Ludwig van Beethoven (1770–1827)

Symphonie n°7 en la majeur, op. 92

MusicAeterna

Direction musicale : Teodor Currentzis

1 CD Sony

Enregistré au Wiener Konzerthaus de Vienne du 31 juillet au 8 août 2018

Le chef Teodor Currentzis poursuit ses enregistrements des symphonies de Beethoven et, après la n°5 parue en août dernier, propose à présent (et toujours chez Sony) la n°7. Comme toujours, la lecture proposée par le chef ne plaira pas à tout le monde… Elle n’en est pas moins cohérente et on la trouve même convaincante, notamment par l’élan qu’elle parvient à déployer tout au long de l’œuvre. On y retrouve la place prépondérante occupée par le rythme et les différentes modalités selon lesquelles Beethoven le décline, même si cela empiète parfois ici sur le travail des couleurs et de la matière orchestrales.

Certains auditeurs se souviendront peut-être d’une Symphonie n°5 de Beethoven gravée pour Sony par Teodor Currentzis et l’ensemble MusicAeterna (parue à l’été 2020), et dont le mot d’ordre était la catharsis (« Mon unique objectif dans cet enregistrement est d’apporter à la dramaturgie musicale de la Cinquième symphonie ce qu’on nomme catharsis » écrivait le chef). Avec la Symphonie n°7 tout juste parue – toujours chez Sony –, on quitte la tragédie pour l’architecture antique, point de départ assumé de Teodor Currentzis pour aborder l’œuvre et dont il s’explique dans le livret accompagnant l’album. Le chef y affirme notamment que la symphonie est « bâtie suivant les lignes fluides d’un temple grec – plus spécifiquement de style dorique ». L’image surprend quand on pense à l’extraordinaire vitalité de la partition, à sa plasticité, à ses rythmes de danse ; l’architecture – et qui plus est, le plus dépouillé des ordres architecturaux grecs ! – n’est certainement pas le premier art auquel on aurait pensé. Mais soit : on ne demande qu’à être convaincue par l’objectif affiché de Teodor Currentzis : « Je veux une architecture qui dévoile la spiritualité, et non une approche spirituelle qui tente de trouver l’architecture ».

Le premier mouvement nous permet d’entendre dès l’introduction des couleurs et des choix d’interprétation où l’on reconnaît bien le chef : un son globalement lumineux mais des sforzando très marqués, une force qui surgit à la moindre occasion. Mais c’est bien avec le Vivace que Beethoven commence réellement la symphonie, et qu’il introduit (avec le rythme obsessionnel croche pointée – double – croche) un élan qui se poursuivra tout au long de l’œuvre. On apprécie particulièrement la première reprise où le son gagne en moelleux et où certaines appoggiatures sont légèrement allongées pour donner plus de relief et d’accroche. C’est sans doute là que l’orchestre sonne le mieux, avant un développement qui n’échappe pas à certaines lourdeurs.

L’Allegretto est sans doute le mouvement qui suscite le plus d’attentes de la part de l’auditeur, non seulement parce qu’il est immensément connu, mais surtout parce qu’il pose encore des questions de tempo et de caractère. On l’a souvent entendu lent, extrêmement solennel (voire empesé), et il est parfois qualifié de marche funèbre ; mais Beethoven a bien indiqué « Allegretto » sur sa partition, et joué à ce tempo, comme le fait ici Currentzis, le mouvement peut déployer l’énergie et l’élan qu’a semblé souhaiter le compositeur. Ce deuxième mouvement n’est pas une grande pause tragique où le temps s’étirerait démesurément : il reste une marche, il avance, il garde cette vie rythmique caractéristique de l’œuvre. Teodor Currentzis l’introduit par un pianissimo qui passe malheureusement mal au disque – tellement pianissimo qu’on ne l’entend pas – mais qui dessine tout de même une belle arche expressive. Les cordes chantent remarquablement bien dans ce mouvement, et les quelques passages en la Majeur déploient un beau lyrisme. Certaines pages sont tout de même très massives, avec des timbales exagérément présentes ; on retrouve heureusement une clarté impeccable dans le fugato, qui redonne à l’ensemble un peu de la lumière que le chef avait réussi à insuffler à sa lecture.

Le scherzo est quant à lui bien équilibré : on a le caractère dansant, vif, irrésistiblement alerte de la partition et les musiciens peuvent s’en donner à cœur joie sur les contrastes sans que l’interprétation en devienne pour autant indigeste. Mais le finale reste en demi-teinte : on aime que Teodor Currentzis assume le caractère obsessionnel de certains motifs, on aime sa manière de souligner les interventions des cuivres, mais on ne comprend pas pourquoi il suraccentue à ce point les deuxième temps des mesures. La phrase s’en trouve alourdie, et on perd la belle limpidité que l’orchestre avait réussi à déployer. Quant au souffle, les dernières pages n’en manquent heureusement pas et l’œuvre retrouve tout son éclat et son rayonnement.

La lecture est donc convaincante dans son ensemble même si, comme toujours avec Teodor Currentzis, elle ne plaira pas à tout le monde : cet enregistrement n’a pas, en effet, le lyrisme des versions plus traditionnelles. Peut-être, si l’on veut comparer cette lecture à d’autres plus anciennes, le chef oublie-t-il un peu, dans sa recherche d’architecture et de structure, de jouer avec la profondeur de l’orchestre, de travailler la matière orchestrale. Si l’on voulait poursuivre la métaphore artistique, on dirait qu’on est ici davantage dans le dessin que dans la couleur. Notre réserve concernant cette interprétation, à titre tout à fait personnel, tiendrait dans ce choix de ne pas tirer entièrement parti de la palette sonore de l’orchestre. Ce dernier prouve pourtant, une fois encore, qu’il est tout à fait capable de se plier aux demandes de son chef et tout à fait malléable à ses indications. En revanche, et sans aller sur le terrain de « l’apothéose de la danse » wagnérienne, on aime cette conscience très affirmée du rythme, de la corporalité, de l’élan qui sous-tend cette lecture et qui est tellement inhérente à l’œuvre.

Avons-nous donc atteint le spirituel ? L’architecture a‑t‑elle « dévoilé la spiritualité » comme Teodor Currentzis se l’était fixé pour objectif ? A l’écoute de cet enregistrement, on serait plutôt tentée d’y voir une réaffirmation du corps, du rythme dans ce qu’il a de plus incarné et de plus vital (quitte à ce que ce soit parfois un peu lourd et massif) ; mais on y perçoit surtout, et c’est peut-être là le plus important, une preuve manifeste du génie rythmique de Beethoven.

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Claire-Marie Caussin
Après des études de lettres et histoire de l’art, Claire-Marie Caussin intègre l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales où elle étudie la musicologie et se spécialise dans les rapports entre forme musicale et philosophie des passions dans l’opéra au XVIIIème siècle. Elle rédige un mémoire intitulé Les Noces de Figaro et Don Giovanni : approches dramaturgiques de la violence où elle propose une lecture mêlant musicologie, philosophie, sociologie et dramaturgie de ces œuvres majeures du répertoire. Tout en poursuivant un cursus de chant lyrique dans un conservatoire parisien, Claire-Marie Caussin fait ses premières armes en tant que critique musical sur le site Forum Opéra dont elle sera rédactrice en chef adjointe de novembre 2019 à avril 2020, avant de rejoindre le site Wanderer.
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