Joseph Haydn (1732–1809)
Symphonie n°84 en mi bémol majeur, Hob.I:84
Stabat Mater, Hob.XXbis
Symphonie n°86 en ré majeur, Hob.I:86

Florie Valiquette, soprano
Adèle Charvet, alto
Reinoud van Mechelen, tenor
Andreas Wolf, basse

Ensemble Aedes
Le Concert de la Loge
Direction musicale : Julien Chauvin

2 CD Aparte CD1 52' CD2 53'

Enregistré en octobre et novembre 2019 à l’Auditorium du Louvre et à l’Arsenal de Metz

En 2016, Julien Chauvin et Le Concert de la Loge initiaient une série d’enregistrements autour des Symphonies parisiennes de Haydn. La série s’achève ici avec les symphonies n°84 et 86 auxquelles l’orchestre joint le Stabat Mater du compositeur, servi par un très beau quatuor vocal – Florie Valiquette, Adèle Charvet, Reinoud van Mechelen et Andreas Wolf. L’œuvre est sans conteste la pièce forte de cet album, qui cherche à faire revivre une part de la vie musicale parisienne de la fin du XVIIIème siècle.

 

Engagé depuis 2016 dans l’enregistrement des six Symphonies parisiennes de Haydn, le Concert de la Loge arrive aujourd’hui au terme de ce parcours discographique – toujours chez Aparte – avec les symphonies n°84 et n°86.

Ces pièces s’imposaient en effet pour l’ensemble placé sous la direction de Julien Chauvin dont l’ambition est de faire revivre le « Concert de la Loge Olympique » créé par le comte d’Ogny en 1783 – orchestre qui fut l’un des plus prisés à Paris et dans toute l’Europe, et surtout qui passa commande à Haydn de ces Symphonies parisiennes jouées pour la première fois au Palais des Tuileries où l’orchestre se produisait.

Mais plutôt que d’enregistrer les six opus d’une traite et de les réunir en un seul coffret, Julien Chauvin et le « nouveau » Concert de la Loge ont choisi de les répartir sur cinq disques et de les mettre à chaque fois en regard avec d’autres pièces de la même époque. Le premier volume proposait ainsi la Symphonie n°85 aux côtés d’œuvres de Rigel, Johann Christian Bach et Sarti – en compagnie de la soprano Sandrine Piau. Le deuxième volume, enregistré avec Justin Taylor, comportait quant à lui la n°83 ainsi que la Symphonie n°3 de Guénin et le Concerto pour pianoforte en sol majeur de Mozart. Le troisième, entièrement symphonique, joignait la Symphonie n°82 de Haydn à des pièces de Devienne et Davaux, et enfin le quatrième volume laissait la part belle à l’opéra grâce à la présence de Sophie Karthäuser dans des airs de Sacchini, Lemoyne, Gluck, Vogel et Grétry en écho avec la Symphonie n°87.

Des programmes solides, construits, ambitieux. Mais le programme du cinquième volume, entièrement consacré à Haydn, est sans doute le plus dense de tous puisqu’il réunit les opus 84 et 86 et le Stabat Mater.

Le disque s’ouvre ainsi par la Symphonie n°84 en mi bémol majeur (achevée en 1786), globalement bien menée et contrastée – ce qui n’est pas évident avec un premier et un dernier mouvements monothématiques –, le jeu sur instruments anciens apportant un relief dans les phrasés, une élégance dans le dessin mélodique tout à fait bienvenus. Le deuxième mouvement reste sans doute, aussi bien du point de vue de la partition que de l’interprétation, le plus intéressant avec ses variations : la première en mode mineur, la deuxième où les violons viennent gracieusement orner la mélodie, et la troisième où la présence des cors vient enrichir la matière orchestrale avant une sorte de cadence où les vents se déploient au-dessus de cordes pizzicato. L’orchestre y est précis, soigné, comme dans le bref troisième mouvement. La Symphonie n°86 en ré majeur (1786) ne s’ouvre pas forcément sous les meilleurs auspices : autant le Concert de la Loge ne manquait pas de vivacité dans la n°84, autant l’ensemble offre ici un début bien pesant. L’allegro spiritoso est heureusement plus enlevé ; peut-être un peu sec par moments dans l’exposition, mais les musiciens déploient dans le développement un son plus riche et qui gagne en contrastes et en impact, qualités qui se perpétuent tout au long de la réexposition. Le deuxième mouvement est une partition pleine d’esprit et de nuances, d’une forme d’humour aussi : c’est un peu ce qui nous manque dans l’interprétation, mais l’orchestre se rattrape dans le troisième mouvement et notamment dans un trio extrêmement bien phrasé et élégant. Mais c’est surtout dans l’Allegro final que les musiciens déploient leurs forces – énergique, brillant, nuancé.

