Napoléon
Exposition à la Grande Halle de La Villette
Du 28 mai au 19 décembre 2021, tous les jours de 10h à 19h.

Commissariat : Bernard Chevallier, Arthur Chevallier, Frédéric Lacaille, Grégory Spourdos, Hélène Cavalié, Jean-Baptiste Clais et Christophe Beyeler

Scénographie : Groupement concepteur Scénografia – VNT architectes – Hilighting Design – Lundi 8 – Graphica

Catalogue coordonné par Arthur et Bernard Chevallier.
Introduction de Jean Tulard.
Textes signés David Chanteranne, Lionel Arsac, Patrice Gueniffey, Frédéric Lacaille, Céline Meunier, Cédric Lewandowski, Chantal Prévot, Pierre Branda, Thierry Lentz, Anne de Chefdebien, Hélène Cavalié, Isabelle Tamisier-Vétois, Aurélien Lignereux, Christophe Beyeler, Rémi Cariel, Jean Vittet, Charles-Eloi Vial, Jacques-Oliver Boudon, Delphine Lannaud, Hélène Delalex, Elodie Lefort, Grégory Spourdos, François Houdecek, Vincent Haegele et Alexandre Maral.
272 pages, 200 illustrations, 25 euros, éditions de la RMN – Grand Palais.

Exposition visitée le mercredi 26 mai 2021

Napoléon Ier est mort le 5 mai 1821. A trois semaines près, l’inauguration de la grande exposition montée par la Réunion des musées nationaux coïncide avec ce bicentenaire, commémoré sans parti-pris. Ni hagiographique ni vindicative, à la fois patrimoniale et technologique, tantôt intime et tantôt spectaculaire, cette manifestation devrait satisfaire le public le plus large,

En 1969, même si les « événements de mai » venaient déjà d’ébranler la société, célébrer le bicentenaire de la naissance de Napoléon devait relativement aller de soi. En 2021, commémorer le bicentenaire de sa mort est devenu une affaire bien plus délicate. Bien entendu, la France ne pouvait faire l’impasse, et les librairies croulent depuis plusieurs mois sous les publications qui exploitent le filon napoléonien. Voici donc, à peine les lieux culturels rouverts, l’exposition attendue que présente la Réunion des musées nationaux à la Grande Halle de La Villette.

Chanter les louanges de Napoléon, qui a rétabli en 1802 l’esclavage aboli par la Révolution, même s’il interdit en 1815 la traite pendant les Cent-Jours ? Vanter les mérites de Napoléon, dont le Code Civil réduit les femmes au statut d’épouses et de mères ? On comprend que cette troisième décennie du XXIe siècle n’est peut-être pas la période la plus propice pour se pencher sur une personnalité dont les guerres firent des milliers de victimes. Mais comme l’annoncent les commissaires de l’exposition de La Villette, le mythe n’en est pas moins là, le but étant « d’ouvrir des débats, pour mieux comprendre l’homme mais aussi cette époque ».

Les buts sont donc multiples, sinon contradictoires. Comme le dit l’équipe chargée de la scénographie, « La présentation des objets, la médiation et les installations audiovisuelles sont pensées pour le public attendu », formule délicieusement absconse qui semble signifier qu’on a cherché à s’adresser à une population très diverse, des plus jeunes (avec parcours-jeu et espace ludo-pédagogique « Mon p’tit bivouac » pour les familles avec enfants jusqu’à 6 ans) aux plus âgés, des plus profanes aux plus instruits. Le tout sur une surface généreuse – 1800 m² – avec une hauteur sous plafond non moins impressionnante et propice à une certaine théâtralisation.

On craint d’abord le pire avec l’inévitable vidéo initiale, où le visiteur est accueilli par une chanson du groupe pop-rock français Phoenix, « Napoleon says », qui répète « I would be your Bonaparte ». Le film introductif présente « Le monde avant Napoléon » en partant pratiquement du Moyen Age pour arriver à la Révolution, puis évoque brièvement le parcours du jeune Corse né en 1769. Après quoi l’exposition proprement dite peut commencer.

Les sept commissaires – dont les deux directeurs du catalogue, Bernard et Arthur Chevallier – ont élaboré un cheminement chronologique, qui découpe la trajectoire de Napoléon en neuf parties, de la jeunesse jusqu’à la mort de l’Empereur, « du personnage historique à l’homme intime, sa vie sous toutes ses facettes ». Les facettes sont en effet diverses, depuis les menus objets personnels – vêtements comme la coquette écharpe tricolore bordée de motifs cachemire arborée pendant la campagne d’Egypte, le fameux bicorne et la non moins fameuse redingote grise, les brassière, bonnet, soldat de plomb et jeu de loto du roi de Rome… – jusqu’aux pièces les plus encombrantes, comme la berline utilisée lors du mariage de Napoléon avec Marie-Louise, le caisson à munitions de campagne, ou le véhicule qui servit de corbillard à Sainte-Hélène. Les documents d’archives, authentiques ou en fac-similé, voisinent avec les peintures évoquant les principaux événements de manière réaliste (on pense aux nombreuses scènes de bataille) ou allégorique, comme Bonaparte rendant la religion à la France.

