Wolfgang Amadeus Mozart (1756–1791)

La Flûte enchantée
Opéra en deux actes
Livret d’Emanuel Schikaneder, créé le 30 septembre  1791 à Vienne.

Opéra chanté en version française.
Traduction en français des textes chantés adaptée de la version de 1897 édition Choudens ,
Traduction des textes parlés adaptée de celle de Françoise Ferlan sous l’Avant Scène Opéra (2000)

Mise en scène et lumières : Cécile Roussat et Julien Lubek
Costumes : Sylvie Skinazi
Scénographie : Elodie Monet

Mathias Vidal (Tamino)
Florie Valiquette (Pamina)
Marc Scoffoni (Papageno)
Lisa Mostin (La Reine de la nuit)
Tomislav Lavoie (Sarastro)
Olivier Trommenschlager (Monostatos)
Pauline Feracci (Papagena)
Suzanne Jérôme (Première Dame)
Marie Gautrot (Deuxième Dame)
Mélodie Ruvio (Troisième Dame)
Matthieu Lecroart (L’Orateur)
Matthieu Chapuis (Premier prêtre, Homme en armure)
Jean-Christophe Lanièce (Deuxième prêtre, Homme en armure)
Emma de La Selle (Premier enfant)
Tanina Laoues (Deuxième enfant)
Garance Laporte Duriez (Troisième enfant)
Désiré Lubek (Tamino enfant)

Acrobates : Antoine Hélou, Alex Sander Dos Santos, Sayaka Kasuya, Mathieu Hibon, Iris Garabedian, Elvis Pisicchio

Le Concert Spirituel
Direction musicale : Hervé Niquet

Production Opéra Royal de Wallonie / Liège.
Coréalisation Opéra Royal / Château de Versailles Spectacles, Opéra Grand Avignon, Le Concert Spirituel.

2 CD + DVD + Blu-Ray – Château de Versailles Spectacles

TT DVD : 2h29 TT CD : 142'11""

Enregistré et capté à l’Opéra Royal du Château de Versailles en janvier 2020

C’est un spectacle assez inédit que propose l’Opéra Royal de Versailles avec cette Flûte enchantée en version française, servie par une mise en scène de Cécile Roussat et Julien Lubek. Un beau spectacle, inventif, fantaisiste, et particulièrement adapté au jeune public. On regrette seulement que la part philosophique et métaphysique de l’œuvre ait été laissée de côté. Les interprètes sont tous tout à fait convaincants scéniquement, et si la direction d’Hervé Niquet manque parfois de lyrisme et de moments de respiration, le chef est au plus près du rythme de l’action. Une production où l’on ne s’ennuie pas, mais qui laisse sous certains aspects un peu sur sa faim.

Ce n’est pas Die Zauberflöte mais bien La Flûte enchantée que le label Château de Versailles spectacles nous propose de découvrir dans un coffret réunissant deux CD et deux DVD : une Flûte traduite en français, s’appuyant sur une adaptation de 1897 légèrement modifiée par le chef Hervé Niquet afin qu’elle reste parfaitement audible et compréhensible pour les spectateurs, et sur la traduction de Françoise Ferlan. Certains pourraient crier au sacrilège, maintenant que la norme est à la langue originale et aux surtitres ; mais s’il est une œuvre composée à destination du grand public et qui souhaitait se faire comprendre de tous, c’est bien celle de Mozart et Schikaneder. De même que les suédois ont eu leur Trollflöjten grâce à Ingmar Bergman – qui dépassa d’ailleurs largement les frontières –, les auditeurs français auront donc leur Flûte enchantée, que la mise en scène de Cécile Roussat et Julien Lubek participe sans conteste à rendre accessible au plus grand nombre et, on le verra, aux plus jeunes.

Papageno (Marc Scoffoni) et les trois dames (Suzanne Jérôme, Marie Gautrot et Mélodie Ruvio) © Lorraine Wauters

Cette mise en scène fut pourtant créée dans la langue originale de l’œuvre, en 2010, à l’Opéra de Liège, et c’est seulement lors de sa reprise durant la saison 2019–2020 avec Hervé Niquet au pupitre que le français s’est imposé, dans une adaptation à peine précieuse et ampoulée qui, sans faire sentir le poids des années, garde tout de même le charme de l’ancien. L’image sur laquelle s’ouvre le spectacle est d’ailleurs révélatrice, un personnage dépoussiérant un vieux gramophone tandis que l’ouverture se fait entendre. Que les plus inquiets se rassurent, cela n’annonce pas une relecture radicale de l’œuvre ; cela sent plutôt le grenier d’où l’on exhume des trésors, toujours en parfait état de fonctionnement mais que l’on avait laissés un peu trop longtemps au repos.