Placé au cœur de l’enregistrement, le Stabat Mater reste tout de même la pièce la plus frappante du disque et suscite bien peu de réserves grâce à un formidable quatuor vocal : quatre belles voix (en termes de timbre), et quatre musiciens qui font preuve de qualités aussi bien expressives que stylistiques. Mais revenons d’abord sur l’histoire de cette œuvre : Haydn la compose en 1767 dans le cadre de ses fonctions de Kapellmeister du prince Esterhazy, puis la dirige à Vienne l’année suivante. Pendant ce temps à Paris, le Stabat Mater de Pergolèse fait office de chef d’œuvre, de modèle insurpassable que le Concert Spirituel joue chaque année pour le plus grand bonheur du public parisien. Mais le directeur du Concert Spirituel, Joseph Legros, cherche en 1781 une autre pièce qui pourrait rivaliser avec celle de Pergolèse : il organise ainsi une sorte de concours dont le Stabat Mater de Haydn sort gagnant, et les deux œuvres restent des années durant au répertoire, notamment durant la semaine sainte.

Julien Chauvin s’approche ici au plus près de l’œuvre de Haydn telle qu’elle était jouée à l’époque puisqu’il s’appuie sur sa première édition, réalisée à Paris (ce qui entraîne quelques différences, notamment de texte, avec les versions dont on a l’habitude), et qu’il restitue une prononciation du latin à la française tel qu’on devait le chanter alors. Ce qu’on apprécie le plus avec le Concert de la Loge est la capacité des musiciens à s’accorder aux couleurs des voix, à se fondre avec elles : dans le « Quis non posset », dans le « Pro peccatis suae gentis », mais aussi dans le « Fac me vere » où la sinuosité de la ligne, le caractère torturé de l’écriture n’empêchent pas une impression de lumière. On retiendra également la qualité des phrasés et des accents du « Eia Mater, fons amoris », particulièrement expressifs. Avec l’Ensemble Aedes, le chœur est en formation assez réduite (quatre par voix) : mais ce que l’on perd en impact sonore et en densité, on le gagne en clarté – ce qui n’est pas de trop dans la fugue finale.

Pour en venir aux solistes, on soulignera l’expressivité et la souplesse de la voix de la soprano Florie Valiquette, qui traverse sans difficulté les pages les plus virtuoses de l’œuvre – à l’image du « Paradisi gloria ». De même, le ténor Reinoud van Mechelen possède une voix parfaitement adaptée à ce répertoire et en maîtrise les divers ornements et vocalises sans perdre la continuité de la ligne. Adèle Charvet prête quant à elle son timbre rond et velouté à la partie d’alto, et porte une grande attention à la diction qu’elle cisèle avec soin. Mais le baryton Andreas Wolf n’est pas en reste par rapport à ses collègues : il apporte la solennité attendue dans ses interventions sans jamais surjouer ou grossir artificiellement sa voix, et en déployant une énergie qui semble contaminer l’orchestre.

On se dit que c’est un luxe d’avoir pu réunir cette distribution, dans un enregistrement venant clore une aventure discographique de plusieurs années ; une aventure construite autour des Symphonies parisiennes peut-être, mais qui a aussi ouvert avec réussite des portes vers d’autres répertoires.

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Claire-Marie Caussin
Après des études de lettres et histoire de l’art, Claire-Marie Caussin intègre l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales où elle étudie la musicologie et se spécialise dans les rapports entre forme musicale et philosophie des passions dans l’opéra au XVIIIème siècle. Elle rédige un mémoire intitulé Les Noces de Figaro et Don Giovanni : approches dramaturgiques de la violence où elle propose une lecture mêlant musicologie, philosophie, sociologie et dramaturgie de ces œuvres majeures du répertoire. Tout en poursuivant un cursus de chant lyrique dans un conservatoire parisien, Claire-Marie Caussin fait ses premières armes en tant que critique musical sur le site Forum Opéra dont elle sera rédactrice en chef adjointe de novembre 2019 à avril 2020, avant de rejoindre le site Wanderer.

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