3ème promenade : Arne et l'opéra en anglais

En 1762, le compositeur Thomas Arne tente de répondre à cette question : l’opéra anglais en anglais est-il possible, et sous quelle forme ? Doit-il imiter le modèle italien, ou choisir pour une voie différente ? Arne ne tranche pas, et répond par deux œuvres bien différentes, Artaxerxes et Love in a Village. Au public de juger…

Un siècle après les premières tentatives d’introduction de l’opéra en Angleterre, sur le modèle français ou sur le modèle italien, on pourrait croire que le combat est gagné : Haendel a fait triompher l’opera seria en italien et, malgré la réussite d’Acis and Galatea, a fait la sourde oreille lorsqu’on l’incitait à relancer le genre en anglais : Semele, sur un livret de William Congreve, sera créé sous la forme d’un concert. Pour le reste, il n’aura guère composé dans la langue de Shakespeare que des oratorios non destinés à être représentés. Autrement dit, l’opéra en Angleterre, oui ; l’opéra en anglais, non. Du moins, si par « opéra » on entend une œuvre scénique intégralement chantée. Car le public fait fête à un autre type de spectacle, où le récitatif chanté est remplacé par des dialogues parlé équivalent britannique de l’opéra-comique français ou du singspiel germanique : le ballad opera, qui s’impose à partir des années 1730, notamment avec le triomphe de The Beggar’s Opera, sur un livret original mais dont la partition repose sur le principe du  pasticcio, et dont John Christophe Pepusch restera le fournisseur privilégié.

Covent Garden avant l'incendie de 1808

L’année 1762 marque néanmoins ce qui aurait pu être un tournant dans l’histoire de la musique britannique, puisqu’elle vit en février, à Covent Garden, la création d’un authentique opéra en anglais, qui resta pourtant sans lendemain. Si l’on connaît surtout Thomas Arne (1710–1778) en tant que compositeur de l’hymne national « Rule, Britannia », il fut aussi le père d’un ouvrage longtemps canonique, Artaxerxes, opera seria que l’on donna dans le monde anglophone jusqu’au milieu du XIXe siècle. Mais, signe qu’il n’y croyait peut-être lui-même pas tant que ça, ce titre resta son seul véritable opéra en anglais, et quelques mois après Artaxerxes, Arne offrit au public un ballad opera également promis à un succès durable, Love in a Village. Et il allait encore s’écouler bien des décennies avant qu’une œuvre lyrique chantée en anglais du début à la fin s’impose sur le sol britannique…

Âgé d’une vingtaine d’années, Thomas Augustine Arne fonde en 1732 une compagnie de théâtre musical. Suite à l’échec financier de cette tentative, Arne devient ensuite compositeur de musiques de scène pour le théâtre de Drury Lane, puis pour Covent Garden. En 1738, il écrit Comus, d’après le « masque » de Milton, ouvrage qui établit sa réputation et qu’il considère comme son premier opus digne de ce nom. Dans sa General History of Music (1776–89), Charles Burney n’hésite pas à affirmer :

« In this masque he introduced a light, airy, original, and pleasing melody, wholly different from that of Purcell or Handel, whom all English composers had hitherto either pillaged or imitated. Indeed, the melody of Arne at this time, and of his Vauxhall songs afterwards, form an aera in English Music ; it was so easy, natural and agreeable to the whole kingdom, that it had an effect upon our national taste ; and till a more modern Italian style was introduced […], it was the standard of all perfection at our theatres and public gardens. »

Il n’est peut-être pas superflu de signaler que le dithyrambique Burney avait dans sa jeunesse pris des leçons auprès du compositeur… En 1740, Arne signe un autre masque, Alfred, d’où est tiré le « Rule, Britannia » susmentionné ; il s’agit d’un spectacle où le parler tient une place importante, mais il remaniera plus tard la partition pour la rapprocher du genre opéra.