Papageno (Marc Scoffoni), Tamino (Mathias Vidal) et les trois dames (Suzanne Jérôme, Marie Gautrot et Mélodie Ruvio) © Studio Delestrade

On le verra par la suite, cette mise en scène suscite un certain nombre de réserves et a pu décevoir sur certains aspects. Mais pour ce qui est de la pure scénographie, de l’inventivité, de l’humour, du sens des détails, c’est un travail remarquable qui a été réalisé et qu’on veut d’abord saluer, et que les réserves qui suivront ne viennent pas remettre en cause.

Le décor au lever de rideau est assez simple : une immense chambre avec au centre un grand lit, une table de chevet et un réveil, une armoire, un paravent art nouveau, et une table avec le gramophone. Tamino est là en pyjama tandis que des acrobates, sortes d’amis imaginaires, s’activent à côté de lui. Tamino lit une histoire puis s’endort, et c’est là que l’action commence, les personnages de l’œuvre n’étant que les figures d’un rêve. La mise en scène de Cécile Roussat et Julien Lubek regorge de belles idées pour illustrer l’imagination de Tamino et le caractère enfantin de cette lecture – Papageno émergeant du matelas, le portrait de la Reine de la nuit s’animant, les trois enfants dans leur armoire, les clochettes remplacées par un réveil, Pamina qui n’est pas un être humain mais une poupée, Sarastro avec ses faux airs de Napoléon, les immenses livres qui servent de décor à l’acte II et où les personnages peuvent apparaître ou disparaître… La violence et le sérieux sont sans cesse déjoués, Sarastro, les prêtres et l’Orateur ayant eux-mêmes leur part de comique, les épreuves traversées par les personnages ne mettant jamais leur vie en péril, et la fin – sans tout dévoiler – réconciliant les protagonistes. Mais l’atout majeur de la production reste sans conteste les danseurs et acrobates qui apportent une légèreté et une poésie formidables à la mise en scène.

Pamina (Florie Valiquette), Monostatos (Olivier Trommenschlager) et Papageno (Marc Scoffoni)Pamina (Florie Valiquette), ©Lorraine Wauters

Tous les ingrédients sont donc réunis pour un très beau spectacle, joyeux, inventif, plein de détails. Voilà sans le moindre doute une production à montrer à des enfants pour une première approche de La Flûte enchantée (et la version française est là encore un argument en sa faveur), parce qu’elle en garde tous les ressorts dramatiques et la fantaisie sans jamais être hermétique ou trop sombre.

Mais ce qui fait la force de ce spectacle révèle aussi ses limites, et importantes : où est l’humanité de Pamina si elle n’est qu’une poupée ? Quel parcours initiatique si, finalement, il n’y a ni bien, ni mal ? Comment apprendre la peur si rien n’est grave ni menaçant ? Quelle vérité vient-on trouver dans ce temple avec ses livres poussiéreux et ses drôles de prêtres ? Le divertissement a pris le pas sur le propos métaphysique de l’œuvre et on ne peut que regretter que la mise en scène n’ait pas choisi de conserver les différents niveaux de lecture, qu’elle n’ait pas pris en compte sa dimension solennelle, profonde, mystérieuse. On ressort un peu frustrée de cette production parce qu’on a à la fois eu sous les yeux un très beau spectacle et eu un plaisir évident face à l’imagination déployée, et en même temps La Flûte enchantée est tellement plus que cela. Il nous semble que le travail de mise en scène devrait tenter de faire cohabiter l’enchantement et le propos philosophique, et que c’est au spectateur ensuite de choisir le niveau de lecture qui lui plaît en fonction peut-être de son âge, de ses intérêts, de ses goûts, de sa sensibilité.
Les qualités scéniques sont donc évidentes, et le parti-pris moins convaincant. Mais l’ensemble de la distribution remplit dramatiquement très bien son rôle et se montre à son aise dans les dialogues parlés.

