Georg Friedrich Haendel (1685–1759)
The Messiah (1742)

Oratorio en trois parties sur un livret de Charles Jennens

Julia Doyle (soprano)
Tim Mead (contre-ténor)
Thomas Hobbs (ténor)
Roderick Williams (basse)

RIAS Kammerchor Berlin
Akademie für alte Musik Berlin

Direction musicale : Justin Doyle

2 CD Pentatone

Enregistré en janvier 2020 à la Jesus-Christus-Kirche, Berlin-Dahlem

C’est un quatuor de solistes entièrement britannique et rompu au répertoire baroque que le chef Justin Doyle réunit autour de lui pour cet enregistrement du Messie de Haendel publié chez Pentatone. Une lecture homogène, lumineuse, qui manque parfois un peu d’intensité dramatique mais bénéficie de la présence du RIAS Kammerchor Berlin, qui fait preuve de qualités musicales évidentes. Les solistes ne sont pas en reste et livrent une prestation tout à fait réussie d’une partition ramenée à des dimensions plus humaines et intimistes que ce qu’on entend souvent au disque. Une belle réussite, à laquelle tous les musiciens concourent, sans exception.

Est-il encore besoin de présenter Le Messie de Haendel ? Probablement pas, et pourtant l’œuvre interroge toujours et justifie qu’on y revienne régulièrement, ne serait-ce que pour tenter d’en saisir les paradoxes. En premier lieu, la pertinence de l’appellation « oratorio » ; car s’agit-il vraiment d’une œuvre dramatique ? Que des metteurs en scène s’en soient emparé – on pense à Claus Guth, Deborah Warner, et plus récemment Bob Wilson – semblerait le confirmer, et pourtant… Peut-on parler d’œuvre dramatique alors que son personnage principal, le Messie, est physiquement absent ? Car s’il est attendu, décrit, raconté dans le livret de Charles Jennens sous forme d’un collage de citations bibliques, le Messie ne chante pas dans cette œuvre – on se souvient d’ailleurs que Claus Guth palliait cette absence en faisait apparaître le Christ de manière symbolique sous les traits d’un homme d’affaires, personnage central, mais muet. C’est donc un étrange oratorio que ce Messie, à la fois très abstrait pour la scène et très dramatisé pour le disque.

A l’occasion de cet enregistrement paru chez Pentatone, le chef Justin Doyle réunit autour de lui une distribution 100% britannique avec, qui plus est, un quatuor de solistes assez idéal pour ce répertoire : la soprano Julia Doyle, le contre-ténor Tim Mead, le ténor Thomas Hobbs et le baryton Roderick Williams, tous rompus au répertoire baroque.

Mais c’est surtout un chœur de haute tenue qu’il nous est donné d’entendre – surtout disons-nous, car c’est bien le chœur qui est le plus sollicité dans cette partition dont le célébrissime « Hallelujah » est loin d’être la page la plus exigeante. Agilité, contrastes – comme dans « Surely, He hath borne our griefs » – mais aussi un contrepoint extrêmement dense, le compositeur multiplie les difficultés et conserver de la lisibilité n’est pas une mince affaire pour ses interprètes. Les qualités du RIAS Kammerchor Berlin n’en sont que plus évidentes et l’ensemble traverse l’œuvre avec une précision et une solidité imperturbables. Il échappe également à l’écueil des grands éclats de voix, privilégiant toujours la clarté du son : l’« Hallelujah » justement est plein de nuances, vif, ciselé, et sans une once de lourdeur. Il y a chez le RIAS Kammerchor Berlin une homogénéité et une plasticité du son qui se prêtent remarquablement à l’œuvre de Haendel et aux différentes atmosphères qu’elle convoque, doublées d’une diction impeccable.

Roderick Williams n’est pas en reste en termes de diction, notamment grâce à des consonnes très audibles et à des voyelles qui restent claires dans les vocalises. On apprécie autant le caractère intimiste de « The people that walked in darkness », où la voix est doublée par l’orchestre, que le déploiement de « Why do the nations » où le timbre gagne en puissance et en impact : le baryton joue de toute une palette de nuances qui lui permettent de ne pas être tragique et autoritaire avec excès. En comparaison, la prestation de Julia Doyle est peut-être un peu moins convaincante car moins variée dans les couleurs qu’elle convoque ; mais elle maîtrise l’art de l’ornement et se montre toujours soucieuse d’un son léger voire éthéré qui convient bien à ses interventions dans la partition.

Tim Mead, contre-ténor de plus en plus incontournable sur les scènes lyriques, possède une voix corsée qui se déploie particulièrement bien dans les pages mélancoliques telles que « He was despised » où le chanteur fait preuve d’une simplicité dans l’émission et d’une homogénéité vocale parfaites. Mais il trouve aussi, dans des pages plus tragiques, les ressources nécessaires pour rendre l’urgence et la violence voulues par Haendel, comme dans le prestissimo de « But who may abide » avec ses mélismes et ses sauts d’octave. Autre très belle prestation : celle de Thomas Hobbs pour la partie de ténor. Le chanteur fait preuve d’un remarquable legato dans les vocalises et d’une belle longueur de souffle : il ouvre l’œuvre avec un « Ev’ry valley shall be exalted » extrêmement raffiné et bien phrasé, avant de livrer un « Behold, and see » tout en délicatesse dans le chant et la diction.

Cet enregistrement bénéficie ainsi d’un quatuor de solistes solide et équilibré ; « équilibré » étant sans doute le terme qui convient le mieux pour définir la prestation de l’ensemble des musiciens – solistes, chœur et orchestre confondus. Justin Doyle, "Chefdirigent" du RIAS Kammerchor, tire en effet de l’Akademie für alte Musik Berlin une belle énergie qui ne faiblit jamais, et privilégie des couleurs claires et rayonnantes, une lecture vive voire enjouée de la partition. Certes on aurait pu souhaiter une interprétation plus dramatique par moments, mais Justin Doyle a le mérite de ramener Le Messie à des dimensions plus humaines et chaleureuses. On retiendra tout particulièrement un « But who may abide » aux accents rythmiques bien marqués, la qualité des crescendo dans « For unto us a child is born », mais aussi le dialogue de la trompette et du continuo dans « The trumpet shall sound » où l’instrument soliste fait preuve de vraies belles nuances, loin de l’emphase à laquelle on aurait pu s’attendre. L’orchestre aurait seulement mérité que les différentes lignes soient plus distinctement audibles et que les instruments ressortent davantage de manière individuelle : car l’équilibre et l’homogénéité ont parfois besoin d’être perturbés pour qu’on les apprécie davantage.

Un très bel enregistrement donc, intelligent, élégant, qui se déroule sans heurts, et qui n’est pas de trop dans une discographie déjà bien fournie.

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Claire-Marie Caussin
Après des études de lettres et histoire de l’art, Claire-Marie Caussin intègre l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales où elle étudie la musicologie et se spécialise dans les rapports entre forme musicale et philosophie des passions dans l’opéra au XVIIIème siècle. Elle rédige un mémoire intitulé Les Noces de Figaro et Don Giovanni : approches dramaturgiques de la violence où elle propose une lecture mêlant musicologie, philosophie, sociologie et dramaturgie de ces œuvres majeures du répertoire. Tout en poursuivant un cursus de chant lyrique dans un conservatoire parisien, Claire-Marie Caussin fait ses premières armes en tant que critique musical sur le site Forum Opéra dont elle sera rédactrice en chef adjointe de novembre 2019 à avril 2020, avant de rejoindre le site Wanderer.

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