Exposition « Camille Saint-Saëns, un esprit libre ».
Bibliothèque-musée de l’Opéra de Paris, du 25 juin au 10 octobre

Commissaire : Marie-Gabrielle Soret, conservatrice au département de la Musique, BnF

 

Exposition ouverte du 25 juin au 10 octobre 2021, Bibliothèque-Musée de L'Opéra de Paris

Si la pandémie a mis à mal quelques projets alléchants de la saison 2020–21 – enregistrement de Déjanire, recréation scénique de Frédégonde à Dortmund et des Barbares à Leipzig – la réouverture des musées et lieux culturels permet néanmoins à l’Opéra de Paris de rendre hommage à Camille Saint-Saëns, en décalant une exposition initialement prévue de mars à juin. Et comme le genre lyrique ne représente que treize titres sur les sept cents que compte le catalogue du compositeur, on ne s’étonnera pas que bien d’autres aspects de sa carrière soient également au rendez-vous.

« Esprit facétieux, potache même, doué pour la parodie, friand de bons mots, de calembours, de charades et d’épigrammes », qui danse le rôle de Galatée sur la scène du conservatoire de Moscou, dans un ballet improvisé où Tchaïkovski est Pygmalion ? Celui qui fut choisi par Proust comme « l’un des modèles du baron de Charlus », non pour ses mœurs – quoique…  – mais en tant qu’élève du pianiste Stamaty qui lui interdit de rencontrer Chopin ? Le premier à avoir composé pour quatuor de saxophones, et à avoir intégré le xylophone à l’orchestre ? Le pianiste virtuose actif en concert de 1845 à 1921, compositeur de l’âge de 3 ans et demi jusqu’à trois jours avant sa mort, affectueusement surnommé « Don Camillo » par Pauline Viardot, statufié et muséifié de son vivant à Dieppe ? Saint-Saëns, c’est tout cela, et par-delà l’image du vieillard à barbe blanche, emblème de la Troisième République, le seul musicien à avoir eu l’honneur d’être choisi en 1915 par Sacha Guitry pour son film Ceux de chez nous, l’exposition présentée jusqu’au par la Bibliothèque Nationale et la Bibliothèque-Musée de l’Opéra de Paris entend donner à voir les différentes facettes du compositeur mort il y a un siècle.

 

Dernier concert public de Camille Saint-Saëns, sous la direction de Pierre Monteux, le 6 novembre 1913 à Paris, salle Gaveau Photographie de l’agence Harlingue BnF, Bibliothèque-musée de l’Opéra, Fonds Saint-Saëns © Albert Harlingue/Roger-Viollet

Si cette manifestation a pour cadre les salles d’exposition du Palais Garnier, il convient en effet de souligner qu’il n’y est pas seulement question de la carrière lyrique de Saint-Saëns, encore que celle-ci, malgré l’oubli dont elle peine à sortir, fut loin d’être négligeable : pas moins de treize titres, dont sept ont eu l’honneur d’être donnés à l’Opéra de Paris (Samson et Dalila y arriva sur le tard mais est le seul à avoir survécu), quatre ayant été commandés par l’institution. A Henry VIII (1883), Ascanio (1890), Frédégonde (1895, opéra laissé inachevé à sa mort par Guiraud, complété par Saint-Saëns) et Les Barbares (1901) à l’Opéra répondent La Princesse jaune (1872), Proserpine (1887) et Phryné (1893) : voilà qui pourrait donner l’impression d’une beau parcours de compositeur officiel. Sauf qu’aucun de ces titres ne connut un franc succès, sauf Phryné.

Phryné. Esquisse de décor pour l’acte II : « Intérieur grec » dessin par Philippe Chaperon, 1893 BnF, Bibliothèque-musée de l’Opéra © BnF

Affiches, partitions, dessins de costumes, superbes maquettes de décor, extraits sonores, tout est réuni pour donner à voir et à entendre le compositeur d’opéra. On remarquera notamment la photographie du premier couple de chanteurs à avoir incarné en France les protagonistes de Samson et Dalila : c’était à Rouen en 1890, et l’on n’aurait pas imaginé que la tignasse du héros biblique pouvait autant lui donner l’allure de Hagrid dans les films tirés de Harry Potter. Le catalogue reprend bon nombre des pièces exposées, mais pas toutes, et inclut la reproduction d’œuvres absentes de l’exposition. On regrette que l’ouvrage en question, pour lequel ont été réunies une dizaine de fines plumes, ne dise pas un mot du festival de Béziers, alors que ce « Bayreuth français » est présent dans l’exposition : c’est là que furent créés la « tragédie lyrique » Déjanire (1898) et le drame mêlé de musique Parysatis (1902).