Alfred, air par David Daniels : https://www.youtube.com/watch?v=ht07QnwflH4

En 1759, Arne est fait docteur honoris causa de l’université d’Oxford. La même année voit la mort de Haendel, dont l’ombre cesse enfin de peser sur le monde musical britannique. Est-ce la raison pour laquelle Arne s’enhardit et décide de donner à l’Angleterre un authentique opera seria (en) anglais ? Conçu sur le modèle haendélien,
Ouverture d'Artaxerxes : https://www.youtube.com/watch?v=AXztc_HVIw0

Artaxerxes est composé sur un livret écrit par Arne lui-même, qui s’est appuyé sur le plus admiré de tous les auteurs européens : Métastase en personne (le livret publié qualifie l’opéra d’ « Altered from Metastasio by T.A. Arne »). Artaserse, qui inspirera une centaine d’opéras jusqu’au début du XIXe siècle, a été mis en musique pour la première fois en 1730, par Leonardo Vinci à Rome et par Hasse à Venise. Dans la préface du livret, Arne explique (anonymement) qu’il a été entièrement guidé par les sains principes métastasiens :

« That the Fable, or Recitative, to which fixed Musical Sounds are adapted, should be simple Dialect ; hard and dissonant Epithets (though ever so forcible in other Respects) being destructive to Music, and, when sung, for the chief Part, unintelligible. – That the Similies be confin’d to the Songs ; and that the Words, which are to express them, be as smooth and sonorous as possible less the Composer be cramp’d in his Fancy, and the Singers rendered incapable of shewing their Skill, which chiefly consists in openly displaying the Tones of their Voices, or running executive Passages ».(( L'action, ou récitatif, auquel sont adaptés des sons musicaux fixés, devrait être en langage simple ; les épithètes difficiles et dissonnantes (malgré tout leur effet, d'un autre point de vue) étant nuisibles à la musique et, lorsqu'elles sont chantées, pour la plupart, inintelligibles. Les comparaisons doivent être limitées aux airs, et les mots qui les expriment doivent être aussi lisses et sonores que possible, sans quoi l'imagination du compositeur serait contrainte, et les chanteurs seraient incapables de déployer leur talent, qui consiste principalement à montrer leurs notes et à chanter des passages virtuose))

Un air d'Artaxerxès, par Christopher Ainslie : Act II : No. 12, Air : “In infancy, our hopes and fears”
https://www.youtube.com/watch?v=ElfZGTKmXhM

Toujours dans l’esprit de ses prédécesseurs et contemporains qui utilisent les livrets de Métastase, Arne destine à des castrats les deux personnages principaux. Le rôle-titre est créé par Nicola Peretti, venu tout exprès à Londres, mais le premier rôle est celui d’Arbaces, confié à Giusto Ferdinando Tenducci (par la suite, Arbaces sera chanté par des ténors et Artaxerxes par des voix féminines). Artabanes, rôle de ténor, est destiné à John Beard, qui avait débuté dans les années 1730 et créé bon nombre de rôles dans les oratorios de Haendel avant de devenir directeur de Covent Garden. Le personnage qui semble avoir le plus marqué les esprits est l’héroïne, Mandane, pour laquelle Arne imagine des airs particulièrement virtuoses, aptes à mettre en valeur leur interprète. Faut-il préciser que le rôle de Mandane fut créé par Charlotte Brent, à qui le compositeur donna d’abord des leçons de chant, avant d’en faire sa maîtresse et la mère de son unique enfant, au grand dam de son épouse légitime. La Brent épousera par la suite le violoniste Thomas Pinto et fera carrière sous le nom de Mrs Pinto. Selon Charles Dibdin, auteur en 1800 d’une Complete History of the English Stage, 

« Mrs. Pinto, possessing an exquisite voice, and being under a master the great characteristics of whose musical abilities were natural ease and unaffected simplicity, was a most valuable singer. Her power was resistless, her neatness was truly interesting, and her variety was incessant. Though she owed a great deal to nature, she owed a great deal to Arne, without whose careful hand her singing might perhaps have been too luxuriant. » ((Mme Pinto, qui possédait une voix exquise, et qui était guidée par un maître dont les grandes caractéristiques des capacités musicales étaient une aisance naturelle et une simplicité sans affectation, était une chanteuse de grande valeur. Sa puissance était inébranlable, sa netteté était vraiment intéressante, avec une infinie variété. Si elle devait beaucoup à la nature, elle devait aussi beaucoup à Arne, sans qui son chant aurait pu être trop ornementé.))

Les deux derniers personnages (sur les six que compte tout bon opera seria) sont tout à fait secondaires ; curieusement, Arne n’a pas conservé le nom du général que Métastase appelle Megabise, et a préféré le rebaptiser Rimenes.

