Nous reportons des compte rendus de spectacles de Salzbourg, comme si tout se déroulait normalement. Mais les spectateurs qui fréquentent régulièrement le festival ont ressenti bien des différences, dans la ville, au théâtre. 2020 n'est pas une année ordinaire et ce centenaire n'est pas tout à fait festif. Notre ami genevois Antoine Leboyer nous a envoyé cette carte postale avec quelques photos personnelles que nous publions : Salzbourg vu d'un autre angle.

Le matériel 2020 du parfait festivalier

 

Aux amis

L’Autriche et la Suisse ont été parmi les premiers pays à rouvrir leurs frontières. Après longue réflexion, nous avons décidé de faire confiance aux règles sanitaires en place et de nous rendre à l’édition 2020 du Festival de Salzbourg, d’autant que pour des raisons familiales, nous avions coutume depuis longtemps de nous rendre chaque année en Autriche et en particulier à Salzbourg, à cause de notre goût pour la musique.
Se déplacer n’a pas été une décision prise à la légère. Nous avons été en Suisse en confinement. Nous connaissons plusieurs personnes proches qui ont été malades et certains ont perdu leurs parents. Nous ne sommes pas encore à l’âge critique des personnes à risque, mais … cela se rapproche.

Salzbourg cet été ne ressemble en rien à ce que nous et vous avons vu au cours des nombreux étés où nous nous y retrouvons. Il y a bien moins de touristes. Peu d’anglo-saxons pas de touristes  asiatiques, indiens ou du Moyen-Orient. On entend ici et là du français, de l’italien ou de l’espagnol mais comme en Suisse, la grande majorité de ceux que nous croisons parlent allemand .

Même si les précautions sanitaires ne sont pas aussi strictes qu’en Suisse, pratiquement tout le monde fait très attention. Masque et gel sont, à une exception sur laquelle je reviendrai, partout présents. Le Festival a créé un logo « Sichere Festpiele » (Festival sûr) accordé aux boutiques qui sont particulièrement précautionneuses. Tous les commerces font très attention à l’exception surprenante  du célèbre Café Tomaselli . Qu’importe puisque le meilleur café de Salzbourg est le Café Bazar au bord de la Salzach, rendez-vous des festivaliers et des artistes, où les consignes de sécurité sont suivies comme cela devrait être le cas partout sans qu’on ait besoin de s’en soucier.

Sichere Festspiele sur la terrasse du "Haus für Mozart"

Je ne suis pas seul à me promener scrupuleusement dans la rue avec un masque. C’est le cas pour les personnes qui travaillent au Festival. Un fauteuil sur deux est bloqué. Les places sont nominatives et, comme parfois à Bayreuth depuis un moment, il faut montrer une pièce d’identité, non pour éviter le marché noir mais pour permettre, en cas de problème, de pouvoir être recontacté.

Chaque représentation commence par un message enregistré rappelant les mesures à suivre et nous autorisant à enlever le masque au début de la représentation, mais recommandant quand même de le garder (alors qu’à Lucerne, le port du masque est obligatoire avant, pendant et après le concert). Nous l’avons gardé et, lorsque la musique est prenante, cela ne pose aucun problème.

Vous auriez souri en entendant le message en anglais, sans doute réalisé par un autrichien, dont le léger accent faisait penser à Christoph Waltz en train de donner des conseils respectueux, mais un peu menaçants, comme il l’a fait dans les films de Tarantino. Il est vrai que cette étrange période à quelque chose de tarantinesque…
La quasi-totalité des spectateurs se plie aux directives, et les récalcitrants dûment chapitrés par le personnel sont rares.

Plus intéressante, notre petite carte postale musicale

Nous avons été privilégiés à Genève. L’Orchestre de la Suisse Romande a été un des premiers à mettre sur pied deux programmes dans des conditions très strictes définis par l’Office Fédéral de la Santé : des concerts d’une heure sans entracte, pas plus de 250 personnes sur scène et dans la salle et chaque musicien se devant de respecter la distance physique en vigueur. Jonathan Nott, directeur musical de l’OSR m’a confié qu’il se réjouissait mais avait conscience que la distance entre musiciens ne serait pas sans poser de sérieux challenges techniques. L’OSR a donné ainsi deux programmes un Mozart puis des extraits d’une heure de Parsifal et de La Traviata. Même dans des conditions aussi contraignantes, ré-réentendre le son de musiciens en direct était un choc et donnait envie de faire toute une série d’efforts pour en avoir la possibilité.

