Nu
Idée originale et mise en scène : David Gauchard
Avec Emmanuelle Hiron et Alexandre Le Nours
Collaboration artistique : Léonore Chaix
Docteur en sociologie : Arnaud Alessandrin
Création son / Régie générale : Denis Malard
Création lumière : Jérémie Cusenier
Scénographie : Fabien Teigné
Réalisation décor : Ateliers de l’Opéra de Limoges
Visuel : Virginie Pola Garnier et David Moreau
Photo : Pierre Bellec et Dan Ramaën

Production : L’Unijambiste / Nathalie Perrault
Diffusion : La Magnanerie
Attaché de presse : Muriel Richard

Coproduction : Théâtre de St Quentin en Yvelines ; Scène nationale – Espace Malraux, Scène nationale de Chambéry et de la Savoie ; OARA, Office Artistique de la Région Nouvelle-Aquitaine, Bordeaux ; Culture Commune, Scène nationale du Bassin minier du Pas-de-Calais ; Théâtre de Cornouaille, Centre de création musicale, Scène nationale de Quimper ; Le Canal, Théâtre du Pays de Redon ; Les Scènes du Jura, Scène nationale / Soutiens Théâtre L’Aire Libre, St Jacques de la Lande ; Scène nationale du Sud-Aquitain, Bayonne – Ecole des Beaux-Arts, Quimper.

 

Création les 10 et 11 juin 2021 au Théâtre de St Quentin en Yvelines

LA Manufacture, Avignon le OFF, mardi 20 juillet, 12h05

La chaleur revenue sur Avignon, on se rend joyeusement à la Manufacture pour y découvrir notamment la dernière création de David Gauchard. Wanderer connaît son travail depuis longtemps avec la compagnie L’Unijambiste et en apprécie sincèrement la qualité. Après la mise en scène du texte de Marine Bachelot Nguyen Le Fils présenté en 2017 à la Manufacture également, le voici de retour pour cette édition avec un dernier projet, Nu, tout à fait singulier et passionnant : il s’est intéressé au métier de nu, toujours source d’idées reçues et de fantasmes multiples. Avec Léonore Chaix, ils sont allés à la rencontre de plusieurs modèles professionnels afin de s’entretenir avec eux, de comprendre leur vie souvent immobile, ce qu’ils ressentent, ce qu’ils en pensent, ce qu’ils en retirent. C’est aux deux comédiens Emmanuelle Hiron et Alexandre Le Nours qu’ils ont confié le soin d’incarner à tour de rôles ces personnalités attachantes pour que les corps célébrés et esquissés surgissent dans leurs récits, dévoilent leur finesse autant que leur fragilité, se superposent finalement sur le corps même des comédiens au plateau. Et nous avons été complètement séduits. 

 

Les deux comédiens, Emmanuelle Hiron et Alexandre Le Nours © Pierre Bellec et Dan Ramaen

Tandis que les enceintes dans la salle diffusent « Nue », le morceau de Clara Luciani, on pénètre dans la Salle Intramuros. Sur scène, une rangée de néons verticaux côté jardin, deux tabourets – l’un au centre du plateau, l’autre côté cour. Un sac de voyage noir, un thermos avec une tasse, principalement. Surtout un panneau avec un écran sur pied, assez haut, sur lequel on lit le mot « Nu » en blanc sur fond noir. Le parti pris de sobriété évident semble déjà annoncer la place accordée à la parole des deux comédiens qui ne sont pas encore entrés dans la salle. On remarque enfin une paire d’écouteurs côte à côte sur le tabouret au centre. Dans la lumière. Ce qu’il faut remarquer sans doute, et qui va diffuser des sons inaccessibles pour le public.

Emmanuelle Hiron à l'écoute

Emmanuelle Hiron entre. Sur l’écran apparaissent quelques précisions « Claire. 35 ans. 5’14 ». Elle s’installe, place les écouteurs sur ses oreilles. Et commence à répondre aux questions qui paraissent lui être posées. « On vous fixe jamais longtemps » précise-t-elle. Un peu plus loin, réagissant sans doute à une question qui fait naître chez elle un rire gêné, elle se livre sans détour. « Je vais pas me mettre à quatre pattes, on va voir mes orifices (…) Faut savoir ce qu’on veut. Surtout ce qu’on veut pas. ». Avec spontanéité, elle partage ses confidences au fil de ce qu’on lui transmet et qu’on n’entend pas. « Le modèle vivant, ça apprend à aimer son corps comme il est ». Elle se plie dans son étole, comme pour se réconforter. Puis une sonnerie retentit et c’est le comédien Alexandre Le Nours qui entre et prend sa place. Il est Maxime, a quarante-trois ans et dispose de cinq minutes et trente secondes. Il est comédien et il précise dans une mise en abyme espiègle qu’il est « le centre ». Les confidences s’enchaînent, les mots sont bruts. Pour autant, on ne perçoit pas d’indélicatesse. C’est la vérité de ces femmes, de ces hommes que les comédiens cherchent à retrouver alternativement. « La mise à nu, c’est le regard de l’autre qui te déshabille ». Ces témoignages apportent les nuances qui font souvent défaut et loin de toute exhibition, on découvre la pudeur du langage, sa drôlerie. Parfaitement restituée, la fragilité des êtres affleure. « Il y a une vulnérabilité chez les modèles. » Et la franchise du propos désarme et touche.