Artaxerxes remporte un vif succès et, on le verra plus loin, restera longtemps au répertoire. Pourtant,  le parcours de Thomas Arne dans le domaine de l’opera seria s’arrête là. En 1765, il récidive mais, curieusement, sur un livret en italien, L’olimpiade, dont la partition a été perdue. Le rôle principal était destiné au castrat Giovanni Manzuoli, récemment arrivé en Angleterre. L’œuvre ne connaît que deux représentations et disparaît de l’affiche. Même Burney est contraint d’avouer que son maître a échoué. Arne avait su composer un « opéra à l’italienne » en anglais, mais en voulant composer un opéra en italien, il s’était fixé une mission impossible :

« Many reasons may be assigned for this failure of a man of real genius, who had on so many occasions delighted the frequenters of our national theatres and public gardens : a different langage, different singers, and a different audience, and style of Music from his own, carried him out of his usual element, where he mangled the Italian poetry, energies, and accents, nearly as much as a native of Italy just arrived in London, would English, in a similar situation. » ((De nombreuses raisons peuvent être invoquées pour expliquer cet échec d'un homme de génie, qui avait en tant d'occasions ravi les spectateurs de nos théâtres nationaux : une langue différente, des chanteurs différents, un public différent et un style de musique différent du sien, l'ont fait sortir de son élément habituel, où il a gâché la poésie, l'énergie et les accents italiens, presque autant qu'un natif d'Italie fraîchement arrivé à Londres, aurait gâché l'anglais, dans une situation similaire))

En 1762, bien avant de savoir s’il poursuivra ou non dans la voie de l’opera seria, Arne choisit d’offrir au public une œuvre bien différente d’Artaxerxes. Créé à Covent Garden en décembre, Love in a Village est un ballad opera, un pasticcio en grande partie parlé, dont le livret est dû à Isaac Bickerstaffe. L’année précédente, ce dramaturge irlandais avait permis au compositeur de connaître un grand succès avec une autre pièce comique, Thomas and Sally. Sur les 42 numéros que compte Love in a Village, seuls cinq ont été réellement composés pour l’occasion, Arne ayant puisé les autres soit dans ses propres partitions antérieures (c’est le cas d’une douzaine d’entre eux), soit dans les compositions de ses confrères anglais et italiens, l’ouverture étant due à Carl Friedrich Abel. Les castrats exceptés, les têtes d’affiche sont les mêmes que pour Artaxerxes : Charlotte Brent dans le rôle de Rosetta, John Beard dans celui du fermier Hawthorne, et George Mattocks, qui était Rimenes en début d’année, est cette fois Thomas Meadows, le principal personnage masculin (Dans les années 1830, quand Madame Vestris se produit dans Artaxerxes, la contralto chante le rôle d’Arbaces, puis enchaîne avec celui de l’héroïne de la farce qu’on donne juste après). Artaxerxes et Love in a Village : même année, même théâtre, mêmes chanteurs, et peut-être mêmes spectateurs.

Et face à ces deux œuvres lyriques que Thomas Arne offrit au public en 1762, la postérité la même attitude : l’un et l’autre se maintiendront tant bien que mal au répertoire jusque dans les années 1840 (parmi ses écrits journalistiques, Charles Dickens rend compte d’une représentation donnée en 1841). Mozart, qui résida à Londres en 1764–65, entendit ou lut la partion d’Artaxerxes, et l’air de concert « Conservati fedele » imite apparemment l’un des airs de Mandane. En 1791, Joseph Haydn assiste à une représentation d’Artaxerxes et s’exclame : « I had no idea that we had such an opera in the English language ».

C’est néanmoins au tournant du siècle qu’une certaine lassitude commence à se faire sentir. En 1808, la partition manuscrite d’Artaxerxes, ainsi que tout le matériel d’orchestre, sont détruits dans l’incendie du Royal Opera House. La version imprimée en 1762 n’incluait ni les récitatifs ni le chœur final ; dès 1813, Henry Bishop en propose une nouvelle adaptation, fort peu soucieuse de respecter le style musical d’un demi-siècle plus tôt (en 2009, quand l’ouvrage sera enfin ressuscité à Covent Garden, le chef Ian Page et le musicologue Duncan Druce devront pour l’occasion recomposer les passages perdus, en s’efforçant d’imiter au mieux l’écriture d’Arne). Durant les premières décennies du XIXe siècle, les versions « complétées » ou « réorchestrées » se multiplient, l’esthétique romantique s’avérant de moins en moins sensible au style rococo.

