Giuseppe Verdi (1813–1901)
Aroldo (1857)
Opéra en quatre actes
Livret de Franco Maria Piave d'après The Betrothed (Les Fiancés) de Walter Scott et Harold, or The Last of the Saxon Kings d'Edward Bulwer-Lytton
Création le 16 août 1857 au Teatro Nuovo de Rimini

Direction musicale : Manlio Benzi 
Mise en scène et dramaturgie : Emilio Sala, Edoardo Sanchi
Mouvements scéniques : Isa Traversi
Décors : Giulia Bruschi
Lumières : Nevio Cavina
Montage Vidéo et projections : Matteo Castiglioni
Costumes : Raffaella Giraldi e Elisa Serpilli 

Antonio Corianò Aroldo
Lidia Fridman Mina
Michele Govi Egberto
Adriano Gramigni Briano
Cristiano Olivieri Godvino

Coro del Teatro Municipale di Piacenza
Corrado Casati Chef des chœurs
Orchestra Giovanile Luigi Cherubini

 

27 août 2021 au Teatro Galli de Rimini

Si Stiffelio reste un titre moins souvent joué que bien d’autres opéras de Verdi, sa réécriture Aroldo est encore plus rare. On remerciera donc le Teatro Galli de Rimini de l’avoir programmé, et OperaStreaming d’en diffuser la captation, qui permet d’apprécier une belle distribution où brille tout particulièrement la fascinante Lidia Fridman.

Photo de répétition ©DR

Accessible en vidéo : https://operastreaming.com/aroldo/

Opéra scandaleux, dont la partition d’orchestre ne fut retrouvée que récemment, Stiffelio connaîtra dans quelques semaines sa création française, à Strasbourg, cent soixante-dix ans après sa première mondiale, le 16 novembre 1850. C’est une bonne nouvelle, car Stiffelio, bien que méconnu, est une très belle œuvre, qui a trouvé sa place à l’affiche des théâtres du reste du monde. Bien plus rare reste en revanche Aroldo, la deuxième mouture de cet opéra, à laquelle Verdi se vit contraint de s’atteler pour tenter d’assurer une survie à un titre dont la réputation sulfureuse décourageait les directeurs de salle. En 1857, Stiffelio devint donc Aroldo : l’intrigue reste la même, mais au lieu d’être située au début du XIXe siècle, elle est transposée au Moyen Age, la suppression de plusieurs détails étant censée rendre le tout bien moins offensant pour les censeurs et les spectateurs. Malgré tout, Aroldo ne réussit pas tellement mieux que Stiffelio, et finit par sombrer dans un oubli assez comparable.

Si Aroldo revient en ce mois d’août 2021, ce n’est pas parce que des musicologues ont décidé de donner une nouvelle chance à ce Verdi dédaigné. Il y a en fait une raison qui n’est ni meilleure, ni moins bonne : le 16 août 1857, la première d’Aroldo coïncidait avec l’inauguration du Teatro Nuovo Comunale de Rimini, et c’est à Rimini que sont données les représentations captées par OperaStreaming. Verdi avait d’abord pensé donner l’œuvre à Bologne, mais son éditeur, Ricordi, lui suggéra une autre destination. Alors que les (longs) travaux de construction avaient commencé en 1843, le théâtre – entre-temps rebaptisé pour honorer une gloire locale, le compositeur Amintore Galli (1845–1919) – fut frappé exactement un siècle plus tard par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale, seul le foyer étant resté intact. Et, chose étonnante, la ville de Rimini en conserva les ruines de 1943 à 2018, date à laquelle le théâtre rebâti renaquit enfin de ses cendres, rebâti à l’identique mais doté de toutes les techniques modernes. Le théâtre étant ressuscité, il semblait logique de remonter l’opéra qui y avait vu le jour.

