Orchestre du Festival de Bayreuth
Andris Nelsons, direction

 

22 août 2021

Richard Wagner (1813–1883)
Die Walküre – Acte I

Christine Goerke (Sieglinde)
Klaus Florian Vogt (Siegmund)
Günther Groissböck (Hunding)

Lohengrin Prélude de l'Acte I
Lohengrin Acte III
"Höchstes Vertrauen hast Du mir schon zu danken" *
"Im fernem Land" et "Mein lieber Schwan" *

Parsifal – Prélude de l'Acte I
Parsifal Acte II

"Amfortas ! die Wunde !" *

Parsifal Acte III

Karfreitagszauber
"Nur eine Waffe taugt" *
Klaus Florian Vogt, ténor

 

25 août 2021 :

Richard Wagner (1813–1883)
Die Walküre – Acte I

Christine Goerke (Sieglinde)
Klaus Florian Vogt (Siegmund)
Günther Groissböck (Hunding)

Die Walküre Acte III

“Walkürenritt”

Götterdämmerung (Prologue)
Siegfrieds Rheinfahrt

Götterdämmerung Acte III
Siegfrieds Tod und Trauermarsch
Schlussszene

"Starke Scheite schichtet mir dort"
Christine Goerke, soprano

Bayreuth, Festspielhaus, les 23 et 25 août 2021 , 18h

Les circonstances sanitaires ayant conduit à déplacer le Ring de Valentin Schwartz à la saison prochaine, la direction du Festival de Bayreuth a proposé des adaptations pour garantir à cette édition 2021 un intérêt et un niveau artistique tout à fait honorables. Ce fut le cas évidemment avec une production de Walküre transformée en action artistique par l'intervention de Hermann Nitsch, sous la direction de Pietari Inkinen qui était annoncé dès cette année dans le Ring intégral. C'est également le cas de ces deux concerts dirigés par un Andris Nelsons qui retrouve le Festspielhaus sept ans après le succès du Lohengrin de Hans Neuenfels (2010–2014). Au programme, après un premier acte de Walküre interprété par Klaus Florian Vogt (Siegmund), Günther Groissböck (Hunding) et Christine Goerke qui débute à Bayreuth dans le rôle de Sieglinde. En seconde partie, des extraits de Parsifal et Lohengrin le premier soir et le second, Walküre et Götterdämmerung. 

Le Festival de Bayreuth présente occasionnellement des concerts, que ce soient des soirées spéciales comme le récent hommage à Wolfgang Wagner en 2019 ou bien la célèbre Neuvième Symphonie de Beethoven, seul compositeur admis dans le Festspielhaus en dehors de Wagner, en hommage au concert qui inaugura la première édition du Festival en 1876. Cette année, c'est au chef letton Andris Nelsons de diriger ces deux soirées avec comme fil rouge, le premier acte de Walküre avec des extraits symphoniques et lyriques en seconde partie.

Véritable opéra en lui-même, ce premier acte présente l'avantage d'une dramaturgie resserrée en une heure de temps, avec une progression narrative où les péripéties entre les trois caractères culminent en un efficace climax. Ce Wagner en pièces détachées fait depuis toujours le bonheur des éditeurs discographiques et des organisateurs de concerts. On pourrait objecter ici que ce premier acte de Walküre donné à quelques jours des dernières représentations du même opéra par Pietari Inkinen, a tout d'une mise en concurrence directe entre deux chefs que tout oppose. Concurrence également pour un plateau vocal où, mis à part Klaus Florian Vogt qui se défie avec lui-même en Siegmund, la Sieglinde de Christine Goerke et le Hunding de Günther Groissböck s'écoutent forcément avec en arrière-plan, la performance de Lise Davidsen et Dmitry Belosselskiy.