En 1832 paraît dans le journal The Tatler, une lettre signée du dramaturge « Don Telesforo de Trueba y Cozio ». L’auteur y rappelle qu’Artaxerxes reste le cheval de bataille du monde musical anglais, que toute chanteuse débutante doit y faire ses preuves, et que l’opéra de Thomas Arne est l’aune à laquelle on continue de mesurer les nouveautés. Pourtant, l’ouverture en est faible, ne saurait être comparée à celles de « Mozart, Spohr, Rossini ou Auber », et n’est désormais plus supportable aujourd’hui que pour faire la sieste.

« But the tameness, poverty, and monotony of the orchestra in Artaxerxes is not confined to the overture. It is continued throughout the piece. The pleasing melody that by intervals awakens attention, is soon buried in the somniferous tendency of the whole composition. In short I cannot but be of opinion, that traditional fame and national prejudice tend more to the prolonged existence of Artaxerxes than the sterling quality of its merits. It is a sickly, weak decrepid, whom the affection of friends endeavours to keep alive by every remedy and soothing care which it is in their power to bestow. »(( Mais la pauvreté et la monotonie de l'orchestre dans Artaxerxes ne se limitent pas à l'ouverture. Elle se poursuit tout au long de l’oeuvre. La mélodie agréable qui, par intervalles, éveille l'attention, est bientôt noyée dans la tendance somnifère de toute la composition. En résumé, je ne peux qu'être d'avis que la renommée traditionnelle et les préjugés nationaux tendent davantage à prolonger l'existence d'Artaxerxès que la qualité irréprochable de ses mérites. C'est un malade, un faible décrépitant, que l'affection des amis s'efforce de maintenir en vie par tous les remèdes et les soins apaisants qu'il est en leur pouvoir d'accorder.))

Le coup de grâce est porté à l’époque victorienne par le musicologue George Hogarth, dans ses Memoirs of the Opera in Italy, France, Germany, and England, publiés en 1851. C’est véritablement à une démolition en règle qu’il se livre. Hogarth s’en prend d’abord au livret. Bien que le compositeur ait cherché à traduire Métastase, il en aurait perdu toute la saveur poétique : « The beauties of Metastasio have oozed out in the clumsy process of translation, and nothing remains but a bald, disjointed dialogue, which, besides, is rendered unintelligible by a sing-song Italian recitative, and flat, prosaic songs, the words of many of which are lost in the midst of a profusion of roulades and bravura passages ». ((Les beautés de Métastase se sont évaporées dans le processus maladroit de la traduction, et il ne reste qu'un dialogue chétif et décousu, qui, de plus, est rendu inintelligible par un récitatif italien chantant, et des airs plats et prosaïques, dont les paroles sont perdues au milieu d'une profusion de roulades et de passages de bravoure.))

En fait, George Hogarth s’oppose radicalement à l’idée selon laquelle le récitatif chanté serait nécessaire pour créer un authentique opéra anglais ; pour lui, seul le génie de la langue italienne se prête au dialogue en musique, qui diffère très peu de la conversation ordinaire et peut être compris par le public.

« Hence, when Arne and others have attempted to introduce this sort of musical dialogue into our opera, they have not had recourse to the natural music, (as it may be called,) or the accent and inflections of English speech, but have imitated the recitative of the Italian composers : and the consequence is, that, in listening to the dialogue of Artaxerxes, the actors all appear to be Italians, speaking broken English with the accent of their own tongue. English, moreover, not possessing the same facility of articulation as Italian, an English dialogue, if it is at all rapid, or composed of sentences of any length, cannot be delivered in recitative so as to be intelligible. The truth is, that nobody cares anything about the dialogue of Artaxerxes ; and that it was so disregarded from the beginning, and even by the composer himself, may be inferred from the fact, that two of the principal parts were performed by Italians, Tenducci and Peretti, who certainly could not have carried on a dramatic dialogue in English with anything like clearness or propriety.