Jacques-Louis David, Bonaparte, Premier consul, franchissant le Grand-Saint-Bernard le 20 mai 1800 (1802). Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon © RMN – Grand Palais (château de Versailles) / Franck Raux

Si le célébrissime Bonaparte, Premier consul, franchissant le Grand-Saint-Bernard a été prêté par Versailles, le Sacre également peint par David n’est là qu’à travers une projection vidéo grandeur réelle, ce qui permet cependant une animation pédagogique identifiant chacun des personnages représentés.

De manière générale, on appréciera le soin apporté à ces schémas qui parsèment l’exposition, parfois imprimés sur les murs, comme cette généalogie de Napoléon qui se prolonge jusqu’à un certain « Jean-Christophe Bonaparte, prince Napoléon (Né en 1986), chef de la maison impériale » –, le plus souvent animés sur écran, ce qui permet notamment de retracer les mouvements des corps d’armée lors des principales batailles, les amateurs de stratégie militaire seront comblés.

On remarque aussi les interventions filmées d’historiens spécialistes de l’homme et de la période, comme Thierry Lentz ou Jacques-Olivier Boudon. Bienvenue aussi, ces films pédagogiques fournis par le Musée de l’Armée, ou ces emprunts à des longs-métrages de fiction, comme Le Colonel Chabert d’Yves Angelo (1994) : pas de Gérard Depardieu en vue dans le rôle-titre, mais de belles images de l’armée napoléonienne dans un paysage neigeux. On reste plus dubitatif devant les quelques minutes où Lou Doillon déambule dans le Grand Palais pour lire un bref extrait de lettres d’amour de Napoléon à Joséphine.
Le parcours offre aussi une certaine diversité dans le type même de présentation, où les salles plus sobrement muséales alternent avec des period rooms consacrées aux arts décoratifs : égyptomanie qui fait fureur dans l’ameublement ou les arts de la table, évocation d’une salle du trône, résumé du style Empire, première chambre de Napoléon à Fontainebleau ou tente sous laquelle il dormait en campagne.

Poussin (tapissier), Bivouac de l’Empereur Napoléon Ier, modèle de 1808 (première moitié du XIXe siècle) coutil rayé bleu, indienne. Paris, Mobilier national © Mobilier national/Isabelle Bideau

Les aspects plus sombres de l’épopée napoléonienne ne sont pas gommés, et cette cuirasse d’officier nettement découpée par le boulet de canon qui l’a transpercée à la bataille de Wagram en dit plus long que bien des discours. Il y aurait une exposition entière à consacrer à l’image posthume de Napoléon, mais le parcours se conclut de façon frappante sans basculer dans la grandiloquence avec la statue due au sculpteur suisse-italien Vincenzo Vela, Les derniers moments de Napoléon à Sainte-Hélène, réalisée 1866 et donc en plein Second Empire.

Vincenzo Vela, Les derniers moments de Napoléon Ier à Sainte-Hélène (1866). Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon © château de Versailles, Dist. RMN – Grand Palais / Christophe Fouin

La boutique de l’exposition se révèle assez édifiante en matière de napoléomanie actuelle, et l’on serait curieux de savoir quels produits seront plébiscités par les visiteurs. On l’a dit, l’offre en matière de livres est actuellement pléthorique, mais bien d’autres objets sont proposés au chaland. Là aussi, il y en a pour toutes les bourses, de quelques euros à plusieurs centaines d’euros, et pour tous les goûts : si l’image de la main dans le gilet se décline en cahiers ou en plateaux à thé, l’uniforme de grognard est relooké en sweat à capuche, sans oublier les casquettes et tee-shirts. Et si, non content de vous habiller en Napoléon, vous souhaitez également manger Napoléon et vous parfumer Napoléon, c’est également possible, à condition d’être prêt à y mettre le prix.

Catalogue
272 pages, 200 illustrations, 25 euros, éditions de la RMN – Grand Palais.

 

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Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.
Crédits photo : © RMN – Grand Palais (château de Versailles) / Franck Raux
© Mobilier national / Isabelle Bideau
© Château de Versailles, Dist. RMN – Grand Palais / Christophe Fouin

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