Mais les musiciens en Autriche ont pu se produire en disposition ordinaire. Si les genevois ont dû affronter le challenge d’avoir à garder leurs distances et se protéger des vents derrière des barrières en plexiglass, les musiciens du Philharmonique de Vienne étaient testés à chaque service, procédure contraignante mais du coup, il y avait un orchestre en formation normale sur scène. Quand pourrons-nous bientôt réentendre des musiciens dans de telles conditions ?

La période de confinement nous a permis de profiter d’une richesse de documents disponibles en streaming. Les grandes maisons ont mis leurs archives en ligne. De très grands musiciens nous ont offerts des concerts sur le web. Igor Levit a donné de chez lui une trentaine de programmes tous différents et passionnants. Mais l’économie du spectacle vivant qui permet aux musiciens de se produire et de gagner leur vie doit être préservée. Et comme me l’a dit Markus Hinterhäuser, l’intendant du Festival, la musique n’est pas faite pour être « streamée ».

Markus Hinterhäuser et Antoine Leboyer

De ce point de vue, les programmes que nous avons pu entendre nous l’ont rappelé. Il faut entendre dans une salle comment les pianos d’un Levit ou d’un Sokolov sonnent pour saisir leurs singularités. En particulier, Levit joue plus « moderne » : tempos rapides, des vrais sforzandos … tandis que Sokolov a le poids et la dynamique des grands pianistes russes. Ce n’est pas un hasard qui fait que Levit s’est produit dans le Mozarteum ou dans la Haus for Mozart tandis que Sokolov joue dans le Grosses Festpielhaus. ((NdR : le huitième et dernier concert de Levit, les trois dernières sonates de Beethoven, a eu lieu au Grosses Festspielhaus)).

D’une certaine manière, il est aussi passionnant de comparer le son que Franz Welser-Möst dans Elektra et Andris Nelsons dans la 6ième Symphonie de Mahler obtiennent tous deux du même Orchestre Philharmonique de Vienne. Nelsons fait sonner son orchestre avec une certaine violence laissant champ libre aux cuivres tandis que Welser-Möst, qui par le passé a privilégié une certaine luxuriance sonore était là très attentif aux chanteurs, tout en respectant la ligne musicale straussienne.

Elektra a été un événement. C’est ma troisième Elektra à Salzbourg, les deux premières étant avec Abbado et les Wiener dans la mise en scène d’Harry Kupfer en 1989 (Coproduction avec l’Opéra de Vienne ) et la deuxième à Pâques six ans après avec ce même Abbado mais avec les Berliner dans une mise en scène de Lev Dodin. La lecture faite ici est une révélation. Je ne veux pas trop m’étendre sur l’originalité du concept central de Krzysztof Warlikowski (et du rôle exact joué par Chrysothemis) car ce serait vous priver de la joie de la découverte si vous regardez cette production sur ArteConcert (jusqu’au 30 octobre 2020) et/ou si vous lisez le compte-rendu de Wanderer.

Mais comme pour sa Salomé munichoise que beaucoup d’entre nous ont vue, il y a une relecture à la fois originale, convaincante, complète et supportée par l’ensemble des artistes. Mais à l’inverse de cette Salomé, aucun ami n’était là pour nous retrouver après la représentation et discuter à n’en plus finir de ce à quoi nous avions assisté.
Car une bonne représentation, ce n’est pas seulement la possibilité d’entendre de grands artistes dans de bonnes conditions, c’est la possibilité de partager, entre musiciens et public et aussi entre nous. C’est avant tout cette absence d’amis régulièrement rencontrés chaque année qui a été l’aspect le plus marquant et inhabituel de ce séjour salzbourgeois. Rien à voir avec les masques, le gel, au-delà du fait que la musique est en direct et non streamée : la musique est faite pour être partagée.

C’est vous les amis qui avez tant manqué. D’où ces quelques lignes à partager avec vous, comme une petite carte postale.

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