La Troupe de l'Opéra de Paris : Georges Noré (1910–2001)
Airs de Weber, Verdi, Gounod, Lalo, Massenet, Puccini
Avec Mado Robin, Jules Gressier, Denise Monteil, Geory Boué, Nan Merriman
Chefs divers dont André Cluytens, Pierre Dervaux, Louis Fourestier, Sir Thomas Beecham
(Enregistrements de 1948 à 1957)
1 CD Malibran Music

La Troupe de l'Opéra de Paris : Paul Finel (1924–2017)
Airs de Berlioz, Wagner, Halévy, Verdi, Massenet, Gounod, Giordano, Puccini, Bizet, Leoncavallo, Charpentier
Avec Suzanne Sarocca (La Damnation de Faust)
Chefs divers

1 CD Malibran Music

Spécialisé dans les enregistrements historiques du répertoire français, le label Malibran a récemment ajouté deux titres supplémentaires à sa collection « La Troupe de l’Opéra de Paris ». C’est comme un devoir de mémoire qui est ainsi accompli, en rendant moins méconnus des plus jeunes générations le nom de Georges Noré et celui de Paul Finel, artistes qui n’eurent pas l’heur de plaire aux multinationales du disque mais qui n’en furent pas moins deux grands ténors français.

Dans les décennies de l’après-guerre, les multinationales du disque ont tellement bien mené leur barque que les mélomanes des jeunes générations seraient bien pardonnables de croire que le chant lyrique français fut un vaste désert, une morne plaine d’où pas une tête de ténor ne dépasse, comme s’il n’y avait eu personne entre Georges Thill, qui jeta ses tout derniers feux au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, et Roberto Alagna, dont la carrière décolla dans les années 1990. Tout juste le nom d’Alain Vanzo pourra-t-il encore être connu de ceux qui l’auront entendu en Gérald aux côtés de Joan Sutherland, dans Les Pêcheurs de perles avec Ileana Cotrubas, ou dans Mireille avec pour partenaire Mirella Freni (autant d’intégrales où il est l’un des rares Français perdus parmi les « stars internationales »).

On mesure ainsi d’autant mieux le prix de la série de disques publiée depuis quelques années par le label Malibran, sous le titre général « La troupe de l’Opéra de Paris ». Pour tous ceux auxquels les distributions « de prestige » assemblées par EMI et autres majors ont pu faire croire qu’il n’y avait point de salut hors de messieurs Gedda et Domingo, de mesdames Schwarzkopf ou de los Angeles, c’est l’occasion de découvrir que la France eut aussi de très grands artistes, même s’ils n’eurent pas la chance d’être invités dans les studios d’enregistrement les plus cotés. La France, le croirait-on, eut même des ténors, et de tous les profils possibles, oui, même des heldentenors.

Les deux dernières livraisons de cette série, qui compte déjà une douzaine de titres, permettent justement de rafraîchir une mémoire collective par trop oublieuse, avec deux ténors, justement, deux personnalités vocales bien différentes, mais parfaitement représentatif d’une école de chant qui sut longtemps maintenir sa spécificité : Paul Finel (1924–2017) et Georges Noré (1910–2001). Parmi les plus jeunes, certains sauront peut-être que Noré fut choisi par Sir Thomas Beecham pour participer, aux côtés de Geori Boué, à l’intégrale de Faust que l’illustre chef britannique grava en 1947 ; quant à Paul Finel, ils auront retenu qu’il incarnait le Chevalier de la Force auprès de Denise Duval dans l’enregistrement historique de Dialogues des carmélites, dirigé en 1958 par Pierre Dervaux.

C’est donc le moment d’ouvrir grand nos oreilles, pour découvrir la forêt que cachent ses arbres, et pour comprendre pourquoi Georges Noré fut un Faust si admiré à l’Opéra de Paris, et pour apprendre que Paul Finel, parti d’Alfredo et de Romeo, finit par oser Lohengrin et Radamès.