Les entretiens se succèdent, par des ellipses qui contribuent à théâtraliser leur succession. Chaque comédien semble le premier spectateur/auditeur de l’autre, dans des jeux de regards qui se croisent souvent. Une observation de la nudité de l’autre qui transparaît dans le rôle qu’il tient le temps de quelques minutes. Sous leurs tenues complémentaires – t‑shirt rouge ou vert et pantalon foncé – c’est bien leur corps qui bouge, qui fait « apparaître » les modèles sous nos yeux : dans le vertige de l’incarnation, ils sont les modèles.

Au détour d'un témoignage

« Comme tu le sais, ce que tu vas me dire va être enregistré sur ce téléphone et ton témoignage servira à l’écriture du spectacle… » Les mots de David Gauchard précisent distinctement la nature du projet. Car, dans sa direction d’acteur, le fondateur de L’Unijambiste n’entend demander pas d’imiter mais souhaite davantage restituer, faire entendre pour mieux faire voir. Comédiens et modèles sont confondus dans un même mouvement réflexif. « C’est quoi être modèle vivant ? » Cette question posée aux témoins volontaires, retransmises à Emmanuelle Hiron et Alexandre Le Nours dans leurs écouteurs, semble être décuplée. Dans une forme de double énonciation, elle s’adresse également au comédien dans son art, l’interrogeant aussi implicitement. En définitive, « c’est quoi être comédien ? » Et la réponse est là aussi dans le corps.

Les intermèdes cinématographiques choisis vont totalement dans ce sens, les comédiens dans leur rôle, placés au même endroit que les authentiques modèles. D’abord, les voix de Michel (Piccoli) et Brigitte (Bardot) dans Le Mépris. Plus loin, Jean-Pierre (Marielle) aux inflexions inoubliables dans Les Galettes de Pont-Aven s’intercalent avec les autres prises de paroles, dans une forme d’évidence qui ne déconcerte pas. Au contraire, tout fait sens.

On suit ces déambulations qui se succèdent pour parler des corps, entrecoupées de tintements qui indiquent la fin de chaque fragment. Les anecdotes s’enchaînent, crues, cocasses ou touchantes. « Arcachon, c’est pas la baie de San Francisco », entend-on. De même, Luc se regarde faisant à peine semblant, sous les rires des spectateurs : « J’étais pas hyper musclé. » Après cette concession, il ajoute plein de lucidité sur sa pratique « Tu te vois au travers des autres (…) c’est quelqu’un d’autre qui a vu ça, comme une photo »… On découvre aussi des personnalités plus tourmentées comme Sylvie qui s’effondre en voyant les dessins réalisés. « Chacun peut être ce qu’il est et le dire sur le papier ». Ayant « du mal à trouver sa place » selon ses dires, survivante de brutalités au sein de sa famille, elle voit son corps « enregistré dans la violence ». On est parcouru d’un frisson par ce dévoilement bouleversant. Au fil des témoignages, les comédiens nous invitent à les accompagner dans l’intimité des êtres, se jouant librement des identités sexuelles parfois. Sans jamais banaliser ce qui est dit pour autant. Sans voyeurisme malsain. L’espace de la Salle Intramuros crée effectivement un climat tout à fait propice la confidence. Le public tout près des comédiens est immédiatement plongé dans la bigarrure de ses existences découvertes. Camille s’enthousiasme d’être comparée aux modèles de Gustave Courbet. Mireille nous envoie un retentissant « J’ai soixante-quinze ans et je t’emmerde » – au cas où quelqu’un serait tenté de lui adresser une remarque désobligeante. Entendant la chanson « Petit Pinocchio » ou l’air célèbre de « La Petite Sirène » de Walt Disney, on rit de bon cœur. Sans malveillance. Ce n’est ni ringard ni déplacé. C’est la vie qui se montre sur scène. Celle de Julien, peut-être la plus poignante, entre les dérives de l’adolescence, les abus, les passes. « Recommencer, recommencer, recommencer ». Pour aller contre toutes les misères. Aux Beaux-Arts, il « se reconnecte » enfin à son corps, travaillant sur les marqueurs du genre, « les rapports de dominant/dominé dans la société française ». Comme une revanche qui ne se dit pas franchement.

La mise en scène nous entraîne parfois dans de vertigineux tourbillons : les modèles dénoncent leur situation précaire – la même que celle de nombreux artistes de la scène aujourd’hui. Dans un clin d’œil amusé, Alexandre Le Nours interroge même Emmanuelle Hiron pour savoir si elle accepterait de se dénuder si David (Gauchard) le lui demandait dans une mise en scène. Et elle reconnaît qu’elle accepterait. Dans un ultime jeu de miroirs, un authentique modèle rejoint le plateau et, dans une lumière irréelle, prend la pose tandis que les acteurs se lancent dans une esquisse (sans matériel à dessin). Et nous regardons. Vraiment David Gauchard ainsi que ses deux comédiens époustouflants nous offrent ici un point de vue exceptionnel sur l’art et sur la vie, faisant de nous plus que jamais des spectateurs.

Affiche du spectacle (Visuel L'Unijambiste)
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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.

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