Charles Lecocq (1832–1918)
La Fille de Madame Angot (1872)
Opéra-comique en 3 actes sur un livret de Clairville, Paul Siraudin et Victor Koning.
Créé au Théâtre des Fantaisies-Parisiennes de Bruxelles le 4 décembre 1872.

Anne-Catherine Gillet (Clairette Angot)
Véronique Gens (Mademoiselle Lange)
Mathias Vidal (Ange Pitou)
Artavazd Sargsyan (Pomponnet)
Matthieu Lécroart (Larivaudière)
Ingrid Perruche (Amarante/Babette/Javotte)
Antoine Philippot (Louchard)
Flannan Obé (Trenitz)
David Witczak (Cadet/Un Incroyable/Un officier)

Chœur du Concert Spirituel
Orchestre de Chambre de Paris

Direction musicale : Sébastien Rouland

 

Enregistrement pour la collection « Opéra français » – Label Bru Zane

Séance d’enregistrement du 19 février 2021, à La Seine Musicale

Jamais à court d’œuvres à faire découvrir ou redécouvrir, le Palazzetto Bru Zane s’attaque à l’un des plus grands succès du répertoire français, bien qu’un peu tombé dans l’oubli ces dernières années : La Fille de Madame Angot de Charles Lecocq. Enregistrée du 15 au 20 février à La Seine Musicale, il nous a été permis d’assister à une journée d’enregistrement et d’obtenir un avant-goût d’un album dont la sortie est prévue en 2022. Avec Anne-Catherine Gillet et Véronique Gens dans les rôles de Clairette et Mademoiselle Lange, cette Fille de Madame Angot sera sans aucun doute un apport bienvenu dans la discographie, et la direction de Sébastien Rouland à la tête de l’Orchestre de Chambre de Paris devrait donner bien des couleurs à cette œuvre.

 

Sébastien Rouland à la tête de l'Orchestre de Chambre de Paris

Privé de concerts et privé de public peut-être, mais jamais à cours de musiques à faire découvrir, le Palazzetto Bru Zane met remarquablement à profit ces mois loin de la scène en empruntant le chemin des studios, lui qui occupe depuis plusieurs années déjà une place de choix dans la discographie lyrique aussi bien pour la mélodie française que pour l’opéra, comme le prouve cette Fille de Madame Angot de Charles Lecocq enregistrée du 15 au 20 février à la Seine Musicale, et dont la journée du 19 février s’est déroulée en présence de quelques chanceux.

Sans être parfaitement inconnue du public, l’œuvre est pourtant loin de connaître aujourd’hui la renommée qui fut la sienne – de sa création en 1872 jusqu’à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, où elle occupait entre autres le répertoire de l’Opéra Comique ; succès belge (elle fut créée à Bruxelles) et français, mais aussi international puisque La Fille de Madame Angot fut traduite dans de nombreuses langues où sa popularité ne se démentit pas. Avec ses chansons à couplets, ses mélodies entêtantes et son décor historique, l’œuvre avait en effet tout pour être un succès populaire et rester à l’affiche durant de nombreuses saisons ; et alors que sur scène se côtoient la figure typique de Clairette, jeune fille des Halles, et les noms bien réels de Barras, Mademoiselle Lange, Trénitz ou Ange Pitou, le compositeur ne cède pas nécessairement à la facilité mais propose quelques belles pages à l’orchestre, qui ne manquent pas de couleurs ni d’une certaine efficacité dramatique lorsque le livret l’exige.

Certains auront peut-être dans l’oreille la Clairette de Mady Mesplé, gravée chez EMI sous la direction de Jean Doussard en 1973 ; d’autres lui préfèrent peut-être les Clairette et Mademoiselle Lange à peine gouailleuses de Colette Riedinger et Suzanne Lafaye (aux côtés de l’Ange Pitou de Gabriel Bacquier). Une discographie pas vraiment récente donc, dont le style pourrait même sembler tout à fait suranné à de jeunes auditeurs : et si cela a évidemment son charme dans ce répertoire, on se réjouit tout de même qu’un témoignage contemporain vienne s’ajouter à la courte liste des enregistrements de La Fille de Madame Angot, et renouvelle un peu notre lecture de cette partition.