Evidemment, cela suppose un certain dépaysement sonore, tant nos oreilles ont perdu l’habitude de ce qui semblait naturel à une autre époque. Qui dit chant français dans les années 1950 dit, forcément, chant en français, autrement dit traduction des œuvres étrangères dans la langue de l’auditeur. Voilà pourquoi le disque consacré à Georges Noré s’ouvre s’ouvre sur deux extraits d’Obéron de Weber, production fastueuse par laquelle Maurice Lehmann entendait en 1954 éblouir le public parisien par le même faste qu’avec Les Indes galantes deux ans auparavant : oui, mais Huon de Bordeaux y chante en français, dans une nouvelle version élaborée pour l’occasion. Et si l’on ne peut qu’admirer la vaillance avec laquelle le ténor s’élance dans l’air très vocalisant « Par-dessus tout, j’ai placé l’honneur » (« From boyhood trained » dans la version originale anglaise), on le plaint d’avoir dû chanter à pleine voix des syllabes muettes malencontreusement placées sur des notes accentuées. Rigoletto ou Madame Butterfly en français, qui enchantèrent nos grands-mères, sonnent aujourd’hui comme de bien exotiques curiosités. C’est en français aussi que Paul Finel chante le récit du Graal ou que son Siegfried forge Notung ; pourtant, signe que les années passent ou simple proximité culturelle, la version originale prévaut pour plusieurs opéras italiens : pour Aida, Andrea Chénier ou Turandot, mais pas pour Tosca ou Paillasse, jadis propriété de l’Opéra-Comique et donc inévitablement donnés en langue vernaculaire.

Avec cette pratique allait de pair un certain style de chant : c’est surtout sensible chez les partenaires de ces messieurs, comme si les sopranos avaient été davantage concernées par cette révolution de l’écoute. Superbe Marguerite dans Faust, Geori Boué semble en revanche assez déconcertante en Butterfly. Quant à Mado Robin en Gilda, son timbre nous renvoie également à une esthétique d’un autre âge, un peu comme la voix originale de Blanche-Neige. Dans le répertoire français, en revanche, des artistes comme Denise Monteil (Faust), Claude Bergeret (Louise) ou Solange Michel (Werther) paraissent on ne peut plus adéquates, et Suzanne Sarroca, comme on pouvait s’y attendre, est une excellente Marguerite de La Damnation de Faust.

Cela dit, si l’on se focalise exclusivement sur l’art de ces deux ténors, on reste admiratif devant leur maîtrise du style de l’opéra ou de l’opéra-comique français. Chez Paul Finel, on applaudit l’art avec lequel l’artiste sut consolider sa voix pour s’élever jusqu’à des rôles plus lourds. Son « Rachel, quand du Seigneur » n’est hélas pas suivi de « Dieu m’éclaire », et c’est dommage ; d’une ampleur tout à fait convaincante dans Louise, Hérodiade ou La Reine de Saba, il parvient à prendre des couleurs tout à fait italiennes lorsqu’il aborde Puccini ou Giordano (l’italien de « Celeste Aida » est curieusement plus raide).

Le rapprochement des deux disques a aussi ceci d’intéressant qu’il permet de comparer les deux ténors à l’intersection de leurs répertoires respectifs, principalement dans trois rôles français : Faust, Roméo et Werther. A la fin de la cavatine de Faust, Noré laisse bouche bée par la pureté de l’aigu si longuement tenu, suivi d’une note diminuendo jusqu’au plus impalpable pianissimo ; le chanteur communique au personnage une sincérité vibrante. Finel n’a pas le même raffinement, mais son interprétation plus musclée ne manque pas de charme, en particulier dans Werther qui lui convient fort bien.

Cet embarras de richesses laisse rêveur, et fait regretter plus amèrement encore la suppression en 1972 de la fameuse « troupe de l’Opéra de Paris », cette troupe dont beaucoup d’artistes n’hésitent pas à dire aujourd’hui qu’ils aimeraient la voir renaître de ses cendres.

Avatar photo
Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.

Autres articles

1 COMMENTAIRE

  1. Bonjour Monsieur
    Je viens de lire votre critique comparative entre deux ténors Paul Finel (mon père) et Georges Noré qui m'a absolument ravi . Je tiens Monsieur à vous remercier pour cet article qui ,enfin, met en avant l'art du beau chant français de cette troupe et de cette époque. Merci aussi d'apporter cette reconnaissance de ces chanteurs aussi bien sopranos, barytons , basses et ténors français. Si les médias de l'époque avaient été ce qu'ils sont aujourd'hui, la notoriété de ces artistes auraient été aussi grande que nos artistes actuels.
    N'oublions jamais ce qu'ils ont apporté dans l'art du chant.
    Merci Monsieur
    René Finel

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire !
S'il vous plaît entrez votre nom ici