Le mois dernier, Wanderer pointait le grand écart entre l'omniprésence des couleurs de la scénographie de Hermann Nitsch et leur absence regrettable dans la fosse d'orchestre (https://wanderersite.com/2021/08/des-couleurs-sur-les-murs-mais-pas-dans-fosse ). Les décors ont disparu ici, à l'exception d'une uniforme couleur bleue en fond, mais la disposition des interprètes sur un seul plan rapproche naturellement les deux soirées. Seule vraie différence, la disposition de l'orchestre sur scène qui fait crée toujours à Bayreuth une forme de hiatus visuel et acoustique. L'équilibre du lieu fait de l'orchestre un écrin enveloppant, toujours parfaitement adapté à des voix qui n'ont jamais à forcer pour passer un rideau instrumental. La fosse atténue une présence orchestrale très souvent exagérée dans des enregistrements qui pensent restituer l'acoustique en captant de trop près interprètes et musiciens. L'orchestre placé sur scène sonne tout de suite avec une présence parfois assez crue, comme placée sous un éclairage direct. Un mince rideau fait ici office de conque acoustique, bien incapable de masquer de bien curieuses réverbérations qui obligent le chef à rétablir certains équilibres cordes – vents. Sur ce point, les toiles gigantesques de Nitsch faisaient ressortir le même défaut d'exposition, avec des voix placées également en rang d'oignons. Dernière remarque : on n'a pas reproduit sur scène la disposition particulière dans la fosse avec par exemple, l'inversion des pupitres premiers et seconds violons, la division des contrebasses, des violoncelles et des harpes de part et d'autre du pupitre des altos au centre. Tout au plus, remarquera-t-on des cors placés à cour, avec juste derrière eux les fameux Wagnertuben tandis que leurs collègues trompettistes sont à jardin avec les trombones au centre. Il est en revanche fascinant d'observer cette formidable machinerie dont le fonctionnement ainsi mis à nu permet de "lire" son Wagner comme dans un livre grand ouvert. Et ce sont ici les voix dont la présence passe pour ainsi dire au second plan des intérêts, engoncés dans ces fameux gestes stéréotypés qui percent dans les mauvaises mises en scène ou ici, les versions concert.

L'orage qui éclate dans les premières mesures secoue la masse instrumentale avec ces flux et reflux dynamiques qui disqualifient immédiatement la prestation atone et appliquée de Inkinen la semaine précédente. Nelsons trouve par un geste sûr et clair, l'impulsion naturelle qui donne à la scène des allures de paysage sonore tourmenté et violent. Les accents se font plus appuyés quand les voix entre en scène, avec une attention souvent réduite à un soutien métrique – défaut en partie gommé dans la seconde soirée. Le chef s'attarde volontiers sur tel dessin mélodique, tel accord qu'il prolonge ou rythme qu'il souligne, mais tout est à la fois nerveux et parfois bousculé. Particulièrement dans la première soirée, il tourne le dos au drame, et se mue en entomologiste ce qui a pour conséquence de rendre certains équilibres délicats dans les moments de tension avec des voix régulièrement couvertes. En témoignent les deux Wälse habillement écourtés de Vogt ou la fin du Winterstürme wichen dem Wonnemond. Il faudra aux trois chanteurs l'expérience d'une première soirée où se font jour de petits craquages et défauts d'intonation, pour parvenir à un meilleur équilibre dans la seconde.

Le Siegmund de Klaus Florian Vogt s'écoute à l'aune des Lohengrin, Walther ou Parsifal qu'il a incarné in loco avec le succès qu'on sait. Le Wälsung n'a pas chez lui le naturel de ces rôles-là, principalement en raison d'un héroïsme ici objectivement plus exposé et attendu. L'interprétation concentre des qualités de phrasé et de ligne exceptionnellement fouillées, un peu à la façon d'un liedersänger qui ferait exister le rôle par le prisme d'une projection purement chambriste (Kühlende Labung gab mir der Quell…). La voix n'a pas véritablement de défaut de projection – sauf à tomber dans le sempiternel panneau "voix lourde" versus "voix légère" – ce qui déplace la réserve uniquement du côté du timbre dont on peut dire qu'il n'a pas la densité de couleur des Siegmund plus "évidents". On aurait du mal, ici comme ailleurs, à apprécier la prestation de Vogt sans une Sieglinde capable de le défier. Sur ce plan, il faut bien constater que malgré les efforts évidents qu'elle déploie pour ces débuts à Bayreuth, Christine Goerke n'a ni la palette ni le volume vocal d'une Davidsen. La soprano norvégienne tirait audiblement le Siegmund de Vogt vers un registre expressif supérieur à celui dans lequel il se cantonne en présence de Christine Goerke. L'entrée en matière la cueille à froid, chantant trop bas le Ein fremder Mann ? ihn muss ich fragen et ce, dans les deux soirées. La projection est limitée par une surface vocale sans vrai relief, si bien que l'incarnation se fait parfois chlorotique (Du bist der Lenz) et peine à trouver une vitesse de croisière dans les dernières répliques où l'identité enfin révélée trouve dans l'orchestre un écho stupéfiant. Günther Groissböck quant à lui, est un Hunding à la noirceur étudiée, avec un volume et un poids qui ne cherchent jamais à rivaliser avec des basses d'une violence psychologique plus épaisse (la comparaison avec Dmitry Belosselskiy est sur ce point édifiante). Impossible toutefois de ne pas penser en l'écoutant au fabuleux Wotan qu'il aurait pu incarner dès cette année. On espère qu'il finira par offrir à Bayreuth ce rôle tant attendu, dont on aurait pu espérer un avant-goût avec des Adieux de Wotan d'abord programmés pour la seconde soirée, puis annulé au dernier moment avec en prime une polémique médiatique et dispensable avec Katharina Wagner.

