinze sur vingt-cinq pistes au total ! On se réjouit d’avoir tant de musique à découvrir, puisée chez Provenzale, de Bottis, Schürmann, Pallavicino, Viviani, Philidor, Destouches, et pour les plus connus chez Cavalli, Vivaldi, Marais et Couperin. C’est un très beau travail de recherche qui a été mené, et si l’on est d’abord un peu gênée par les brusques changements d’atmosphère d’une pièce à l’autre (dans les premiers morceaux de l’album), cela participe finalement de cette profusion de musique, de cette volonté manifeste d’enregistrer beaucoup, de cet appétit pour la découverte qui semble animer les musiciens. Dans cette entreprise, et comme pour affirmer une filiation musicale, l’ensemble Jupiter et Lea Desandre font d’ailleurs appel à des invités bien connus du public et qui œuvrent depuis plusieurs décennies pour la redécouverte des répertoires anciens : William Christie (ici dans une Passacaille de Couperin), Cecilia Bartoli (chez de Bottis) et Véronique Gens (pour un duo tiré des Amazones de Philidor). Des invités de marque pour un passage de flambeau réussi.

L’ensemble Jupiter possède en effet un beau sens du groupe, où chacun prend sa place sans oublier d’écouter ceux qui l’entourent. Placés sous la direction musicale de Thomas Dunford, les musiciens ont moins l’occasion de montrer leur énergie et leur éclat que dans leur précédent album consacré à Vivaldi ; mais ils construisent un bien bel écrin à tous ces airs, servis par des contrastes et de l’expressivité (on pense notamment à « Faible fierté », mais surtout à « Quel coup me réservait la colère céleste » de Destouches, avec ses figuralismes). On retiendra également le très lyrique « Onde chiare che sussurrate » de Vialdi (Ercole su’l Termodonte), où les cordes dialoguent avec le personnage et où le clavecin s’approche par moments au plus près de la voix. Mais l’album laisse aussi à l’orchestre l’occasion de se faire entendre sans Lea Desandre : les quelques incursions hors de l’opéra enrichissent un programme déjà dense, et crée des transitions plus harmonieuses entre les œuvres et les langues.

La mezzo-soprano chante en effet en italien et en français, et dans les deux avec la même clarté de diction. On l’a dit, le programme réserve une grande place à la plainte amoureuse ; mais Lea Desandre brille peut-être davantage dans les airs les plus légers et virtuoses de l’album : pas seulement grâce à la vélocité dont elle fait preuve, mais parce que c’est là que son timbre a le plus d’éclat. « Vieni, corri, volami in braccio » de Pallavicino par exemple a des couleurs qui vont très bien à la chanteuse, laissant entendre une voix lumineuse et agile. Les duos avec Cecilia Bartoli et Véronique Gens constituent également de beaux moments du disque, où la musicalité des chanteuses se mêle ; mais la pièce la plus réussie quant à l’expressivité reste sans doute « Quel coup me réservait la colère céleste », extraite de Marthésie, première reine des amazones de Destouches, où Lea Desandre mène la scène avec un sens aigu du texte, du figuralisme et de l’effet – dans le meilleur sens du terme. On voit là les moyens de la tragédienne, et une voix qui se plie aux exigences du livret.

Pour ce premier album chez Erato, la mezzo-soprano réaffirme donc son attachement au collectif – en laissant une grande place à l’ensemble Jupiter et en conviant des invités prestigieux – et un intérêt précieux pour la redécouverte de répertoires oubliés. Loin de céder à la facilité d’un programme « grand public », cet album n’est pas une simple carte de visite pour une jeune chanteuse mais un vrai jalon intéressant dans la discographie, grâce à la quantité d’inédits qu’il propose : sans aucun doute une raison supplémentaire de l’écouter.

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Claire-Marie Caussin
Après des études de lettres et histoire de l’art, Claire-Marie Caussin intègre l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales où elle étudie la musicologie et se spécialise dans les rapports entre forme musicale et philosophie des passions dans l’opéra au XVIIIème siècle. Elle rédige un mémoire intitulé Les Noces de Figaro et Don Giovanni : approches dramaturgiques de la violence où elle propose une lecture mêlant musicologie, philosophie, sociologie et dramaturgie de ces œuvres majeures du répertoire. Tout en poursuivant un cursus de chant lyrique dans un conservatoire parisien, Claire-Marie Caussin fait ses premières armes en tant que critique musical sur le site Forum Opéra dont elle sera rédactrice en chef adjointe de novembre 2019 à avril 2020, avant de rejoindre le site Wanderer.

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