Concert symphonique

Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840–1893)
Roméo et Juliette, ouverture fantaisie

Sergueï Rachmaninov (1873–1943)
Rhapsodie sur un thème de Paganini en la mineur, op. 43

Sergueï Prokofiev (1891–1953)
Roméo et Juliette, suite pour orchestre op. 64 (extraits)

Behzod Abduraimov, piano

 

Verbier Festival Junior Orchestra

Direction musicale : James Gaffigan

Salle des Combins, Festival de Verbier, 21 juillet 2021 à 15h

Avec son Verbier Festival Junior Orchestra, le festival de Verbier permet chaque année à de jeunes musiciens de se former et de jouer ensemble le temps de quelques concerts. Ce jour-là, c’est sous la baguette de leur directeur musical James Gaffigan qu’ils se sont produits dans quelques grandes pages du répertoire russe : l’ouverture-fantaisie Roméo et Juliette de Tchaïkovski, la suite Roméo et Juliette de Prokofiev et la Rhapsodie sur un thème de Paganini de Rachmaninov, en compagnie du pianiste Behzod Abduraimov. Un orchestre tout jeune donc, qui a forcément ses faiblesses et ses limites, mais dont le chef arrive à tirer de belles choses et qui devrait s’améliorer de concert en concert jusqu’à la fin du festival.

Si le festival de Verbier est connu pour rassembler, le temps de quelques semaines, parmi les plus grands noms de la scène musicale internationale, il fait également la part belle aux jeunes et à la formation des futurs grands musiciens. C’est le cas entre autres avec le Verbier Festival Junior Orchestra, placé sous la direction de son directeur musical James Gaffigan pour un programme 100% russe d’une grande pertinence tant stylistique que thématique.

L’orchestre s’attaque en effet à deux œuvres symphoniques majeures inspirées du même thème : l’ouverture-fantaisie Roméo et Juliette de Tchaïkovski, et des extraits du ballet Roméo et Juliette de Prokofiev. Bien que composées avec quelques décennies d’écart, les deux pièces sont d’une même expressivité, d’une même économie et clarté dans le traitement des thèmes qui en font d’excellentes portes d’entrée dans le grand répertoire russe pour un jeune orchestre. Les partitions ont également le grand avantage de mettre autant à l’honneur de grands tutti qui demandent aux musiciens de jouer avec un même souffle, et de nombreux solos qui vont mettre en valeur les différents pupitres et certains musiciens.

Créée en 1869 puis révisée en 1870 et 1880 – c’est d’ailleurs cette troisième version qui est toujours préférée – l’ouverture-fantaisie Roméo et Juliette de Tchaïkovski est une partition d’une très belle concision, structurée autour de trois thèmes seulement mais qui illustrent remarquablement leur objet : un premier thème qui évoque Frère Laurent – une sorte de choral introduit par la clarinette et le basson –, un deuxième thème consacré à la rivalité entre les Capulet et les Montaigu – à grands renforts de questions-réponses entre les cordes et les bois et de coups de cymbale –, et enfin le thème de Roméo et Juliette, d’un lyrisme débordant. Le compositeur construit donc un arc narratif clair, qui permet des contrastes aisés en termes d’atmosphères et de couleurs et où les grandes lignes romantiques succèdent à des passages plus syncopés et rythmiquement déchaînés.

Si le Verbier Festival Junior Orchestra laisse tout d’abord craindre un son un peu sec, et si on se demande s’il parviendra à déployer toutes ses forces pour assumer le lyrisme de la partition, on est rapidement assez convaincus par les cordes et plus particulièrement par les violoncelles et les contrebasses qui prennent en charge avec autorité les phrasés et emmènent l’orchestre avec eux. Les violons font preuve d’une belle homogénéité et de belles intentions, et les altos trouvent l’occasion de se faire entendre dans le thème de Roméo. Ce sont surtout les vents et les cuivres qui déçoivent ici, trop en retrait, un peu passifs par rapport aux cordes alors qu’ils ont tant à apporter aux couleurs de la partition. Mais James Gaffigan a l’intelligence de ne pas tenir trop fermement son orchestre, de le laisser respirer et s’exprimer – avec ses défauts et ses limites certes. Sans faire peser de pression sur les musiciens, il les accompagne et les mène vers le meilleur de ce qu’ils peuvent donner en termes d’expression. On a connu cet orchestre avec un niveau plus élevé lors des éditions précédentes, mais l’ensemble reste cohérent et James Gaffigan semble prendre plaisir à mettre en valeur ces jeunes musiciens.

