Wolfgang Amadeus Mozart (1756–1791)
Sonate en do majeur, KV 521
Andante et variations en sol majeur, KV 501
Sonate en fa majeur, KV 497

 Morgane Le Corre et Knut Jacques, pianoforte

« Mozart, Piano 4 hands »
1 CD Paraty

Enregistré à la Ferme de Villefavard du 15 au 17 février 2019

Si les pièces pour clavier à quatre mains de Mozart sont relativement connues, on n’a pas toujours l’occasion de les entendre sur pianoforte. L’instrument utilisé dans cet album, une copie d’un pianoforte du XVIIIème siècle d’Anton Walter, est donc un premier argument en faveur de cet enregistrement qui bénéficie également de la belle maîtrise du style mozartien dont Morgane Le Corre et Knut Jacques font preuve. Connus également sous le nom de Duo Pégase, les musiciens font entendre les trois dernières œuvres pour quatre mains du compositeur : deux sonates et un Andante et variations, où se font entendre une inventivité mélodique et une variété dans l’écriture dans lesquelles il est particulièrement intéressant de se plonger.

 

On connaît tous ce fameux portrait de la famille Mozart : Nannerl et Wolfgang au clavecin, Leopold accoudé à l’instrument, et un portrait d’Anna Maria accroché au mur. Jouer à quatre mains était une pratique courante pour les deux jeunes prodiges, et Wolfgang signe sa première sonate pour quatre mains dès 1765, c’est-à-dire âgé de neuf ans. Quatre autres opus suivront, ainsi qu’un Andante et variations : des œuvres intimistes parce qu’elles peuvent se jouer chez soi, en famille ou entre amis, et qui favorisent une intimité musicale entre les deux interprètes par l’écoute attentive et constante qu’elles nécessitent. Des œuvres qui nécessitent une proximité physique également : car si les pianistes se sentent parfois à l’étroit lorsqu’ils doivent jouer en duo sur un instrument de sept octaves, il ne faut pas oublier qu’un pianoforte n’en comporte que quatre à cinq… Une difficulté technique supplémentaire – sans parler, pour l’anecdote, de « l’embarras » que pouvait provoquer à l’époque la proximité avec un musicien du sexe opposé… Le compositeur Charles Burney prendra d’ailleurs bien soin de rassurer les jeunes filles en préface de ses Quatre sonates ou duos : « Bien qu’au premier abord le rapprochement des mains des différents interprètes puisse sembler gênant et embarrassant, un peu de pratique et d’ingéniosité en ce qui concerne leur placement et le choix des doigtés viendra bientôt à bout de cette difficulté ».

Voilà pour l’anecdote sociologique, mais qui nous ramène à cet enregistrement des dernières œuvres pour quatre mains de Mozart par Morgane Le Corre et Knut Jacques puisque les deux interprètes jouent sur un pianoforte à cinq octaves, copie d’un instrument réalisé par Anton Walter – l’un des facteurs préférés du compositeur. Les sonates en do majeur (KV 521) et fa majeur (KV 497) ainsi que l’Andante et variations en sol majeur (KV 501) enregistrés ici n’ont donc pas le déploiement acoustique et lyrique que le piano peut leur donner ; ils ont en revanche la précision d’attaque, la netteté d’articulation, la couleur éclatante qui n’appartiennent qu’à son ancêtre.

La Sonate en do majeur qui ouvre l’album – la dernière composée par Mozart pour quatre mains, en 1787 – fait entendre, après un premier thème à l’unisson, un dialogue serré entre les deux musiciens qui se poursuit dans un développement particulièrement inventif et inspiré. Morgane Le Corre et Knut Jacques parviennent à trouver un style de jeu très homogène, comme si c’était une seule et même personne qui avait enregistré les deux parties, ce qui permet que l’un ne prenne jamais le pas sur l’autre. Sur un autre instrument et dans d’autres répertoires on pourrait trouver dommage qu’ils ne montrent pas chacun un style plus personnel ; mais avec le pianoforte on aime cette précision, cette égalité qui font d’autant mieux entendre les qualités de l’écriture mozartienne, dont les effets de contrastes et de dialogisme se suffisent à eux-mêmes. L’Andante, de forme tripartite, se distingue par des pages plus dramatiques au milieu d’un mouvement élégant et délicatement orné auquel Morgane Le Corre et Knut Jacques n’oublient jamais d’insuffler de l’allant et une belle énergie. Enfin, si l’Allegretto s’ouvre par un thème rendu par les deux musiciens – est-ce volontaire ? – plus niais que gracieux, le contraste entre les pages majeures et mineures se fait entendre de manière tranchée et efficace, et le dessus comme la basse se déploient dans de longues phrases virtuoses dont la netteté est toujours impeccable.

Même remarque vaut pour la Sonate en fa majeur, notamment dans son tourbillonnant dernier mouvement, bien phrasé et vif sans précipitation. Cette sonate offre une variété de textures et de couleurs dont les interprètes s’emparent largement et qui offre à l’ensemble une densité inégalée dans l’œuvre précédente. Mozart tire d’un même instrument une formidable richesse sonore qui semble vouloir rivaliser avec un orchestre en laissant une indépendance beaucoup plus grande au dessus et à la basse. Cette dernière est particulièrement présente et vient tour à tour, dans l’Andante, accompagner et enrichir la partie supérieure, lui répondre, ou bien lui subtiliser le matériau thématique pour le développer jusque dans les superbes dernières mesures du mouvement.

Dernière pièce de l’album, l’Andante et variations en sol majeur (KV 501) qui est presque une sonate avec sa quatrième variation en sol mineur, sobre, dépouillée mais harmoniquement très travaillée, comme en réponse à l’écriture dense et serrée des variations 2 et 3, et comme en préambule au caractère brillant et virtuose de la variation 5. Morgane Le Corre et Knut Jacques démontrent là encore un jeu précis et raffiné, mais non sans une forme d’esprit et d’humour qui conviennent particulièrement à une pièce dans laquelle Mozart démontre son talent pour transformer à l’infini un thème initial qui, après être apparu une toute dernière fois dans la cinquième variation, se délite progressivement dans les dernières mesures pianissimo.

Inventivité mélodique et intelligence de l’écriture polyphonique, connaissance des possibilités expressives du clavier et tentation de la densité orchestrale : ces pièces pour quatre mains sont un concentré du génie mozartien que le jeu sur pianoforte et la maîtrise stylistique de Morgane Le Corre et Knut Jacques rendent particulièrement évident, en plus d’agréable à écouter.

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Claire-Marie Caussin
Après des études de lettres et histoire de l’art, Claire-Marie Caussin intègre l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales où elle étudie la musicologie et se spécialise dans les rapports entre forme musicale et philosophie des passions dans l’opéra au XVIIIème siècle. Elle rédige un mémoire intitulé Les Noces de Figaro et Don Giovanni : approches dramaturgiques de la violence où elle propose une lecture mêlant musicologie, philosophie, sociologie et dramaturgie de ces œuvres majeures du répertoire. Tout en poursuivant un cursus de chant lyrique dans un conservatoire parisien, Claire-Marie Caussin fait ses premières armes en tant que critique musical sur le site Forum Opéra dont elle sera rédactrice en chef adjointe de novembre 2019 à avril 2020, avant de rejoindre le site Wanderer.
Crédits photo : © Paraty

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