A Lad’s Love.
Mélodies de Benjamin Britten, Ivor Gurney, John Ireland, Peter Warlock, Roger Quilter et Ian Venables.

Brian Giebler, Ténor
Steven McGhee, piano

Reginald Mobley, contre-ténor
Katie Hyun, Ben Russell, violon
Jessica Meyer, alto

Michael Katz, violoncelle.

 

1 CD Bridge – 70’43

Enregistré du 27 au 29 juin 2019, Drew University Concert Hall, Madison, New Jersey

Pour son premier récital au disque, le ténor américain Brian Giebler explore quelques-unes des mélodies que le poète britannique A.E. Housman a inspirées aux compositeurs du XXe siècle, au sein d’un programme original qui devrait permettre de belles découvertes, surtout aux mélomanes français. Outre le pianiste Steven McGhee, qui signe aussi le livret d’accompagnement, il faut signaler la présence tout à fait bienvenue d’un quatuor à cordes et, pour une plage, d’un contre-ténor.

Les compositeurs allemands avaient Goethe, Eichendorff et bien d’autres, les Français ont eu Baudelaire, Verlaine et de plus récents à mettre en musique. Bien que longtemps considérée comme un « pays sans musique », la Grande-Bretagne ne manquait pas de poètes qui attendaient seulement quelques compositeurs inspirés pour déposer de la musique le long de leurs vers. Par chance, c’est ce qui se produisit au XXe siècle. S’il n’est pas question de contester la grandeur de Benjamin Britten, il serait temps que la France s’ouvre aux œuvres de ses prédécesseurs et contemporains, dont les réussites, en particulier dans le domaine de la mélodie, sont pourtant assez incontestables.

C’est à ce genre de découverte que nous invitent souvent les récitals des artistes anglophones, lorsque les interprètes ont l’intelligence de puiser dans l’immense réserve de ce qu’on appelle chez eux art songs, pour en rapporter des merveilles. Ce sont en majorité des barytons qui se lancent dans l’aventure, mais l’association des compositions de Britten à la voix de Peter Pears montre que les ténors sont aussi les bienvenus dans le monde de la mélodie britannique.

Pour son premier disque, le jeune ténor américain Brian Giebler propose un programme particulièrement séduisant, où le mélomane désireux de sortir des sentiers battus devrait trouver amplement de quoi satisfaire sa curiosité, et peut-être même de l’aiguiser davantage. Le ténor est en effet fort bien accompagné, d’abord par l’excellent pianiste Steven McGhee, mais aussi, et c’est en cela que ce CD tranche sur bien d’autres récitals de mélodies, par un quatuor à cordes qui intervient pendant 25 des 70 minutes que totalise le disque. Toute monotonie est également évitée grâce à la participation d’un contre-ténor pour l’une des plages, nous y reviendrons.

Le programme s’ouvre fort bien, et l’on partage entièrement l’enthousiasme de Brian Giebler pour le cycle Ludlow and Teme d’Ivor Gurney (1890–1937). Gazé pendant la Première Guerre mondiale, peu après avoir composé « In Flanders », également enregistré ici, Gurney fut déclaré victime de démence en 1922, ce qui ne le détourna heureusement pas entièrement de la musique. Publié l’année suivante mais conçu en 1919, Ludlow and Teme – du nom d’une ville anglaise proche du pays de Galles et de la rivière qui la traverse – réunit sept poèmes tirés du recueil A Shropshire Lad publié en 1896 par A.E. Housman. S’y expriment un sentiment de communion avec la nature (d’une région rurale où le poète n’avait jamais mis les pieds) et une sorte de nostalgie prémonitoire sur la mort prématurée des jeunes paysans, émanation d’un homoérotisme discret. La présence continue du quatuor à cordes, tantôt impalpable tapis frémissant, tantôt hérissé de pointes d’acidité, est l’ingrédient qui pimente cette composition, qui mérite de figurer parmi les plus belles réussites du genre trop peu pratiqué de la mélodie avec ensemble de chambre.

Housman encore pour celui qui apparaît comme le deuxième pilier de ce disque : John Ireland (1879–1962), représenté par « Ladslove » qui donne son titre au récital, song inspiré par un poème figurant dans A Shropshire Lad, et par le triptyque We’ll to the Woods No More, où deux poèmes tardifs de Housman précèdent une pièce pour piano solo (dont le titre provient de… A Shropshire Lad).

Et c’est encore avec A.E. Housman que s’achève le programme, avec une mélodie toute récente, et due à un compositeur vivant, le Britannique Ian Venables (né en 1955). Quatrième et dernière page du cycle Songs of Eternity and Sorrow, sur des poèmes posthumes de Housman, « Because I liked you better » parle également d’amour interdit. On retrouve ici la même formation que dans l’œuvre d’Ivor Gurney, le quatuor à cordes se joignant au piano pour accompagner la voix. L’intensité de l’émotion est portée par une écriture extrêmement traditionnelle mais efficace.

Deux compositeurs britanniques de la première moitié XXe siècle sont convoqués pour une pièce chacun : Roger Quilter, avec « Love’s Philosophy » d’après Shelley, la page la plus ancienne du programme (1905), et Peter Warlock avec une mélodie pleine de charme. Mais Benjamin Britten est assez inévitablement le mieux servi puisque, comme on l’a dit, c’est aussi le compositeur qui a le mieux servi la voix du ténor. Deux œuvres bien différentes sont ici réunies et occupent près d’une demi-heure de ce disque : le deuxième de ses Canticles, datant de 1952, et un recueil bien plus rare, Fish in the unruffled lakes, groupe d’œuvres de jeunesse composées entre 1937 et 1940, créées une douzaine d’années après la mort de Britten, et rassemblées par l’éditeur Boosey & Hawkes qui les a publiées à titre posthume en 1997. Dans le Canticle, Brian Giebler se fait soudain patriarche pour être Abraham prêt à sacrifier ; Isaac fut créé par Kathleen Ferrier, mais on a pris l’habitude de confier le rôle à un contre-ténor, et Reginald Mobley parvient à combiner avec une pureté enfantine des accents plus dramatiques. L’œuvre surprend quand même un peu parmi ces mélodies, où le texte d’accompagnement dû au pianiste Steven McGhee souligne le fil directeur qui semble décidément être celui de l’homosexualité ; il justifie néanmoins la présence de ce Canticle au nom de la ressemblance dans la relation entre Abraham et son fils et celle qui unit le capitaine Vere à Billy Budd dans l’opéra du même nom, composé peu auparavant. Pour le bouquet de mélodies de jeunesse de Britten, dont rien n’indique qu’elles devaient être réunies, la thématique se comprend d’autant mieux que les textes sont de W.H. Auden et parlent assez explicitement d’un amour qui ne dit pas son nom (Six Auden Settings est d’ailleurs un titre plus neutre et plus conforme à la réalité). Ian Bostridge les avait enregistrées dès 1995 pour Hyperion, ainsi que Philip Langridge, mais on ne peut pas dire qu’elles encombrent la discographie : cette nouvelle version est donc bienvenue, car pour être restées longtemps inédites, elles ne déparent en rien dans la production britténienne et devraient enrichir le répertoire de concert.

Par-delà le prétexte, ce que l’on remarque avant tout, c’est la clarté et la fraîcheur du timbre de Brian Giebler, au service d’une sensibilité qui lui permet de traduire idéalement les émotions des différents poèmes ici réunis. La voix est saine et souple, l’aigu et facile, et l’on espère que, défendues par ce jeune ténor prometteur, ces mélodies pourront conquérir le plus large public.

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Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.

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