La suite extraite de Roméo et Juliette de Prokofiev a confirmé ce que l’interprétation de Tchaïkovski avait laissé présager : des cordes assez solides et un son chaleureux dans les tutti, mais des vents qui manquent toujours d’impact et d’assurance. Ce sont surtout les cuivres qui sont mis à mal ici, notamment dans la « Danse des chevaliers » prise à un tempo trop vif pour eux : ils sont derrière l’orchestre et pas toujours justes ni précis. La partition est d’une telle richesse expressive qu’on regrette que James Gaffigan ne soit pas allé plus loin dans la narration, qu’il n’ait pas davantage mis en valeur l’action. Mais il a su donner de réelles impulsions rythmiques à sa direction qui ont permis de faire entendre les audaces de la partition, et le chef possède une manière de diriger extrêmement efficace pour insuffler une énergie et un esprit particuliers aux différents mouvements de la suite.

Loin du sujet de Roméo et Juliette, mais peut-être pas si éloignée musicalement des œuvres précédentes qu’on pourrait le penser, la Rhapsodie sur un thème de Paganini de Rachmaninov permet de pousser l’orchestre un cran plus loin dans ses retranchements. Si Brahms et Liszt s’étaient déjà prêtés à l’exercice de l’adaptation du Caprice n°24 de Paganini pour piano seul, Rachmaninov exige de l’orchestre un dialogue serré avec le piano tout en lui confiant à de nombreuses reprises le thème, sur pas moins de 24 variations. Pour l’occasion, c’est au pianiste Behzod Abduraimov qu’il a été fait appel pour interpréter ce cheval de bataille du répertoire, et le musicien s’empare de la partition sans démonstration, avec un naturel assumé et continu d’un bout à l’autre de l’œuvre. Il y a dans son jeu un legato, une homogénéité qui traversent toutes les difficultés et semblent lisser la virtuosité de l’écriture : le signe d’un artiste confirmé, à la technique remarquable, même si les aspérités et les reliefs ont pu passer inaperçus. En revanche, cette apparente facilité, ce naturel étaient extrêmement pertinents avec la direction de James Gaffigan qui offrait une lecture presque jazz de l’œuvre, avec des percussions particulièrement soulignées et une intensité rythmique qui connaissait peu de répit. Les variations centrales en ont un peu pâti, avec un lyrisme moins évident et assumé que dans d’autres interprétations – la variation n°12 par exemple laissait assez peu entendre le rythme de menuet et le cantabile de l’orchestre. Ce dernier manque sans doute encore de plasticité pour totalement se fondre dans un dialogue avec le pianiste, et il est parfois un peu en retard – on pense notamment à la variation n°19 ; mais les musiciens s’accrochent et parviennent à répondre aux intentions que James Gaffigan leur insuffle.

C’est donc un concert au programme extrêmement cohérent qui nous a été présenté et qui a permis de faire entendre de jeunes musiciens d’orchestre, avec des faiblesses certes ; mais ils sont aussi à Verbier pour apprendre, et les prochains concerts du festival leur laisseront sans doute l’occasion d’être de plus en plus assurés et libérés dans leur jeu, avec un peu plus de temps pour se connaître et jouer ensemble.

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Claire-Marie Caussin
Après des études de lettres et histoire de l’art, Claire-Marie Caussin intègre l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales où elle étudie la musicologie et se spécialise dans les rapports entre forme musicale et philosophie des passions dans l’opéra au XVIIIème siècle. Elle rédige un mémoire intitulé Les Noces de Figaro et Don Giovanni : approches dramaturgiques de la violence où elle propose une lecture mêlant musicologie, philosophie, sociologie et dramaturgie de ces œuvres majeures du répertoire. Tout en poursuivant un cursus de chant lyrique dans un conservatoire parisien, Claire-Marie Caussin fait ses premières armes en tant que critique musical sur le site Forum Opéra dont elle sera rédactrice en chef adjointe de novembre 2019 à avril 2020, avant de rejoindre le site Wanderer.
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