Pour se lancer dans cette aventure, le Palazzetto Bru Zane compte sur une habituée qui, après avoir incarné au disque nombre d’héroïnes tragiques – Catarina de La Reine de Chypre, Marguerite de Faust, Proserpine dans l’opéra homonyme, ou encore la Béatrice de Dante – s’est laissé entraîner (toujours par le PBZ) dans un répertoire léger et comique qui en a surpris plus d’un, mais où elle est finalement en train de s’imposer. Il y eut Maître Peronilla d’Offenbach il y a tout juste un an, puis O mon bel inconnu il y a seulement quelques jours : c’est à présent en Mademoiselle Lange qu’on la retrouve, avec l’élégance dont elle ne se dépare jamais. Vocalement le rôle est absolument dans ses cordes, et si l’on pourrait trouver, dans les quelques extraits entendus lors de l’enregistrement, qu’elle manque un peu de verve comique et de brio – dans le duo de la dispute par exemple –, sa Mademoiselle Lange très femme du monde parvient à convaincre et on attend surtout d’entendre sa prestation dans son intégralité.

Anne-Catherine Gillet (Clairette Angot)

Clairette trouve en Anne-Catherine Gillet une interprète toute désignée, dont le timbre clair sait prendre des accents juvéniles mais sans jamais perdre le piquant et l’énergie du personnage. Le contraste avec la voix de Véronique Gens permet également de bien caractériser et différencier les deux héroïnes – de quoi donner de beaux moments de duo. Mathias Vidal, de ce qu’il a pu faire entendre, sera sans aucun doute un Ange Pitou très expressif et dont on appréciera la clarté du chant et de la diction, tandis que les petits rôles d’un Cadet, d’un Incroyable et d’un Officier bénéficieront malgré leur brièveté du très beau timbre de David Witczak.

Sébastien Rouland, Véronique Gens (Mademoiselle Lange), David Witczak (Cadet/Un Incroyable/Un officier)

La fin de l’acte II enregistrée ce jour-là a également permis de faire entendre un Orchestre de Chambre de Paris très élégant dans la scène de l’entrée des conspirateurs, le chef Sébastien Rouland ne cédant pas à l’appel de la farce mais proposant une lecture raffinée de cette page pourtant comique ; le contraste n’en est que plus saisissant, décuplé par la diction précise et ciselée du chœur – malgré le port de masques. Le chœur d’hommes sonne particulièrement bien, mais les femmes donnent également à la partition, dans la scène de l’arrivée des soldats, un relief théâtral qui sera très précieux au disque. Le sentiment d’urgence, accompagné de grands crescendos à l’orchestre, porte l’action à son paroxysme – puisqu’il s’agit sans doute de la scène la plus tendue dramatiquement de l’œuvre – et l’on sent que Sébastien Rouland insuffle aux musiciens une énergie constante pour soutenir les chanteurs. Il s’en donne à cœur joie dans la valse qui suit, un peu pompeuse il faut bien le dire, mais où les vents se révèlent solides et la cohésion de l’orchestre impeccable.

Flannan Obé (Trenitz)

Mais surtout, cette scène donne à entendre le formidable Trénitz de Flannan Obé, truculent, incisif aussi bien lorsqu’il parle que lorsqu’il chante et qui est sans conteste l’un des principaux arguments comiques du disque à venir.

Complétée par Artavazd Sargsyan en Pomponnet, Matthieu Lécroart en Larivaudière, Antoine Philippot en Louchard et Ingrid Perruche en Amarante, Babette et Javotte, la distribution ne manque pas d’interprètes rompus à l’opérette et au répertoire français. Mais il faudra encore un peu de patience pour entendre le résultat final – prévu pour 2022.

Sébastien Rouland et L'Orchestre de Chambre de Paris au travail
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Claire-Marie Caussin
Après des études de lettres et histoire de l’art, Claire-Marie Caussin intègre l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales où elle étudie la musicologie et se spécialise dans les rapports entre forme musicale et philosophie des passions dans l’opéra au XVIIIème siècle. Elle rédige un mémoire intitulé Les Noces de Figaro et Don Giovanni : approches dramaturgiques de la violence où elle propose une lecture mêlant musicologie, philosophie, sociologie et dramaturgie de ces œuvres majeures du répertoire. Tout en poursuivant un cursus de chant lyrique dans un conservatoire parisien, Claire-Marie Caussin fait ses premières armes en tant que critique musical sur le site Forum Opéra dont elle sera rédactrice en chef adjointe de novembre 2019 à avril 2020, avant de rejoindre le site Wanderer.

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