Représentation de Parysatis aux arènes de Béziers, arrivée du char de Darius, les 9 ou 11 août 1903 Photographie, BnF, Bibliothèque-musée de l’Opéra © BnF

Le catalogue a le mérite de poser la question de la malchance de Saint-Saëns sur les scènes, depuis l’échec de La Princesse jaune. Le choix des librettistes peut avoir joué un rôle, dans la mesure où le compositeur avait souvent du mal à s’entendre avec ses collaborateurs. Albert Carré, directeur de l’Opéra-Comique, qui ne portait pas Saint-Saëns dans son cœur, estime que « ce grand orgueilleux » n’aurait « pas accepté de partager avec un librettiste la gloire qu’il entendait tirer de sa seule musique », ce qui lui fit choisir des auteurs inexpérimentés, et donc malléables. Il mit pourtant en musique des livrets de Louis Gallet, qui travaillait aussi pour Massenet, et de Victorien Sardou (qui déclara que le travail avec le compositeur avait été un « combat »).

Grâce à des portraits, des manuscrits autographes, des objets personnels (souvenirs exotiques rapportés de ses nombreux voyages), des publications – il est notamment l’auteur d’une Note sur les décors de théâtre dans l’Antiquité romaine –, Saint-Saëns est également évoqué depuis son enfance – orphelin de père, pianiste prodige – jusqu’à sa vieillesse, en passant par sa carrière d’organiste de La Madeleine, improvisateur renommé à la tribune, ou de concertiste effectuant des tournées internationales. « Si j’ai fait ce métier, c’est qu’il m’a permis de gagner ma vie autrement qu’en m’abrutissant à donner des leçons toute la journée ». Pédagogue, Saint-Saëns ne le fut que de 1861 à 1865, à l’Ecole Niedermeyer où il eut notamment pour élèves Fauré et Messager. L’un des principaux fondateurs de la Société de nationale de musique en 1871, il fut aussi ce qu’on n’appelait évidemment pas encore un « baroqueux », défendant les partitions de Rameau contre les basses ajoutées par Büsser ou D’Indy, ajouts apocryphes qui rendaient les œuvres méconnaissables, et contre le « règne tyrannique du legato perpétuel » dans le jeu des quelques pianistes qui s’intéressaient aux œuvres pour clavecin.

Saint-Saëns en Oriental. Caricature, par Georges Clairin, vers la fin des années 1890 Dessin aquarellé, Musée de Dieppe © Ville de Dieppe – Bertrand Legros

Longtemps jugé trop moderne, trop wagnérien, révolutionnaire auteur de musique « algébrique », Saint-Saëns préféra toujours le classicisme de bon aloi à une modernité qui l’effrayait. Après avoir été en France un pionnier du poème symphonique, défenseur de la symphonie et du quatuor, genres peu appréciés dans un pays où l’opéra était tout, il en viendrait à vouer aux gémonies Debussy, dont la musique pour piano lui semblait bonne « à mettre à côté des tableaux cubistes » ! « Profondément mal à l’aise avec toute idée de débordement, de dépassement, Saint-Saëns accepte mal l’œuvre qui se dérobe ou subvertit les règles. L’œuvre qui s’échappe, se répand, exsude, lui répugne », estime Sarah Barbedette dans un intéressant article intitulé « Du beau sous toutes ses formes ». Il y est rappelé que le compositeur fut l’ami d’artistes comme Gustave Doré et Hébert, de peintres orientalistes comme Regnault et Clairin, mais aussi d’Alma-Tadema, grand recréateur de l’Antiquité (comme devait l’être l’auteur d’Hélène ou de Phryné), et qu’il fut le collègue de Gérôme à l’Institut. Autrement dit, ses goûts esthétiques étaient plutôt conservateurs : « Je suis pour l’art rationnel. Je n’aime pas l’art convulsif et déraisonnable ». Peut-être, finalement, vaut-il mieux apprécier l’homme pour sa musique que pour son opinion sur celle des autres. Et pour cela, profitons des six mois de centenaire qui nous restent encore, et du report espéré des projets qui n’auront été que repoussés par le confinement.

__________________________

Catalogue : Saint-Saëns. Un esprit libre,
sous la direction de Marie-Gabrielle Soret.
Textes de Fabrien Guilloux, Catherine Massip, Denis Tchorek, Michael Stegemann, Elizabeth Giuliani, Danis Herlin, Nicolas Duftele, Stéphane Leteuré, Sarah Barbedette, Mathias Auclair et Benoît Cailmail.  100 illustrations, 192 pages, 22x27.
BnF Editions. ISBN : 978–2‑7177–2828‑6
39€


Avatar photo
Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.
Crédits photo : © Albert Harlingue/Roger-Viollet (Dernier concert)
© BnF (Phryné, décor acte II)
© BnF (Parysatis à Béziers)
© Ville de Dieppe – Bertrand Legros (Saint Saëns en oriental)
Article précédentUne Maréchale de notre temps
Article suivantJugendstil funèbre

Autres articles

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire !
S'il vous plaît entrez votre nom ici