La première soirée offre à Klaus Florian Vogt une seconde partie entièrement construite autour de ses deux grands rôles que sont Lohengrin et Parsifal. Andris Nelsons trouve dans le prélude de Lohengrin une justesse d'expression absolument remarquable qui rappelle les souvenir des représentations de 2010–2014. La démonstration est à ce point évidente qu'il fait entendre des équilibres à la délicatesse ailleurs si périlleuse et qui trouvent ici une parfaite réalisation. Vogt prolonge le charme avec un Höchstes Vertrauen hast Du mir schon zu danken attendri et sensible, puis un récit du Graal "chanté avec les yeux" dans la plus pure tradition des ténors diseurs et poètes à l'instar de Jess Thomas ou Sándor Kónya.

Parsifal n'a pas en revanche chez Andris Nelsons l'évidence et la pureté harmonique de son Lohengrin. On plane à une haute altitude, mais le geste est ici moins habité, presque distant. Le prélude glisse d'un seul tenant, avec peu de contrastes dans les enchaînements et les climats. Et que dire de ce Karfreitagszauber à fleur de notes et sans sinuosités ni contrastes ? Fort heureusement, Vogt secoue la torpeur avec un Amfortas ! die Wunde ! qui fait monter aux lèvres le qualificatif d'anthologique, par la véhémence de l'expression et l'écho de cette brûlure morale et physique déchirant le personnage dans ce moment de révélation. Nur eine Waffe taugt est chanté magnifiquement, d'un seul souffle et sans surtout élargir le vibrato pour en travestir l'héroïsme – un exploit.

Privé des Adieux de Wotan, la seconde soirée met l'accent sur des extraits du Ring avec en conclusion une spectaculaire immolation de Brünnhilde. Il faut passer d'emblée sous les fourches caudines d'une Walkürenritt à la mise en place et aux équilibres parfois délicats. La quête de régularité rythmique ne laisse aucun espace en dehors d'une motricité sonore jouée platement fortissimo tout du long. On se consolera avec le diptyque Siegfrieds Rheinfahrt et Siegfrieds Trauermarsch avec, pour le premier, une belle alternance dans les climats et une succession de langueurs et de pépiements (les appels du cor de David Brox !). La mort de Siegfried peine un peu à décoller, massifiée par un rallentando qui retarde le moment où la scène sonore s'élargit pleinement en mettant en difficulté la trompette solo de Lukas Beno.

Pour couronner ses grands débuts dans le Festspielhaus, Christine Goerke affronte crânement Starke Scheite schichtet mir dort – véritable pierre angulaire et épreuve du feu pour toute soprano dramatique qui se respecte. Sans jamais chercher à forcer une ligne limitée par une amplitude et une couleur assez émaciées et impersonnelles, Goerke sait ménager ses effets et conserver à la voix toute la puissance nécessaire pour darder efficacement ses aigus. Débutée prudemment à l'orchestre, cette immolation prend une tournure attendrie dans un Wie Sonne lauter strahlt mir sein Licht où chef et soliste s'accordent à merveille… au point d'en oublier la précision rythmique des trois ruptures dramatiques dans Die treueste Liebe trog keiner wie er. Dans l'ensemble, la voix peine à garder une homogénéité dans les passages les plus diseurs, et donc les plus expressivement exposés (Ruhe, ruhe, du Gott !). Christine Goerke voit dans ce personnage l'occasion de neutraliser et parfois engloutir le texte sous les décibels (Verfluchter Reif ! Furchtbarer Ring !). Souvent isolée dans cette approche par un orchestre qui reste en deçà du contrôle et du lâcher-prise, elle opte finalement pour une solution alternative avec un ultime Selig, grüsst sich dein Weib ! aux confins d'un cri qui peine à convaincre vraiment. Nelsons reprend la main, atténuant le discours de façon très étonnante comme pour marquer la disparition de la voix par une mise en retrait de l'orchestre. Rendez-vous mercredi prochain à la Philharmonie de Paris pour le concert en tournée de l'Orchestre du Festival de Bayreuth, avec Klaus Florian Vogt et Christine Goerke dans un programme réunissant l'intégralité des deux secondes parties données au Festspielhaus cette semaine.

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David Verdier
David Verdier Diplômé en musicologie et lettres modernes à l'université de Provence, il vit et enseigne à Paris. Collabore à plusieurs revues dont les Cahiers Critiques de Poésie et la revue Europe où il étudie le lien entre littérature et musique contemporaine. Rédacteur auprès de Scènes magazine Genève et Dissonance (Bâle), il fait partie des co-fondateurs du site wanderersite.com, consacré à l'actualité musicale et lyrique, ainsi qu'au théâtre et les arts de la scène.

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