Tamino (Mathias Vidal) © Studio Delestrade

On retiendra tout particulièrement le Tamino de Mathias Vidal qui, même si la voix manque un peu de rayonnement, incarne avec beaucoup de justesse et une belle présence scénique un héros juvénile et touchant face au Sarastro de Tomislav Lavoie, impeccable d’autorité scénique et vocale. Le Papageno de Marc Scoffoni est également dans son élément, sympathique et fantaisiste, avec de plus une diction très claire aussi bien dans les passages parlés que chantés. Mêmes remarques pour le Monostatos d’Olivier Trommenschlager et les prêtres de Matthieu Chapuis et Jean-Christophe Lanièce, ces derniers tirant davantage leur épingle du jeu dans cette production que dans d’autres mises en scène grâce à leur potentiel comique, tout comme l’Orateur de Matthieu Lecroart.

Pamina (Florie Valiquette) et les trois enfants (Emma de La Selle, Tania Laoues et Garance Laporte Duriez) ; © Lorraine Wauters

Côté féminin, Florie Valiquette est tout à fait à sa place dans le rôle de Pamina, lui prêtant de plus un très beau timbre ; mais le choix de faire de Pamina une poupée, et les tempos rapides choisis par Hervé Niquet ne permettent pas à la soprano de déployer la sensibilité, la musicalité, le lyrisme qui sont les siens : c’est dommage avec une interprète de cette qualité. Lisa Mostin a quant à elle la lourde tâche d’incarner la Reine de la nuit, et on est surpris d’emblée par son type de voix, bien plus lourd que les interprètes habituelles du rôle. Cela peut s’expliquer par le diapason choisi, qui évite les fameux contre fa ; mais sans démériter, Lisa Mostin ne donne pas au rôle sa dimension aérienne, irréelle, sans parler de l’aspect spectaculaire de cette partition et la légèreté attendue dans les vocalises.

Si les Trois Dames incarnées par Suzanne Jérôme, Marie Gautrot et Mélodie Ruvio manquent sans doute d’un peu de souplesse dans les trios, leurs personnages sont en revanche assez irrésistibles, tout comme les trois enfants interprétés ici par des femmes adultes – Emma de La Selle, Tanina Laoues et Garance Laporte Duriez – et la Papagena de Pauline Feracci. Enfin, bien que le chœur ne soit jamais en scène, on peut en apprécier la clarté et que le son ne soit jamais plombé par la solennité du texte.

Dans la fosse, les choix d’interprétation d’Hervé Niquet à la tête du Concert Spirituel sont, un peu comme la mise en scène, à double tranchant : on aime la direction acérée du chef, le soin apporté à faire entendre le contrepoint et les interventions des cuivres et des violoncelles, le fait que l’orchestre accompagne très bien les effets de la mise en scène et ne s’appesantisse pas. Mais on manque vraiment de moments de respiration, de lyrisme, de suspension. Le duo Pamina/Papageno est mené à toute vitesse, le « Ah, les instants si pleins de charme » (« Ach, ich fühl’s ») n’a pas le temps d’être touchant : à trop soutenir le rythme de l’action, les moments réflexifs sont un peu négligés.

Alors comment résumer cette production ? Beaucoup d’atouts, de fantaisie et d’esprit, une belle adaptation française, mais pas tous les ingrédients de la Zauberflöte de Mozart et Schikaneder. Une version à conseiller pour une première approche de l’œuvre et un spectacle très familial ; et si plusieurs générations ont été bercées par la Trollflöjten de Bergman, peut-être les nouvelles générations trouveront-elles davantage leur compte dans cette Flûte enchantée où tout est bien qui finit bien, puisque ce n’était qu’un rêve.

Avatar photo
Claire-Marie Caussin
Après des études de lettres et histoire de l’art, Claire-Marie Caussin intègre l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales où elle étudie la musicologie et se spécialise dans les rapports entre forme musicale et philosophie des passions dans l’opéra au XVIIIème siècle. Elle rédige un mémoire intitulé Les Noces de Figaro et Don Giovanni : approches dramaturgiques de la violence où elle propose une lecture mêlant musicologie, philosophie, sociologie et dramaturgie de ces œuvres majeures du répertoire. Tout en poursuivant un cursus de chant lyrique dans un conservatoire parisien, Claire-Marie Caussin fait ses premières armes en tant que critique musical sur le site Forum Opéra dont elle sera rédactrice en chef adjointe de novembre 2019 à avril 2020, avant de rejoindre le site Wanderer.
Article précédentLe "Giallo" comme Grand-Opéra
Article suivantBlue Lives matter

Autres articles

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire !
S'il vous plaît entrez votre nom ici