These remarks are applicable to simple recitative, or that in which the ordinary dialogue of an opera is carried on. The higher species, called accompanied recitative, may be employed with effect in English, German, or French, as well as in Italian : because the inflections which denote emotion or passion are so strongly marked, that they may be converted into musical phrases. »(( C'est pourquoi, lorsque Arne et d'autres ont essayé d'introduire cette sorte de dialogue musical dans notre opéra, ils n'ont pas eu recours à la musique naturelle (comme on peut l'appeler), ni à l'accent et aux inflexions de la parole anglaise, mais ils ont imité le récitatif des compositeurs italiens : et la conséquence en est que, en écoutant le dialogue d'Artaxerxes, les acteurs semblent tous être des Italiens, parlant un anglais brisé avec l'accent de leur propre langue. L'anglais, d'ailleurs, ne possédant pas la même facilité d'articulation que l'italien, un dialogue anglais, s'il est un tant soit peu rapide, ou composé de phrases de quelque longueur, ne peut être prononcé en récitatif de façon à être intelligible. La vérité est que personne ne se soucie du dialogue d'Artaxerxès ; et qu'il a été ainsi négligé dès le début, et même par le compositeur lui-même, peut être déduit du fait que deux des principaux rôles ont été interprétés par des Italiens, Tenducci et Peretti, qui n'auraient certainement pas pu mener un dialogue dramatique en anglais qui soit clair et convienne.

Ces remarques s'appliquent au récitatif simple, c'est-à-dire celui dans lequel se déroule le dialogue ordinaire d'un opéra. L'espèce supérieure, appelée récitatif accompagné, peut être employée avec effet en anglais, en allemand ou en français, aussi bien qu'en italien, car les inflexions qui dénotent l'émotion ou la passion sont si fortement marquées qu'elles peuvent être converties en phrases musicales.))

Le récitatif accompagné trouve donc grâce aux oreilles de Hogarth, mais celui-ci précise aussitôt que seul Purcell fut capable d’en composer, et que Thomas Arne eut le grand tort de ne pas suivre ce modèle unique en anglais. Conclusion du musicologue victorien : « Those, therefore, who demand recitative as an essential condition of the legitimate English opera, appear to take an erroneous view of the matter. » ((Ceux qui, par conséquent, exigent le récitatif comme condition essentielle pour légitimer l'opéra anglais, semblent avoir une vision erronée de la question.)) L’affirmation sera lourde de conséquences, et empêchera peut-être l’opéra entièrement chanté de s’imposer en Grande-Bretagne avant l’avènement de Benjamin Britten.

Il n’est donc pas étonnant que George Hogarth manifeste bien plus d’indulgence envers Love in a Village.

Love in a Village, air par Joan Sutherland : https://www.youtube.com/watch?v=7DqxZcc43sk

« This well-known opera is a lively and agreeable little comedy, the music of which consists of airs, and a few duets, mingled with the dialogue. […] Several of Arne’s airs are among the most beautiful of his compositions, particularly “Ah, had I been by fate decreed” and “Gentle youth, ah, tell me why”; and “The Traveller benighted” is a difficult bravura in the Italian style, which Mrs. Bilington used to deliver with extraordinary brilliancy. Love in a Village, from its dramatic merit, as well as the beauty of the airs, still keeps its place on the stage. »(( Cet opéra bien connu est une petite comédie vivante et agréable, dont la musique consiste en airs et en quelques duos, mêlés au dialogue. […] Plusieurs des airs d'Arne sont parmi les plus beaux de ses compositions, en particulier "Ah, had I been by fate decreed" et "Gentle youth, ah, tell me why" ; et "The Traveller benighted" est un air de bravoure difficile dans le style italien, que Mme Bilington avait l'habitude d'interpréter avec un éclat extraordinaire. Love in a Village, par son mérite dramatique, ainsi que par la beauté de ses airs,mérite toujours sa place sur nos scènes.))

Pour Hogarth, ce qui mérite d’être conservé dans Artaxerxes, ce ne sont pas les passages virtuoses, mais les airs simples et sans prétentions où, suivant l’élan de son génie et dédaignant les modèles italiens, Arne adhère à ce « style naturel anglais qui n’appartient qu’à lui ».

Aujourd’hui, la renaissance de l’opera seria nous permet de mieux apprécier Artaxerxes, à condition de disposer des gosiers capables d’en maîtriser les acrobaties vocales, et Love in a Village attire surtout les troupes d’amateurs, malgré les redoutables difficultés de certains airs. Arne le catholique, adepte du style galant, mérite d’être écouté ; hors des frontières britanniques, on pourrait au moins donner en concert son oratorio Judith, composé en 1761 sur un livret d’Isaac Bickerstaffe.

Judith, air par Ana Maria Labin :
https://www.youtube.com/watch?v=15OfhkuMXgM

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Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.
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