Les metteurs en scènes Emilio Sala et Edoardo Sanchi ont d’ailleurs tenu à souligner le lien entre l’œuvre et l’édifice, par le biais d’une transposition qui rapproche de nous une intrigue que Verdi et Piave s’étaient donné beaucoup de mal pour éloigner du présent. Stiffelio était devenu Aroldo parce que la nouvelle source d’inspiration était le roman de Bulwer-Lytton Harold, our le dernier des rois saxons, un roman de Walter Scott ayant également été exploité pour ancrer l’anecdote à l’époque des Croisades. Et même si la rhétorique de la Croisade, chère à George W. Bush, n’avait peut-être pas encore été remise au goût du jour dans les années 1930, c’est à l’époque mussolinienne qu’Aroldo se déroule cette fois, alors que l’Italie se lance dans une grande entreprise coloniale. Harold de retour de Terre Sainte est ici Aroldo revenant de la conquête de l’Ethiopie. Des images d’archives tournées en Afrique (on aperçoit même Haïlé Sélassié) sont projetées pendant l’ouverture, et quelques phrases ont été modifiées dans le texte chanté, pour transfomer « Palestina » en « Abissinia » et « Ascalone » en « Eritrea », l’ermite Briano devenant un saint homme copte. Les oripeaux vaguement médiévaux sont donc remplacés par des uniformes fascistes, blanc immaculé pour le rôle-titre, noir pour son beau-père, gris pour le « méchant ». Avant le deuxième acte, on entend un extrait de la Proclamation de l’Empire, discours prononcé le 9 mai 1936 par Mussolini (« Il popolo italiano ha creato col suo sangue l’impero… ». Et le dernier tableau se déroule devant un bâtiment agricole où figure une formule dont s’était emparée la propagande fasciste, extraite d’un discours de 1932 pour l’inauguration de la province de Ligurie : « È l’aratro che traccia il solco ma è la spada che lo difende ». La fin de l’opéra est censée se dérouler en 1943, lors du bombardement de Rimini (l’orage prévu par le livret), et les protagonistes se dépouillent de leur costume pour apparaître en tenue d’aujourd’hui, devant le superbe rideau de scène où l’on voit César franchissant le Rubicon, jadis récupéré sous les décombres peu après la destruction du théâtre. Avant l’entracte, l’action se déroulait dans un décor reproduisant l’intérieur du Teatro Galli, avec ses rangs de chaises, renversées pour le cimetière du deuxième acte.

Cette transposition, qui n’a rien de bien original de nos jours, fonctionne aussi grâce à la simplification du sujet voulue par Verdi et Piave. Dans Stiffelio, le héros est un prêtre, membre d’une secte imaginaire, qui propose le divorce à son épouse infidèle et finit par lui pardonner, en lisant pour son sermon la parabole de la femme adultère. C’est toute la complexité du personnage qui est évacuée lorsqu’il devient un militaire, à tel point que le pardon généreux du dénouement provient non pluss de Stiffelio/Aroldo, mais de l’ermite Briano, auquel est désormais confiée la citation des paroles du Christ. Cependant, ce que l’opéra a perdu en intérêt psychologique, il n’est pas défendu de penser qu’il l’a gagné en intérêt musical. Entre 1850 et 1857, l’esthétique de Verdi s’est transformée : Stiffelio succède immédiatement à Luisa Miller, Aroldo précède immédiatement Un ballo in maschera. On constate très vite que l’action a été resserrée avec efficacité, et que l’héroïne bénéficie d’un nouvel éclairage, mise au premier plan par les airs qui lui sont confiés.

Mina (elle s’appelait Lina dans Stiffelio) se retrouve plus encore au centre du drame, et Rimini a fort bien fait d’engager Lidia Fridman, soprano russe que beaucoup ont découverte en 2019 dans L’Ange de Nisida à Bergame. Par les couleurs sombres de sa voix (des graves de contralto, qui n’excluent pas de solides réserves dans l’aigu), par l’ampleur de son souffle qui la porte dans les longues phrases musicales, et par l’intensité de son jeu dramatique, Lidia Fridman fascine dans le rôle de cette femme tourmentée par la culpabilité ; la mise en scène montre d’ailleurs, projetés sur le fond du décor, ces mots accusateurs que Mina dit voir sans cesse devant elle « in lettere di fuoco ». Antonio Corianò est un ténor doté de grandes qualités, qui commence légitimement à tenir des premiers rôles dans les grands théâtres de la péninsule (il reprendra prochainement à la Fenice le personnage d’Arvino dans I Lombardi qu’il tenait en mars dernier à Monte-Carlo) ; on regrette seulement qu’Aroldo ne lui donne pas l’occasion d’exprimer les émotions plus complexes de Stiffelio. Michele Govi est un baryton solide, dont le timbre clair évite de faire du beau-père du héros une figure trop sinistre. Dommage que le séducteur Godvino soit si peu séduisant vocalement et scéniquement, Cristiano Olivieri ayant une voix un peu ingrate et manquant de prestance pour le rôle. Dirigeant l’Orchestra Giovanile Luigi Cherubini qui occupe tout le parterre, Manlio Benzi défend avec conviction un opéra dont il admire la partition, et que sert avec une ardeur égale le chœur du Teatro Municipale di Piacenza, certains chanteurs se souvenant peut-être d’avoir participé en 2003 à une production d’Aroldo signée Pier Luigi Pizzi.

Photo de répétition ©DR
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Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.
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